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Cinéma de Tango

Tango ! (Luis Moglia Barth)

Fiction de Luis Moglia Barth, Argentine, 1933, 75 minutes

ImageDans un faubourg populaire de Buenos Aires, une jeune femme abandonne son fiancé pauvre mais honnête pour se jeter dans les bras d’un voyou. Le jeune homme provoque celui-ci et le blesse. Il entreprend ensuite une carrière de chanteur de tango qui le mène jusqu’à Paris et noue une liaison avec une belle chanteuse. Mais il n’a pas oublié sa fiancée infidèle…

Réalisé en 1933, quatre ans après l’apparition du cinéma parlant, ce film tient une place importante dans l’histoire du cinéma de tango et même du tango tout court. C’est en effet le premier long métrage argentin consacré à ce thème. Certes, Carlos Gardel été déjà apparu dans quelques courts métrages argentins en 1930, avant de tourner en France en 1931, aux studios de Joinville, Luces de Buenos Aires qui connut un immense succès dans un son pays. Mais avec Tango !, le cinéma argentin se réapproprie le 2X4, en rassemblant une brochette d’artistes véritablement exceptionnelle : pour les musiciens, le fameux violoniste Ernesto Ponzio et les orchestres de Juan D’Arienzo, Edgardo Donato, Osvaldo Fresedo, Juan de Dios Filiberto ; pour les danseurs, le légendaire El Cachafaz, dont ce film constitue l’un des rares témoignages visuels.

Mais c’est surtout du côté des chanteurs ou plus exactement des chanteuses que se situe la plus grande richesse de Tango ! Le début des années 1930 est en effet marqué par la montée au firmament tanguero d’une génération de jeunes chanteuses solistes. Le film réunit plusieurs d’entre elles, parmi les plus talentueuses : Azucena Maizani, Tita Merello, Libertad Lamarque, Mercedès Simone…  Du côté des hommes, le casting est malheureusement plus pauvre, et Alberto Gómez, malgré sa charmante voix de ténor, ne fait pas oublier l’absence au générique de Carlos Gardel.

La construction narrative du film est simple mais efficace : chacune des situations-clés dans lequel le récit nous entraîne est illustrée par une chanson de circonstance. Par exemple, Tita Merello, qui vient d’abandonner son gentil fiancé pour un voyou bravache, interprète Yo soy asi pa’el amor; où elle nous explique son goût pour les hommes virils. Libertad Lamarque, qui vient d’être trahie par son amant, chante Andate !, où elle décrit la profondeur de son chagrin. Dans un bar des bas-fonds peuplé de filles perdues, Azucena Maizani chante Por las calle de mis penas, où elle nous confie le désespoir de l’une d’entre elles. Quant aux orchestres et aux danseurs, leurs talents sont mis en valeur à l’occasion des nombreuses scènes de bal. Cafés sordides, milongas de faubourg, cabarets de luxe de Paris ou de Buenos-Aires, paquebots transatlantiques : nous parcourons avec eux les différentes atmosphères du tango de l’époque.

Malgré quelques naïvetés narratives ou de mise en scène, Tango ! est loin d’être un navet, comme ce fut trop souvent le cas dans les films argentins consacrés au 2X4. Le scénario n’est pas totalement invraisemblable, les situations convenues ne le sont pas trop, les seconds rôles comiques sont assez réussis malgré leur côté un peu vieillot. Le spectateur d’aujourd’hui accepte volontiers d’être doucement pris par la main, comme le fut son grand-père moins blasé, pour assister aux prestations successives des artistes, la plupart du temps excellentes, et qui constituent parfois des documents uniques. Les images d’époque de Buenos-Aires et de Paris rajoutent une nuance agréable de réalisme, la naïveté stylisée de certains décors et de certains personnage est charmante, les acteurs jouent plutôt bien tout en conservant un je ne sais quoi d’expressionniste et de sur-joué hérité du cinéma muet qui touche par son caractère un peu désuet… La scène de la bagarre au couteau, filmée avec une vivacité surprenante, est tout à fait haletante. Bref, on passe un excellent moment, devant cette copie en noir et blanc crachouillante et sans doute un peu mutilée, à redécouvrir avec un curiosité joyeuse les visages et les voix de ces artistes de légende.

Fabrice Hatem

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