Documentaire de Anne Linsel et rainer Hoffmannsel, Allemagne, 2010, 90 minutes
Dans le théâtre de danse de Pina Bausch à Wuppertal, une quarantaine de jeunes collégiens, qui n’ont jamais auparavant côtoyé la danse professionnelle, préparent un spectacle de danse contemporaine, Kontakthof. La caméra observe l’éveil de leur sensibilité artistique et leur évolution personnelle au cours des répétitions jusqu’au spectacle final.
Ce film est d’abord un agréable flot d’images colorées, animées par la vitalité et la fraîcheur juvénile de ces adolescents, sous le regard bienveillant mais exigeant de la charismatique Pina Bausch. Les défis qu’ils doivent affronter sont autant d’occasions pour eux de surmonter leurs timidités et leurs inhibitions, de renforcer leur conscience corporelle et leurs capacités d’expression. On suit ainsi pas à pas l’épanouissement de ces collégiens, au début timides et gauches, et qui progressivement prennent de l’assurance et parviennent à laisser d’exprimer sur scène le charme naturel de leur jeunesse. Et ce d’autant plus que le thème même de la chorégraphie – l’éveil parfois difficile de la sensualité et de la relation à l’autre au sein d’un groupe de danseurs de salon – entre en résonnance directe, par un effet proche de la mise en abîme, avec le vécu des interprètes eux-mêmes.
Le film juxtapose deux plans : celui du travail de répétition proprement dit, que l’on suit de manière chronologique jusqu’au spectacle final ; et d’autre part, des portraits de quelques-uns de ces adolescents, dont on observe l’évolution ou plus exactement l’épanouissement progressif.
Le film est beau est émouvant, le personnage tutélaire de Pina Bausch rayonne d’amour. Le résultat chorégraphique est d’une qualité surprenante, surtout quand on pense que les interprètes ne sont pas des danseurs professionnels. Pina Bausch nous montre ainsi par cette expérience qu’il existe dans chaque être un énorme potentiel d’expression artistique qui ne demande qu’à être réveillé et à se révéler.
J’ai simplement au fond de moi un petit regret qui n’est d’ailleurs pas une critique du rapport au film, mais l’expression d’une frustration personnelle par rapport à la conception européenne de l’activité artistique.
Connaissant bien Cuba, je sais à quel point la danse et la musique imprègnent quasiment en permanence la vie des populations locales. Au point que l’idée d’intégrer un chœur voire un orchestre amateur improvisé, de préparer un spectacle ou un défilé dans un centre culturel de quartier paraît là-bas tout à fait naturelle à un grand nombre de gens. Quant aux jeunes, ils apprennent à danser et à jouer de la musique de la même façon qu’à parler et à marcher : en regardant les voisins et en pratiquant avec l’aide de leurs parents. Les distances entre artistes professionnels et amateurs, art populaire et art savant, art de rue et art de scène, sont faibles et les solutions de continuité, inexistantes. Dans ce pays, une expérience telle que celle de Rêves dansants se produit littéralement tous les jours, des centaines de fois, aux quatre coins de l’île, comme un fait absolument naturel qui m’appelle aucune attention particulière.
Cela, bien sûr, n’enlève rien au mérite de l’équipe de Pina Bausch ni à celui des réalisateurs du film ou des collégiens-danseurs. Mais je trouve triste que, dans notre vieille Europe, l’expérience de Rêves dansant paraisse suffisamment exceptionnelle pour justifier le tournage d’un (excellent) long métrage et la mobilisation d’un centre de danse ultra-moderne, alors qu’à Cuba des dizaines de troupes arrivent chaque jour à résultat artistique au moins équivalent avec des moyens techniques et financiers dérisoires. Une mesure, en quelque sorte, de l’immense chemin à parcourir pour donner à la pratique artistique, et tout particulièrement à celle de la danse, la place qu’elles méritent dans les activités de loisirs des jeunes européens.
Fabrice Hatem
Renseignements : www.jour2fetes.fr