Pour lire une traduction de ce texte, cliquez sur le lien suivant : Rebelion.
Si le genre des « Salsas engagées » est relativement répandu, il est beaucoup plus rare de pouvoir bénéficier d’un cours d’histoire latino-américaine tout en dansant le samedi soir. Et pourtant, c’est bien cette association improbable que réussit le colombien Joe Arroyo dans sa chanson « La Rebelión« .
Composée au début des années 1980, celle-ci fait en effet allusion à l’une des 250 révoltes d’esclaves Noirs recensées dans le nouveau monde depuis le début de la traite jusqu’à la fin de l’esclavage. Le thème en est à la fois d’une grande simplicité et d’une grande beauté poétique : un Noir se révolte lorsqu’il voit son maître frapper son épouse aimée. Et son « Tu ne frappes pas ma négresse », répété comme un leit-motive tout au cours de la chanson, résonne encore aujourd’hui dans nos soirées de Salsa contemporaines, à quatre siècles de distance, comme un magnifique appel à la dignité humaine et à la Liberté.
Mais qui était ce Noir révolté ? S’agit-il d’un personnage inventé de toutes pièces, ou bien l’anecdote a-t-elle un fond de vérité historique ? L’histoire de Benkos Biohó et du village de El Palenque de San Basilio m’incite à penser que Joe Arroyo, qui a longtemps habité dans la région de Carthagène, en Colombie, s’est bel est bien inspiré d’un fait réel – ou, ce qui revient au même, poétiquement parlant, de l’imaginaire collectif – pour écrire sa chanson.
Nous sommes au tout début des années 1600, à Carthagène. Un Noir amené de Guinée par les trafiquants, Benkos Biohó, a réussi à s’échapper à l’occasion du naufrage de son bateau négrier sur les côtes du Nouveau monde et à organiser une véritable armée. Celle-ci contrôle une zone montagneuse dans les environs de la ville. Ses réseaux de résistance permettent à des centaines de Noirs de fuir l’esclavage et de rejoindre les territoires libérés où ils fondent des villages, que l’on appelle encore aujourd’hui Les Palenques de Los Negros.
Quant à Benkos Boihó, il effraya tant les autorités espagnoles que celles-ci conclurent avec lui en 1607 un véritable traité de paix garantissant la liberté aux Noirs fugitifs… Ce qui ne les empêcha pas, quelques années plus tard, en 1619, de le capturer par traîtrise et de le pendre. Il est devenu aujourd’hui l’une des grandes figures de l’imaginaire collectif local. Sa statue orne la place du Palenque de San Basilio, un village reculé peuplé de descendants de « Cimarrones », dont les habitants affirment – sans base historique certaine – qu’il fut créé par Benkos.
Plus récemment, une autre statue de celui-ci a été érigée à Carthagène même, dans le Parc de la Constitution – signe d’un réévaluation de l’historiographie officielle, où les souffrances et la résistance des peuples opprimés par la colonisation espagnole sont désormais davantage reconnues.
Même si Joe Arroyo ne nous conte que le fait générateur de la rébellion, et même si son texte est très éloigné de la réalité historique, la mémoire collective de ces événements apparaît clairement en filligrane de sa chanson.
Je vous propose d’écouter celle-ci dans l’interprétation de Joe Arroyo, accompagné par son orchestre La Verdad, tout en lisant ma traduction.
Fabrice Hatem