Flecha, le magicien des tambours
C’était lors de mon premier séjour à Cuba, au printemps 2008. Je me promenais près du débarcadère de Regla, en attendant le petit bateau qui fait la navette, d’un côté à l’autre du port, vers la vieille ville de la Havane (voir photo ci-dessous). Le long du quai, une eau boueuse croupissait, salie par les détritus et les vieux sacs en plastique. Soudain, une vieille dame, accompagnée par deux jeunes enfants – un petit garçon et une petite fille – enjamba la rambarde et descendit sur le sable noirâtre. Ils s’avancèrent tous les trois vers l’eau souillée. Alors, la vieille dame donna une orange au petit garçon et un ananas à la petite fille. Avec une petite tape affectueuse sur la tête, elle leur montra la mer. Les deux enfants allèrent poser les fruits dans l’eau, et les poussèrent maladroitement vers le large. Scène étrange, que ces deux fruits jetés dans l’eau stagnante… mais qui soudain s’illumina d’un profonde et magique poésie.
Tout à coup, je compris. La vieille dame faisait une offrande à Yemaya, la déesse de la Mer, la vierge de Regla. L’eau n’était plus boueuse, elle brillait d’un bleu immaculé et lumineux. La petite flaque avait pris la dimension de l’Océan. Sous la forme trompeuse d’un marigot, se cachait une puissance maternelle et bienveillante, qui avait sans doute, une fois encore, répondu à la prière d’un humain, en soignant un enfant, en apaisant une douleur, en comblant un vœu d’amour partagé…
Flecha, le magicien des tambours, est un fils de Yemaya. De sa mère, il tient la beauté, la force et la bienveillance. Comme elle, il possède le pouvoir de transformer une réalité triste, froide et avare de bonheur en un rêve de beauté, de joie et de lumière. Comme elle, il est source de vie et donne une âme au monde (photo ci-jointe : Flecha habillé en Chango aux côtés de Yemaya).
Un enfant de la balle enraciné dans la culture populaire
Pour un européen habitué aux catégories bien délimitées et aux cursus formatés, le parcours artistique de Flecha peut paraître a priori étrange. En Europe, un musicien apprend généralement à jouer d’un seul instrument. Flecha est à la fois joueur de tambours, danseur et chanteur. En Europe, les carrières artistiques et religieuses appartiennent à des registres bien séparés. Flecha est à la fois musicien et Santero[1]. En Europe, un musicien commence par obtenir des diplômes avant de pouvoir se produire en concert ou enseigner. Flecha, enfant de la balle, n’est diplômé d’aucun cursus officiel, mais a par contre été employé, très jeune, dans les plus prestigieuses écoles de musique de la Havane pour y participer à l’activité pédagogique.
Flecha, de son vrai nom Reinaldo Delgado Salermo[2], est né le 4 Août 1968 dans le quartier de Guanabacoa, situé à côté de Regla, sur la rive est du port de la Havane[3] (voir photo ci-contre). Dans ce quartier, la culture populaire afro-cubaine est encore aujourd’hui très vivace. La Santeria y est l’objet d’une grande ferveur, et le nombre d’artistes y est impressionnant. "A Guanabacoa, tu soulèves une pierre et tu trouves un musicien ou un danseur dessous" dit souvent Flecha.
Enraciné dans cette culture populaire, Flecha a été formé sur le tas aux diverses formes d’expression artistiques qu’il maîtrise : chant, danse, percussions. "Il y avait toujours de la musique dans le quartier", se rappelle-t-il. Son premier professeur de chant a été Luis Santa Maria (Olosunde de son nom africain), qui est mort en 2000 à 97 ans. "Il me donnait des cours pratiquement dans la rue, d’oreille, même s’il enseignait aussi chez lui". Parmi ses maîtres musiciens, on peut également citer Luis Chacon, Mario Aspirina et toute sa famille, ainsi que Ricardo Jauregui. Il a appris la danse avec Zenaida Hernandez, qui était premiére danseuse au Conjunto Folklorico Nacional (voir ci-contre photo du conjunto). "C’était une voisine. Je la regardais tous les jours quand elle répétait". Il a ensuite commencé à danser comme amateur, dès l’âge de 12 ans, dans un groupe appelé "Cumbaye".
L’initiation religieuse est allée de pair avec l’apprentissage du métier d’artiste. "Luis Santa Maria était « place » (prètre) dans la religion Abakua. Moi aussi, vers 14-15 ans, j’étais déjà initié à la religion Abakua" (voir photo ci-dessous, danse Abakua). Flecha assistait également fréquemment aux cérémonies des Orishas, car à côté de chez lui, habitaient des Santeros connus comme Margo San Lazaro, Abuelito Asoñaña ou Martina « Bicho Malo ». Et on sait l’importance de la musique, du chant et de la danse dans ces rites. "On peut pratiquer deux ou trois religions différentes, on peut être à la fois Palero, Abakuá, Santero, ou Omo añá (fils du tambour sacré).
Flecha est aussi un enfant de la balle. Sa mère était première danseuse du Conjunto Folklorico Nacional (CFN). Il a donc baigné quotidiennement dans une atmosphère où la pratique artistique au plus haut niveau faisait pratiquement partie du quotidien. « . Ma mère était l’une des fondatrices du CFN, et je me suis mis naturellement à ce type de danse » (voir ci-contre, spectacle du CFN). L’une de ses premières grandes émotions esthétiques est ainsi d’avoir assisté, à 12 ans, à une œuvre de théâtre intitulé "Maria Antonia", dirigée par Roberto Blanco, avec la collaboration du Conjunto Folklorico Nacional. « C’était l’histoire d’une femme de mauvaise vie, très forte, courageuse, capable de se battre et de tuer pour se défendre. Une œuvre très complète sur le plan artistique, avec de la tristesse, de la gaieté aussi ».
Des débuts précoces dans la carrière artistique
Après ses premiers essais avec le groupe Cumbayé, Flecha a rapidement développé sa carrière artistique, devenant professionnel à plein temps à partir de l’âge de 17 ans. Il a joué devant des publics très variés : touristes, mais également membres du Gouvernement, dont Fidel et Raul Castro.
Il a fréquemment participé, entre 12 et 20 ans, au festival de Wemilere, à Guanabacoa, où se rencontrent groupes amateurs et professionnels. Il a également été employé par l’école du Conjunto Folklorico Nacional, pour accompagner des classes de danse pour les étrangers.
Vers 1985-1986, il continue sa vie professionnelle dans la compagnie Turismo et avec le Grupo Mulemba, où travaillait également Juan Carlos Pedroso "Papucho", qui est un très bon ami de Flecha et habite lui aussi aujourd’hui à Genève (voir photo ci-contre, Flecha en compagnie de Papucho).
En 1988, il rejoint l’armée où il reste un an et demi. Il y intègre un groupe de danse et de percussions, ainsi qu’une équipe de football. Son retour à la vie civile coïncide avec la trop fameuse "période économique spéciale", si dure pour la plupart des cubains, mais qui fut pour lui une période dorée, puisqu’il travaillait dans la compagnie de danse "Turismo", qui, comme son nom l’indique, se produisait essentiellement devant des touristes étrangers.
Lancé dans la carrière
A partir du début des années 1990, la carrière de Flecha va prendre son envol. Il réalise de nombreux enregistrements de disques, se produit en "live" dans des concerts et des festivals, part en tournées à l’étranger, participe à des pièces de théâtre et fait de nombreuses apparitions à la télévision cubaine en tant que chanteur et danseur. Enfin, il développe son activité d’enseignement.
C’est avec le groupe de Lazaro Ros, un des Apwon (chanteur) de style Yoruba les plus connus, qu’il a réalisé la plus grande partie de ses enregistrements : une quinzaine au total, consacrés pour la plupart la musique des Orishas, et dont l’un a même reçu le Cubadisco, une récompense très appréciée dans le pays. Mais il a également accompagné comme percussionniste plusieurs autres artistes tels que Gonzalo Rubalcaba, Chucho Valdes (avec notamment un CD enregistré en compagnie du groupe Irakere et nominé aux Grammys), et Orlando Rios (voir photo ci-dessous), avec lequel il a participé au projet de CD "Cuando los espiritus bailan mambo".
Il s’est produit à plusieurs reprises au festival de jazz de la Havane, accompagnant, entre autres, Chucho Valdes et Jovany Hidalgo. Son meilleur souvenir ? « En 1998 j’ai accompagné comme percussioniste le projet de Chucho Valdés, Irakere et Lazaro Ros « Cantata a Babalú », c’était grandiose ! ».
Il a participé, avec Lazaro Ros et son groupe Olorun, à de nombreuses tournées, en France, en Espagne, au Venezuela, au Mexique. Il se souvient notamment avec bonheur de sa tournée espagnole de 1997. "Nous avons joué dans plein de villes, comme Segovia ou Cordoba. Nous avons travaillé dans de très grands théâtres, comme l’Alhambra de Madrid » (voir photo ci-dessous, Flecha et les musiciens du groupe Olorun).
Il a également eu une importante activité théâtrale, ou plus exactement de théâtre dansé, dont il assumait la partie musicale et chorégraphique aux côtés de comédiens. On peut citer, par exemple, "Babbalu Aye", spectacle de danse-théâtre présentée et primé en 1994, au festival Wemilere de Guanabacoa. Il a enfin travaillé comme percussionniste au sein de la troupe du cabaret "Tropicana" (1991).
Flecha a aussi développé à cette époque son activité d’enseignement. Au début des années 1990, il travaille à la Escuela Nacional de Arte comme percussionniste et accompagnateur pour les élèves de danse. En 1998, il s’est rendu au Pérou, en tant que professeur invité à l’université de Lima pour y donner des cours de danse.
Fidélité à l’authentique culture cubaine
Flecha n’est pas un homme qui dénigre et qui exclut. Il est clair cependant, qu’entre toutes les formes d’expression musicales cubaines, sa préférence va à celles qui sont le plus proches de l’authentique culture populaire.
A propos de la Salsa ou le Reggaeton, Flecha reste assez peu dissert. « Le reggaeton ? Un nouveau style qui plait beaucoup à la nouvelle génération, J’apprécie « avec moderation » dit-il. Quant à La Salsa-issue du Son et de la Contradanza- "C’est une danse populaire, née dans la rue et apprécié de tous les cubains mais qui n’est pas une danse qui s’enseigne à l’école comme on peut apprendre les danses afro-cubaines". Il affiche d’ailleurs une certaine distance par rapport à la façon dont la Salsa est parfois enseignée en Europe : "La salsa, comme toutes les danses dérivées de l’afro-cubain, nécessite une très grande maîtrise corporelle et rythmique. C’est sur celle-ci que repose, in fine, la richesse du mouvement. Or, la place accordée par les enseignants d’ici à cet aspect fondamental n’est souvent pas suffisante". Conséquence logique et cette attitude réservée : bien qu’étant lui-même un excellent danseur de Salsa, Flecha ne cherche pas à enseigner cette danse, qui pourtant représente un "marché" des plus lucratifs pour les artistes cubains. « Cela me gênerait de rentrer là-dedans, je me sentirais un peu ridicule… Et tant pis pour l’argent, cela m’est indifférent ».
Sa préférence va clairement aux formes d’expression à la fois plus anciennes et plus "authentiques" que sont la rumba, les danses des Orishas et le Son. « Je montre l’afro-cubain car c’est la culture qui a bercé les premières années de ma vie ». Ses artistes favoris sont d’ailleurs ceux qui font partie de cette mouvance. Parmi les disparus, Flecha voue un culte particulièrement fort aux chanteurs Luis Santa Maria Hernandez et Pedro Saavedra, aux percussionnistes Manolo Pedroso "Caravella", Chano Pozo et Raul Diaz, ainsi qu’à Beni More. Parmi les artistes vivants, Flecha cite notamment Chucho Valdes, Arturo Sandoval, ainsi que Larissa Bacallao, une jeune chanteuse de 19 ans issue de la famille fondatrice de l’Orquesta Aragon, qui a notamment interprété de manière extraordinaire certaines succès de Whitney Houston
Il existe selon Flecha une très grande différence entre la rumba, très influencée par la culture populaire espagnole (Flamenco, Contradanza…), et les danses des Orishas, plus purement issues des traditions africaines. . "La rumba est née dans le petit peuple de la Havane et de Matanzas, tandis que les cérémonies des Orishas ont été directement apportées par les esclaves africains. Elles symbolisent la nature, les animaux, la terre, le soleil, les attributs des Dieux, comme la hache et la pierre de foudre de Chango ou l’épée de Oya » (voir ci-contre, la danse de Oggun et Ochun, interprétée par Papucho et Sheila).
Flecha n’est pas pour autant passéiste. Il s’enthousiasme au contraire pour la forte vitalité artistique actuelle de Cuba. "Il y a beaucoup de nouveaux artistes aujourd’hui à Cuba, et beaucoup de groupes de bonne qualité. De ce côté-là, aucun problème, les cubains jouent de mieux en mieux."
A Genève depuis 2003
C’est en 2003 que Flecha est arrivé à Genève, à l’invitation des Ateliers de Musicologie qui l’ont engagé en qualité de professeur pour enseigner la danse, le chant et les percussions dans le cadre de leur stages d’été dédiés aux musiques et danses du monde. Il a ensuite donné des cours de danse et de percussion et a participé à plusieurs spectacles et pièces de théâtre.
Parmi ses très nombreuses prestations artistiques depuis son installation en Europe, il garde un souvenir particulièrement vif du spectacle sur le thème de la religion Abakua, donné à Paris à la fin 2007, avec un groupe de sept artistes cubains (danseurs, chanteurs, musiciens), auquel s’était joint un groupe du Nigeria[4] (voir photo ci-dessus). « J’ai pu ainsi constater que la religion Abakua avait été mieux conservée à Cuba que dans son berceau d’origine, le Nigeria, où elle s’est un peu perdue », explique-t-il. Autre très récente émotion : celle d’un spectacle de tambours et chant donné en avril 2010 à Toulouse à l’occasion d’un festival de Rumba, où Flecha a rencontré un public d’une ferveur exceptionnelle.
Il va également assez souvent en Espagne pour animer des stages-festivals de rumba et chanter dans des fêtes religieuses en l’honneur des Orishas. "On leur donne des boissons, de la nourriture, on les honore avec les tambours sacrés bata". Flecha le Santero possède en effet, un tambour, sacré, ce dont il semble tirer une grande fierté (voir photo ci-contre, Flecha en compagnie de la chanteuse Montce, qui est également son épouse).
Un pédagogue enthousiaste et efficace
Flecha a des idées très précises sur la meilleure manière d’enseigner les danses populaires cubaines. Selon lui, il faut d’abord apprendre à maîtriser son corps, par des exercices de dissociation et de coordination rythmique. "Il faut dire à ton corps : tu fais, ceci, cela… C’est toi qui commande ton corps". C’est un exercice particulièrement difficile pour les danseurs européens, qui n’ont pas été imprégnés très jeunes de cette conscience corporelle, ce qui exige de leur part un surcroît de travail. Or, ces aspects pourtant essentiels ne sont pas enseignés dans les cours de Salsa.
J’ai rarement vu un enseignant de danse s’investir aussi profondément dans la relation pédagogique avec l’élève, avec une sorte de passion amicale qui réchauffe le cœur : "Il ne faut pas dire que tu ne vas pas y arriver ou que c’est difficile, tu vas y arriver". Mais cette attitude chaleureuse n’a rien à voir avec une indulgence paresseuse. Il repère en effet avec un regard aigu les défauts de l’élève. Alors les interpellations fusent, toujours amicales, mais insistantes : "Tu crois que tu fais comme moi ? Tu es bien sur ? Regarde encore !!". Mais quand l’élève parvient enfin à réaliser une progrès ou à accomplir convenablement un exercice, ce sont cette fois les exclamations enthousiastes qui fusent, et notamment son " Eso es, coño !" qui est un peu à Flecha ce que le "Azucar !!" était à Celia Cruz.
Flecha organise également fréquemment le dimanche après-midi des fêtes de rumba dans différents lieux de Genève, comme le cabaret Rive-Palace aux Eaux-Vives ou à l’Ethnic café dans le quartier de Jonction. Avec son groupe Wemilere (voir photo ci-contre et vidéos des répétitions, 1 et 2), il propose à un public d’afficionados – dont une large part est d’ailleurs d’origine cubaine – un cocktail exotique associant cours de Salsa et de Rumba, démonstrations de danse (Rumba. Abakua, orishas comme Ochun, Oggun ou Elegba, etc.) et concert de percussions et chant ; le tout entrecoupé de large plages de temps où le public – le terme ici est d’ailleurs impropre tant sont proches les artistes et les spectateurs constamment invités à faire eux-mêmes la démonstration de leurs talents – peut lui-même d’adonner aux joies de la Salsa et du Son
Un homme qui attire la sympathie
Flecha est un bel homme, grand et doté d’une musculature imposante. Son beau visage noir est taillé à la serpe dans une matière virile, avec un nez en trompette, des lèvres charnues et rieuses, de grands yeux emplis de bonté. Sa danse est à la fois puissante, légère et, souvent, drôle.
Flecha a également de grandes qualités d’artiste. Il faut le voir, complètement déchaîné, chanter tout en jouant des percussions a un rythme endiablé, stimulant les autres musiciens pour qu’ils se haussent au même niveau d’énergie que lui-même, puis troquant en un instant, dans un seul bond impressionnant, ses talents de musiciens pour ceux de danseur… Oui, il faut vraiment l’avoir vu pour le croire.
Il sait aussi rassembler autour de lui, de manière généreuse et naturelle, ceux que la véritable culture afro-cubaine intéresse à Genève ou ailleurs (voir photo ci-jointe, avec ses amis les danseurs Papucho et Cheila). Je me souviens de ces merveilleux cours particuliers, où, en rentrant dans la salle, je me trouvais soudain en présence de batteurs de tambours et de danseurs professionnels amis de Flecha, réunis au hasard d’une visite amicale ou d’une répétition impromptue. Et soudain, mon cours "particulier" se transformait en une sorte de "fête pédagogique" où Flecha apprenait à la fois aux percussionnistes à accompagner les danseurs et aux danseurs à écouter les percussionnistes. Pendant ce temps, les professeurs amis de Flecha se mettaient eux aussi de la partie, dansant une rumba pour la plaisir ou donnant eux-mêmes des conseils aux élèves. Moments inoubliables de communion heureuse.
L’humanité de Flecha s’exprime aussi dans le sérieux avec lequel il prend son rôle de père de famille. Marié depuis 2003 -« le jour de la Saint-Lazare, précise-t-il »[5] avec Montse une jeune femme espagnole qui participe également aux prestations de son groupe en tant que chanteuse, il a trois filles : à Cuba, Yamile de la Caridad, âgée de 17 ans, et Yanet de las Mercedes, de deux ans plus jeune que sa sœur ; à Genève, une petite fille de 5 ans, Anais Concepción, qu’il a eu avec Montse. En les évoquant, il a pour chacune d’elle un mot tendre. De son aînée Yamile, il semble tirer un grand plaisir à évoquer ses talents artistiques : "Elle danse déja merveilleusement, mais c’est seulement pour le plaisir. Quant à Montse, il exprime volontiers son amour pour elle :« c’est la personne dont je suis le plus proche au monde ».
Flecha est aussi plein de projets, dans une époque qui pourtant ne se prête pas bien à la reconnaissance des artistes lorsqu’ils ne sont pas protégés par de puissants labels de disques. Mais il faut le voir évoquer avec tant d’enthousiasme sa dernière rumba genevoise ou sa dernière célébration d’Ochun à Madrid ou le dernier festival de rumba de Barcelone (voir photo ci-contre) pour prendre la mesure de la force vitale qui l’anime, et qui lui permet de toujours avoir en réserve un bon souvenir, une espérance, un projet… C’est ainsi qu’à l’été 2010, il préparait activement un grand stage-festival dédié à la culture afro-cubaine, intitulé "Ogunda Masa – Raices", ("l’union fait la force – racines), qui devrait rassembler à Genève les 23 et 24 octobre prochains des artistes cubains venus de toute l’Europe.
Mais la qualité qui couronne le tout est l’empathie presque naïve qui émane de Flecha. Jamais, depuis un an que je le connais, je ne l’ai entendu dire du mal de quelqu’un. Au contraire, il semble projeter sur les autres humains un regard empli de bonté. Il aime donner, sans toujours demander en échange, en particulier de l’argent, puisqu’il laisse chaque élève déterminer la rétribution de ses cours en fonction de ses propres moyens. Il aime aider ceux dont la démarche – artistique notamment – le touche. Et il apporte ainsi à ceux qui l’entourent un sentiment accru de sécurité et d’estime de soi. Et pour eux, il ré-enchante ainsi le monde, qui en a diablement besoin.
Fabrice Hatem
[1] Un Santero est un pratiquant éclairé de la Regla de Ocha. Sans pour autant avoir atteint le grade de prêtre (Obba), il peut participer activement à l’animation de certaines cérémonies religieuses (par exemple en battant les tambours sacrés Bata) ou bien pratiquer la divination.
[2] Pourquoi ce surnom de Flecha ? « Quand j’étais petit, à 9-10 ans, je faisais de l’athlétisme. Je courais très vite. Alors quelqu’un a dit un jour : « C’est une vraie flèche, ce Reinaldo » ; et le surnom, depuis, ne m’a plus jamais quitté ».
[3] Le nom du quartier vient d’une tribu indienne qui habitait là avant la colonisation espagnole : les Guanacabibe, qui furent massacrés jusqu’au dernier par les nouveaux maîtres des lieux.
[4] Echu Aye, musique Yoruba de Cuba, Abakua et Ekpe réunis au quai Branly. Décembre 2007.
[5] Saint Lazare est l’équivalent catholique d’un puissant Orisha, nommé Babbalu Aye.