C’était il y 30 ans, mais ce souvenir me hante toujours. Il faisait un soleil infernal, en ce janvier 1809, sur la route de Salamanque. Nous, 69ème de ligne, devions rejoindre Lannes pour renforcer le siège de la ville. Ces damnés guerillas de Mina avaient empoisonné les puits sur la route en y jetant des carcasses de chevaux. Nous étions presque fous de soif et de fatigue, avec nos gros sacs sur le dos et nos fusils qui nous blessaient l’épaule à chaque pas. Poussière, poux, cagnard et sueur, c’était notre lot.
Soudain, au loin, nous entrevoyons un bosquet d’arbres décharnés avec quelques oiseaux noirs volant tout autour. Dieu soit loué, un peu d’ombre, un peu de repos. En nous approchant, nous voyions qu’y pendouillent quelques épouvantails. A 30 mètres, horreur !! Ce sont des cadavres de soldats français. Nos camarades de la 3ème compagnie, envoyés en éclaireurs la veille, sont pendus par les pieds, d’autres cloués aux branches. L’un a les bras et les jambes séparés du corps mais soigneusement remis à leur place autour du tronc. Ils ont tous les yeux crevés, certains ont leurs parties génitales coupées dans la bouche. Et puis, il y a l’écriteau : « Malditos franceses, afuera de Espana », écrit avec le sang des nôtres.
A une lieue, se trouve le village de Castillos de la Reyna, avec son monastère. Ces moines fanatiques soutiennent et ravitaillent les bandes de Mina, nous le savons bien. Notre colonel décide de faire un exemple, exauçant ainsi le souhait de chaque soldat. Arrivés au village, dont la moitié des habitants n’avaient pas fui, nous rassemblons trente paysans sur la place et nous les enfermons dans l’église avec les moines. Puis nos officiers vont voir l’alcalde et le menacent : si les auteurs du crime ne se livrent pas avant demain, nous passons tous les otages par les armes et nous brûlons le village tout entier.
Le lendemain, bien sur, personne. Alors, nous fusillons les prisonniers, nous mettons le feu au village et au monastère, et nous tuons le bétail de ces sauvages pour les faire crever de faim comme ils nous font crever de soif. L’histoire aurait pu se terminer là, et notre régiment continuer sa route après avoir fait justice. Mais voila qu’un détachement du 17ème de ligne vient nous annoncer un autres affreuse nouvelle : Les guerillas ont massacré un convoi de 100 blessés, n’épargnant pas même pas les cantinières, qu’ils ont clouées sur la porte d’une église après les avoir déshonorées. Alors, nous perdons la tête : femmes, enfants, plus aucun être humains n’échappe à notre fureur. Nous tuons, tuons, même les religieuses qui viennent implorer pitié pour les enfants, mêmes les nourrissons que nous perçons de nos baïonnettes sur le sein de leur mère.
Quand nous quittons le village, les sacs bourrées des objets d’or trouvés dans les églises et le couvent, 300 morts sont entassés dans les ruines fumantes. Le lendemain, 3 de nos soldats se firent sauter la cervelle. Et moi, le cauchemar de ces crimes, subis et commis, me poursuivra jusqu’à la tombe.