Editeur : La Salida n°48, avril-mai 2006
Auteur : Pierre Vidal-Naquet
Lyon, paysage tango
Lyon a la réputation d’être une ville discrète. Ville de passage, à l’entrée du sillon rhodanien, elle n’arrête pas le voyageur pressé d’atteindre le rivage méditerranéen. Mais les connaisseurs y font escale car ils savent tous les trésors qui se cachent côté cours…Il suffit tout simplement de pousser la porte pour découvrir les secrets de la ville…
Ouvrons donc celle du tango ou plutôt « celles » du tango car les entrées sont aujourd’hui multiples. Il faut dire que pendant longtemps, Lyon a eu la particularité de n’abriter qu’une seule association, Tango de Soie. La création de cette association fut tardive, peut-être parce que Lyon restait un peu à l’écart de certains mouvements migratoires. Ce n’est en effet qu’en 1994 que Tango de Soie voit le jour, grâce à Elizabeth Dorier et Christophe Apprill. L’association est alors accueillie dans un bâtiment historique de la ville, « la Conditions des Soies » qui, à l’époque où Lyon était la capitale de la soie, abritait le service chargé de la qualité de la matière première destinée aux canuts. Le tango cherche à s’inscrire dans le paysage lyonnais, d’abord dans les cafés de la ville. Puis, un peu à l’étroit dans les bars et surtout limité dans ses activités culturelles, Tango de Soie s’installe, aux alentours de l’année 2000, dans ses propres locaux pour y organiser une grande partie de ses activités : enseignement, milonga, concerts, expositions, conférences etc….Cette stabilisation permet d’ailleurs à l’association de lancer sa politique d’invitation à résidence. Tango de Soie accueille pendant quatre ans, Claudia Codega et Esteban Moreno qui par la suite créent leur propre compagnie de danse, « Union tanguera » et montent un spectacle, « Efecto Tango ». Le mouvement « tango » connaît alors, à Lyon, un essor très important comparable à celui que connaissent déjà depuis quelques temps d’autres grandes villes françaises.
C’est à la faveur de ce mouvement que vont être prises plusieurs initiatives tant associatives qu’individuelles et que l’offre de tango sur la ville va se diversifier. Phénomène inédit jusque là, les écoles de danses vont ouvrir leurs portes au tango argentin : le Studio 48 abrite Casa de Tango, La Platière, Lyon Tango Club, le Rockamahdjou à Villeurbanne, l’association Barrio de Tango, tandis que le Studio Jean-Claude Celdran accueille les stages animés par Djamel Safsaf. De son côté une autre association, Phénomène Tango, explore plusieurs autres lieux, comme les MJC ou des salles municipales, mais anime aussi une milonga dans une péniche, le Sirius, sur les quais du Rhône. Le mouvement se développe encore avec des associations qui se centrent surtout sur l’animation de milongas dans les cafés. Main a Mano s’installe pour un temps dans un café « branché » situé sur la place des Terreaux tandis qu’un autre café tout aussi branché, le Vox, fait une première tentative sur les bord de Saône. Le samedi, c’est dans une salle rétro, les Myosotis que Jackie Gémelli reçoit les danseurs de tango.
Toutes ces initiatives font que celui qui s’arrête à Lyon est assuré de trouver aujourd’hui un endroit où danser le tango, quel que soit le jour de la semaine. Certains soirs, il n’aura que l’embarras du choix. S’il s’attarde dans la ville quelques jours, il pourra aussi goûter différentes ambiances, des plus intimistes aux plus populaires. S’il y passe l’été, il pourra aussi danser en extérieur, tous les jeudis sous le Kiosque de la Place Louis Lumière, parfois sur les hauteurs de Lyon (Place du Belvédère) ou en plein centre à proximité de l’Hôtel de Ville.
Mais Lyon n’est pas une simple escale. Elle mérite aussi le détour. A côté du quotidien, de nombreuses manifestations sont organisées par les grandes institutions culturelles de la ville, en général en partenariat avec Tango de Soie. La Maison de la Danse reçoit régulièrement des spectacles de tango pendant l’année mais aussi à l’occasion des Biennales de la danse quand le thème le permet. Depuis près de trois ans, l’Opéra de Lyon, dans le cadre des musiques du monde, s’ouvre aussi au tango. Les théâtres ne sont pas de reste et intègrent le tango dans leur programmation. L’Université se prépare à emboîter le pas…
En parallèle de ce mouvement qui, comme ailleurs, a d’abord touché la danse, la musique connaît un certain développement local. Au-delà des orchestres de passage invités de plus en plus souvent, des musiciens s’installent à Lyon comme le bandonéoniste du groupe Silencio, José-Luis Betancor. Des formations se constituent tel Otono Porteno Quartet, l’Ensemble Espace Temps ou bien Flores del Alma, Madreselva. Le Conservatoire National de Région ainsi que l’Ecole Nationale de Musique de Villeurbanne ouvrent aussi des classes destinées à sensibiliser les jeunes musiciens au tango argentin et invitent aussi à résidence de grands maîtres du tango comme, tout récemment, Gustavo Beytelmann.
Lyon la discrète a peut-être pris le train du tango en marche mais le tango sous toutes ses formes y connaît actuellement un développement sans précédent…
Pierre Vidal-Naquet