Editeur : La Salida, n°42, février-mars 2005
Auteur : Virginia Gift
Le bandonéon : un peu d’histoire
« On ne pourrait pas imaginer le tango sans le son du bandonéon. Pourriez-vous imaginer une messe sans foi ? le bandonéon est la foi du tango » Rodolfo Medeiros, bandonéoniste.
« Le bandoneon est un instrument infernal. Il fut conçu et fabriqué en Allemagne, à une époque où les choses étaient faites pour durer, où le plastique n’existait pas. Les matériaux étaient nobles : bois, métal, cuir, nacre… Pour un bandonéoniste, l’instrument devient comme son alter ego – il est en partie vous-même, et en partie votre épouse. Cela a même une dimension homosexuelle. On se sent à la fois possédé et possesseur, on le caresse, on connaît sa température ». Rodolfo Medeiros.
Le tango est la seule musique qui soit si identifiée avec le bandonéon qu’il est difficile de concevoir la musique de tango sans lui. Le bandonéon fut le dernier instrument à être intégré dans les premiers orchestres de tango, et il devint rapidement l’instrument typique du tango argentin.
Le bandonéon est un instrument à vent, avec des anches au milieu de la boite qui produisent un son quand les soufflets poussent l’air vers l’intérieur et l’extérieur. Il fut inventé en Allemagne et amené vers les ports de Buenos Aires et Montevideo dans les dernières années du XIXème siècle, par des immigrants qui fuyaient l’Europe vers le nouveau monde pour échapper à la pauvreté et aux persécutions. Il fut d’abord utilisé dans les églises d’Allemagne qui n’avaient pas suffisament de moyens pour se doter d’un orgue. Les immigrants l’amenèrent dans leurs bagages en tant qu’instrument portable destiné à accompagner le chant, mais il fut probablement surtout utilisé pour faire danser les polkas et les valses.
L’introduction du bandonéon dans le tango fut l’un des évènement les plus important dans l’histoire de cette musique. L’une des théories est que les musiciens qui jouaient de ce grand et bizarre instrument avaient du mal à tenir la mesure rapide du tango originel, ce qui entraîna un ralentissement de la musique pour résoudre cette difficulté. Cela éloigna le tango du rythme 2/4 et conduisit à adopter les rythmes 4/8 et 4/4, transformant ainsi une danse vivante, gaie, en quelque chose de lent, d’intime et de méditatif.
Les informations sur le créateur du premier bandonéon sont presque aussi imprécises que celles concernant les origines du tango. Certains créditent de cette invention Heinrich Band, qui à l’âge de 22 ans, prit la succession de la boutique d’instruments de musique de son père à Krefeld, en Allemagne. En 1850, il diffusa une publicité qui disait ceci : « Aux amis de l’accordéon. Grâce à une nouvelle invention, nous avons remarquablement perfectionné nos accordéons et ces nouveaux instruments, ronds ou octogonaux, de 88 à 144 notes, sont disponibles dans notre boutique ».
En 1856, dans la même ville, un certain Johan Schmita, un vendeur d‘instruments, fit l’annonce suivante : « Accordéons, concertinos (aussi connus comme bandonéons) de 20-22 tons, avec des possibilits de changement d’octaves qui surpassent tous les instruments à vent portables qui ont été fabriqués jusqu’ici ».
Le bandonéon a été parfois appelé « le cousin de l’accordéon », mais son son est très différent. Certains, quand ils l’entendent pour la première fois, le trouvent « étrange » . Au premier regard, il ressemble à un accordéon, avec un soufflet entouré de claviers verticaux des deux côtés. Mais un examen plus attentif montre sa ressemblance plus marquée avec le concertina, car, au lieu d’un clavier comparable à celui du piano sur le côté droit et des boutons sur le côté gauche, le bandonéon n’a que des boutons, des deux côtés du soufflet. Une autre différence est que le bandonéon est joué posé sur les genoux, alors que l’accordéon est suspendu autour de la poitrine. Il était, et il est toujours, difficile de passer d’un instrument à l’autre.
Le bandonéon a la réputation d’être difficile à apprendre. Alors que l’accordéon produit un accord en pressant un seul bouton sur le clavier de droite, le bandonéon ne produit que des notes isolées lorsque l’air passe à travers les tuyaux intérieurs. Cependant, la difficulté du bandonéon tient surtout au fait que chaque bouton peut produire deux sons très différents, selon que le soufflet s’ouvre ou se ferme.
Le son du bandonéon est différent à la fois de celui de l’accordéon et du concertina. La construction de l’instrument est différente par le fait qu’il possède deux tuyaux qui jouent en même temps pour chaque note, l’un à la hauteur normale, et l’autre une octave plus haut. La pression de l’air dans les soufflets fait vibrer les tuyaux de métal (fermés par pression manuelle),. L’autre caractérisque forte du bandonéon est que les notes peuvent être jouées avec des intensités variables, créant ainsi une gamme unique de sons – du féroce au délicat. L’instrument peut même produire des sons proches de la voix humaine, aussi appelés « pleurs ».
L’instrument originel avait 30 boutons produisant 60 sons, mais vers le tournant du siècle, la version à 142 notes avec 71 boutons devint standard en Amérique du sud (en Allemagne, le nombre de notes fut même étendu à 152). Vers la fin de la première décennie du XXème siècle, la fièvre du tango atteint un sommet à Paris. Les musiciens français demandèrent des bandonéons plus faciles à jouer. Aussi, quelqu’un inventa une disposition des boutons plus proches de celle de l’accordéon chromatique utilisé en France. Il était beaucoup plus facile à jouer car les boutons produisaient le même son, que les soufflets s’ouvrent ou se ferment.
Mis à part le son, le bandonéon a également une apparence particulière. Comme certains concertinas, il est octogonal ou plutôt carré avec les quatre côtés coupés. Mais, à la différence des concertinas, qui ont souvent des couleurs voyantes – les bandonéons sont presque toujours noirs ou acajou, avec des décorations discrètes de fils d’argent et d’incrustations de nacre.
Dans les premières années de son incorporation à la musique de tango, le bandonéon était relégué à la simple interprétation de la mélodie et n’avait pas de fonction rythmique. Mais une évolution importante se produisit dans les années 1920, quand le tango évolua vers l’interprétation d’arrangements plus sophistiqués. Les bandonéonistes furent alors autorisés, et même encouragés par certains directeurs d’orchestres, à inventer et embellir leur interprétation. La main gauche commença à construire des successions d’accords élaborées, et à imiter la lourde percussion des danses candombe des noirs, qui joua un rôle si vital dans les origines du tango. Les orchestres de Julio de Caro et Pedro Laurenz jouèrent un rôle particulièrement important dans évolution, en introduisant des solos de bandonéon (..).
Virginia Gift