Editeur : La Salida, n°39, juin à septembre 2004
Auteur : Fabrice Hatem
Alfredo le Pera
Il est impossible de parler de Gardel sans évoquer la figure de celui qui écrivit pour lui, au cours des cinq années de leur carrière commune, quelques-uns de ses textes les plus connus, et sans doute, les plus beaux. Comme l’a dit Martin Correa : « Si Gardel chante chaque jour un peu mieux, il le doit à l’apport de Le Pera ». Nous vous proposons dans ce numéro la traduction d’une dizaine de poèmes de Le Pera, accompagnée d’une courte biographie du poète.
Le Pera naquit dans une famille de petits industriels d’origine italienne. Certains fixent sa date de naissance à Buenos Aires en 1904, d’autres, avec peut-être un peu plus de preuves, à Sao Paolo en 1900. Mais c’est de toutes manières un véritable enfant des faubourgs de Buenos Aires, où il passa sa jeunesse. Après avoir commencé des études de médecine, il se tourne rapidement vers le journalisme littéraire. Chroniqueur au journal Ultima Hora, satiriste et critique, il est bien introduit dans les milieux du théâtre et de la littérature du Buenos Aires des années 1920, où il rencontre pour la première fois Gardel en 1923, mais sans suites à l’époque. Il travaille dans différents journaux, comme La action, El telegrafo, ainsi que dans des théâtres comme El teatro de Verano. Il écrit aussi quelques poèmes de tango, notamment pour des saynètes dont il est l’auteur comme La Plata de Bebe Torres.
En 1927, il voyage pour la première fois en Europe. Il se rend à Paris pour acheter des décors de théâtre et ramène 30 chiens de race pour ses amis, dont 10 mourront pendant le voyage. Il se rend au Chili en 1930 pour accompagner une troupe de théâtre, où joue Tania, épouse de Enrique Discépolo, il écrit avec celui-ci son premier tango important, El carillon de la merced. Son activité de sous-titrage de films muets l’amène ensuite à retourner en France pour la seconde fois en 1931. Il fréquente alors le milieu du cinéma français et européen, sur lequel il écrit de nombreuses chroniques pour les journaux argentins. Sa rencontre avec Gardel date de 1932. Il commence alors à écrire pour lui des chansons et des dialogues, à l’occasion du film Esperame à la fin 1932 : Por tus ojos negros, Me da mena confesarlo, Criollita de mis ensuenos, Estudiante… Il récidive l’année suivante pour le film La casa es seria, avec les chansons Recuerdo malevo et Quiereme, puis pour Melodia de arrabal, avec les chansons Melodia de arrabal, Mananita de sol, Cuando tu no estas, Silencio.
Il accompagne ensuite à partir de 1934 Carlos Gardel aux États-Unis, où il écrit encore les dialogues et les chansons de quatre autres films : tout d’abord, avec le metteur en scène Louis Gasnier, le drame sentimental Cuesta abajo (Cuesta abajo, Amor de estudiante, Criollita deci que si, plus diverses chansons folkloriques) et la comédie légère El tango en Broadway (Rubias de New York, Caminito soleado, Soledad, Golondrinas…), puis avec un nouveau réalisateur, John Reinhardt, moins éloigné des conceptions esthétiques de Gardel et Le Pera, El dia que me quieras (Sol tropical, Guittara, guittara mia, Volver, Sus ojos se cerraron, El dia que me quieras) et enfin Tango bar (Por una cabezza, Lejana tierra mia, Arrabal amargo, Los ojos de mi moza.). Mentionnons également que dans le dernier documentaire tourné sur lui, « Chasseurs d’étoiles », Gardel chante la chanson «Amargura » de Le Pera.
Outre les chansons composées pour les films de Gardel, Le Pera a également écrit d’autres tangos, dont notamment El Carillon de la merced, Volvio una noche, Evocacion, Recordando et vals de las guitarras.
Comme le dit Horacio Ferrer, « Alfredo Le Pera appartient à une génération d’auteurs qui ont enrichi la poésie populaire par l’apport d’une création poétique plus élaborée. Il a réussi à conserver l’authenticité de la culture du Río de la Plata tout en la mettant à la portée d’un public international ». L’œuvre poétique de Le Pera constitue un travail de bonne facture littéraire, influencé par les courants du nouveau romantisme et du modernisme, incarnés par des auteurs tels que Ruben Dario, Amado Nervo, Gustavo Adolfo Becquer, Evarito Carriego, Almafuerte. Il s’agit d’une poésie lyrique, où l’amour et la femme sont constamment exaltés. On y trouve des images littéraires relativement élaborées qui contrastent avec le réalisme d’auteurs des années 1920, comme Pascual Contursi ou Celedonio Flores. Sans trop tomber dans le cliché ou le lieu commun, Le Pera a puissamment contribué à créer un certain nombre de situations et de personnages archétypaux de la poésie tanguera : l’homme brisé par la vie qui revient sur les lieux de sa jeunesse, l’amour de l’exilé pour Buenos Aires et ses faubourgs, le déchirement sans remède de la perte amoureuse, la nostalgie de la jeunesse et de l’innocence perdues, l’amertume de l’homme trompé et humilié. Mais on y trouve aussi – thèmes moins fréquents dans la littérature tanguera, un peu d’humour, d’autodérision, et même parfois d’espoir.
Fabrice Hatem
Une très large variété d’auteurs
Au delà de son étroite collaboration avec Alfredo Le Pera au cours des dernières années de sa vie, Carlos Gardel a interprété les textes d’un très grand nombre d’auteurs des années 1920 et 1930, parmi lesquels, bien sur, les plus grands poètes tangueros de l’époque. Les 780 pièces qui figurent à son répertoire proviennent de plus d’une centaine d’auteurs différents, parmi lesquels on peu notamment citer (liste non exhaustive) :
Froilan Aguilar (Murmullos), Luis Cesar Amadori (Cobardia, Madreselva), Mario Battistella (Sueno Querido, Cuando tu no estas, Estudiante…), Eugenio Cardenas (Senda Florida), Juan Caruso (La garçonnière), Antonio Cascani (Farabute), Roberto Cayol (Viejo Rincon), Pascual Contursi (La Cumparsita, Mi Noche Triste), Jorge Curi (Noche de Reyes), Enrique Discepolo (Confession, Chorra , Yira Yira, Esta Noche me emborracho..), Celedonio Flores (Viejo Smoking, La mariposa, Mano a mano, Tengo miedo), Alfredo Navarrine (Barrio reo), Julio Navarrine (A la luz del candil), Osman Perez Freire (Como agoniza la flor), Juan Ghirlanda (Aquellas Cartas), Homero Manzi (Milonga Sentimental), Arturo Navas (El carretero), Gabino Coria Penazola (Caminito), Horacio Pettorossi (Lo han visto con otra), José Rial (Rosas de Otonio), Manuel Romero (El rosal, La cancion de Buenos Aires, Tomo y obligo, Buenos Aires, La muchacha del circo), José Ruffet (Recordando mi barrio), Horacio Staffolani (Tacconeando), R. Tuelgas (Beso ingrate), Fernan Silva Valdes (Clavel del aire),Cesar Felipe Velani (Adios muchachos).
Retrouvez quelques unes des plus célèbres chansons de Le Pera interprétées par Gardel en cliquant sur : pera1, pera2, pera3
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