Editeur : Le nouvel économiste, n°1279, 12 novembre 2004
Auteur : Fabrice Hatem
La France, plaque tournante de la logistique européenne
Pour fabriquer un véhicule, les constructeurs européens doivent gérer en moyenne 4000 références d’approvisionnement, produites par des centaines de fournisseurs éparpillés dans tout le continent. Ces composants doivent tous arriver au bon moment sur le lieu d’assemblage : ni trop tôt, ce qui fait gonfler les stocks, ni trop tard, ce qui désorganise la production. Et cela, pour satisfaire une demande à la fois très volatile et très exigeante en matière de délais.
Ceci suppose la mise en place d’une infrastructure logistique extrêmement complexe, aux allures de mécanisme d’horlogerie, intégrant de surcroît la gestion des inévitables aléas d’approvisionnement. Des moyens de transport toujours plus élaborés, bien sûr, comme le ferroutage et la conteneurisation. Mais aussi des réseaux de sites de stockage/conditionnement hiérarchisés couvrant l’Europe entière. Et surtout, des systèmes d’information de plus en plus puissants, partagés entre tous les acteurs de la « supply chain », et permettant une gestion optimisée en temps réel de l’ensemble du réseau de production-distribution.
Car la logistique va très au delà du simple transport des marchandises. Elle touche en fait à la conception même des sites industriels et de l’architecture des réseaux de production. A l’occasion du lancement du modèle Saturn par la General Motors au début des années 1990, le logisticien Ryder avait mis au point aux Etats-Unis le concept « Nummi ». Il s’agissait d’assurer une gestion coordonnée de l’assemblage du véhicule et de la production des composants, avec des systèmes d’acheminement par navettes à partir des usines des équipementiers, et réception des pièces, très peu de temps avant utilisation, à proximité immédiate de leur lieu d’intégration sur la chaîne de montage (dispositif désigné par le terme évocateur de « milk-way »). Les quantités stockées et les opérations de manutention pouvaient de ce fait être réduites au minimum : juste-à-temps et zéro-délai. Ce type d’organisation s’est depuis généralisé, y compris en Europe comme par exemple sur le nouveau site PSA-Toyota de Kolin en République Tchèque, ou encore sur le site Toyota de Valenciennes.
Mais l’automobile n’est pas la seule activité concernée. Industries de base ou de consommation, distribution, messagerie : tous les secteurs sont demandeurs. La logistique représente de ce fait aujourd’hui un marché gigantesque en Europe : près de 700 milliards d’euros, avec des taux de croissance de 5 % à 10 % l’an, et une très forte tendance à l’externalisation vers des entreprises spécialisées. Celles-ci viennent, selon les cas, du monde du transport, comme Ryder ou Nobert Dentressangle, de la messagerie, comme DHL ou Federal Express, ou encore des entreprises utilisatrices elles-mêmes, qui ont progressivement filialisé leur service logistique, à l’exemple de PSA avec Gefco. Ces fournisseurs de services logistiques cherchent à élargir leur offre vers une prise en charge de plus en plus complète de la « supply chain » : transport, bien sur, mais aussi entreposage, manutention, conditionnement, assemblage, distribution, gestion des commandes et des formalités douanières…
Qu’elle soit externalisée ou gérée en interne par l’entreprise utilisatrice, la logistique, souvent conçue au niveau de l’Europe toute entière, suppose de lourds investissements en sites de stockage ou en flottes de véhicules, avec de nombreux emplois à la clé : près de 20 000 par an en moyenne pour les seuls projets à dimension internationale annoncés sur le vieux continent au cours des 5 dernières années. Des projets qui font l’objet d’une forte concurrence entre sites d’accueil potentiels.
NYK Logistics près de Lyon. Federal Express à Toulouse, Annecy et Rouen. Prologis à Lesmesnil. Metro à Saint-Malo. Ambrogio à Mougerre : rien qu’au cours de l’été 2004, une dizaine de projets logistiques d’origine étrangère ont été annoncés en France. Notre pays se taille en effet une part importante du marché européen : près de 20 % des emplois créés (et même près du quart pour la seule Europe de l’ouest) au cours des 5 dernières années selon les données d’Ernst and Young ou de l’AFII. La France offre en effet plusieurs atouts majeurs : une bonne position géographique au cœur du marché ouest-européen ; des infrastructures de transport moins saturées qu’en Europe du nord ; des terrains de qualité à des prix relativement peu élevés ; une offre abondante de main d’œuvre qualifiée et de services de haut niveau (plate-formes logistiques). Il existe bien sur quelques points noirs : la fiscalité (charges sociales, TIPP, taxe professionnelle..) et des infrastructures portuaires un peu moins performantes dans l’ensemble qu’en Europe du nord. Mais à condition de surmonter ces handicaps, la France dispose aujourd’hui d’une chance réelle de s’imposer comme l’une des principales plaques tournantes de la logistique européenne.
Pour consulter une étude sur les investissements logistiques en Europe :
/2006/06/09/les-investissements-etrangers-en-europe-en-logistique-2002-2005-juin-2006/