2788 : c’est le nombre de mes amis Facebook aujourd’hui.
C’est à peu près 1000 de plus qu’il y a 4 ans.
Pourquoi est-ce important pour moi ?
Parce que ça me prouve qu’être honnête et sincère n’empêche pas forcément d’être apprécié par les gens.
Il y a 4 ans, beaucoup de gens m’appréciaient déjà, mais pour des raisons très différentes de celles d’aujourd’hui.
J’avais en effet plus ou moins acquis l’image d’un spécialiste des cultures populaires latino-américaines (Tango et musique cubaine notamment).
Je ne renie pas cette époque : j’étais vraiment sincère et engagé dans une découverte passionnée de ces univers. Je faisais partager cette aventure aux autres, et ils m’en étaient reconnaissants.
Mais il manquait tout de même quelque chose d’essentiel là-dedans : une vraie capacité à être moi-même, à exprimer une opinion personnelle sur les choses.
Je me contentais de faire preuve d’une forme d’enthousiasme un peu naïf, trivial si l’on peut dire, du style : « le tango, c’est très beau », ou « les cubains sont des gens bien ».
Pour donner forme et contenu à cet enthousiasme, je résumais les livres des autres, je filmais les prestations des autres, je tendais un micro complaisant à plein d’artistes cubains ou argentins à l’occasion d’interviews d’ailleurs souvent fort intéressants… Bref, je disais en gros, aux gens : « regardez comme le tango et la salsa c’est bien, lisez ce que j’écris là-dessus, remerciez-moi d’avoir parlé de vous ou de vous avoir parlé des autres, et aimez-moi aussi un petit peu à cause de cela. » Au fond, je cherchais à n’avoir que des amis en tenant un discours complètement consensuel, gentillet, et en évitant les sujets susceptibles de fâcher les gens.
Et, finalement, cela marchait assez bien : les gens lisaient mes articles et mes livres, regardaient mes vidéos, m’étaient reconnaissant d’alimenter ainsi la passion qu’ils partageaient avec moi, et me le témoignaient de mille façons.
Mais, malgré toute ma réelle sincérité, ma démarche de l’époque était aussi emprunte d’un certain narcissisme, et très focalisée sur le plaisir personnel de la danse. Enfermé que j’étais dans cette sorte de tour d’ivoire, j’étais au fond assez insensible aux véritables problèmes du monde et de mon pays.
Et puis, au cours de l’année 2015, s’est produite une série d’événements qui m’a en quelques sorte contraint à sortir de ma bulle : les attentats de Charlie Hebbo, d’abord, puis les immenses vagues de migration des réfugiés syriens et africains vers l’Europe, ensuite, enfin les horribles attentats de novembre 2015 à Paris… sans compter plein d’autres petites tragédies du même ordre, quoique de moindre portée.
Tout cela a constitué pour moi une terrible commotion qui m’a contraint à sortir de mon doux état d’hédonisme contemplatif et auto-centré pour m’intéresser au monde réel : un monde plein de fureur, de haine et de sang.
C’est là que mes problèmes ont commencé. Mais des problèmes qui, finalement, ont contribué, je crois, à me faire grandir et à m’aider à devenir davantage moi-même plutôt que le témoin de la vie des autres.
En effet, mon analyse spontanée des évènements du monde entrait en contraction totale avec la doxa multiculturaliste qui faisait alors régner une sorte de terreur idéologique dans les milieux semi-artistiques et semi-intellectuels qui constituaient mon écosystème existentiel et le terreau de ma réussite sociale. Une doxa où la lutte contre les inégalités, l’accueil obligé des migrants, le refus de reconnaître le danger islamiste et son lien avec l’immigration de masse, ou encore la culpabilisation permanente d’un homme blanc occidental accusé de toutes les turpitudes et désigné comme le coupable de tous les maux de la planète, constituaient autant de mantras quasi-obligatoires pour avoir droit au label de « mec bien ».
A contrario, exprimer une critique de ces idées exposait au risque d’être catalogué comme « facho » et d’être conduit à une forme de stigmatisation et de mort sociale.
Or, à mes yeux, toutes ces idées soi-disant progressistes n’étaient au mieux que de dangereuses illusions, au pire des mensonges haïssables.
Vu l’urgence de la situation, j’avais le sentiment que je ne pouvais plus laisser passer sans protester toutes les inepties multicul-diversitaires, accompagnées de toutes sortes d’insultes voire de menaces contre les conservateurs patriotes, que je voyais défiler à longueur de journée sur mon fil Facebook.
Mais cela me confronta alors à un difficile dilemme.
Dire ce que je pensais, c’était dangereux : je risquais non seulement d’être lynché en ligne, mais surtout de perdre l’espèce de capital de sympathie et d’estime que je m’étais constitué par mon travail sur les cultures latinos, voir se fermer les portes pour mes recherches futures, etc. Bref, je craignais de prendre le chemin d’une sorte de suicide social si je commençais à parler librement et sincèrement. Je pensais, en effet, que mes idées étaient très minoritaires dans les milieux ou j’évoluais.
Alors, courageux mais pas téméraire, j’ai commencé par avancer à pas de loup, distillant ma pensée à travers toutes sortes de faux-semblants et d’allusions, afin de n’être pas directement victime d’un lynchage bien-pensant. Comme cela produisit finalement peu de réactions négatives, je m’engageais de plus en plus franchement dans cette voie, jusqu’à exposer directement ma pensée en termes cependant encore édulcorés. Je me mis également à intervenir de plus en plus fréquemment – sur un ton encore modéré et allusif – sur les pages des tenants de la pensée progressiste dominante. Mais, Facebook étant ce qu’il est, mes tentatives d’édulcoration n’empêchèrent pas certaines de ces interventions de dégénérer en pugilats verbaux accompagnées de toutes sortes de propos vindicatifs à mon égard, tandis que ma page était envahie à son tour par mes nouveaux adversaires idéologiques, parmi lesquels je ne tardais pas à dénombrer, à ma grande tristesse, quelques-uns de mes meilleurs amis de l’époque et de bons compagnons de soirées latines.
A partir de là, le débat ne cessa de se faire plus âpre, jusqu’à ce que je constate que le nombre de mes amis commençait à diminuer. Oh, ce n’était pas une hémorragie, juste quelques dizaines de départs en trois mois, d’août à octobre 2015. Je perçus cependant cette désaffection avec une douleur et anxiété d’autant plus vives que c’était la première fois que cela m’arrivait : comme auparavant, j’étais très consensuel et gentil avec tout le monde, me contentant de poster sur mon mur des articles tout à fait innocents (et très lus) sur les cultures latines, personne n’avait encore pensé à m’éliminer de sa liste de contacts, et le nombre de mes amis (en fait de mes lecteurs) ne cessait donc de croître. Or, avec ce phénomène nouveau de reflux, je voyais maintenant avec inquiétude se concrétiser ma crainte que ma déviance idéologique ne compromette ma position péniblement acquise de référent culturel mineur dans le monde latino français, d’autant que parmi les partants se trouvaient quelques bons artistes, bien sûr progressistes, et pour certains particulièrement pointilleux en matière de lutte contre ce qu’ils appelaient « les idées nauséabonde de l’extrême-droite ».
Je réagis alors par une forme de fuite, en cessant vers le mois d’octobre 2015 de poster des messages à caractère politique, puis me déconnectant quelques semaines de Facebook dans l’espoir de calmer les choses. Mais survinrent alors les abominables attentats de novembre 2015. Ceux-ci provoquèrent en moi un tel choc émotionnel (accompagné de la conviction désormais absolue que mes analyses politiques étaient pleinement confirmées et celles de mes adversaires, discrédités), que je revins sur Facebook, pour cette fois exprimer mes opinions sans aucune ambiguïtés ni faux-semblants. Poussé par la colère et par le sentiment d’urgence, j’avais franchi le pas du courage et de la sincérité.
Il en résultat une nouvelle vague de départs, parfois discrets, parfois accompagnés de messages désobligeants voire franchement injurieux. Cela m’affecta bien sûr un peu, mais je commençais à en prendre l’habitude, et de plus j’étais bien décidé désormais à dire clairement ce que je pensais. Et, fait nouveau, je reçus également, en nombre croissant, des messages de soutien de la part de contacts anciens dont je n’aurais pas soupçonné qu’ils partageaient mes idées. Les partages sur Facebook aidant, je reçus également les invitations d’un nombre croissant d’inconnus qui avaient lu l’un ou l’autre de mes posts et désiraient renter en contact avec moi. Et je m’aperçus alors que, loin d’être aussi seul que je le pensais, j’exprimais des idées partagées par un nombre beaucoup plus grand de gens que je ne l’aurais imaginé, et dont certains semblaient – y compris dans mon ancien milieu d’afficionados latinos – me vouer une très vive reconnaissance pour le fait d’avoir osé exprimer tout haut ce qu’ils pensaient tout bas, sans avoir eu eux-mêmes jusque-là le courage de le dire du fait d’une pression sociale peut-être d’ailleurs en partie imaginaire.
Le phénomène bien connu, sur les réseaux sociaux, de l’enfermement progressif sur un groupe de connivence commença à jouer à plein pour moi. D’une part, le vivier de mes adversaires pseudo-progressistes s’épuisait de lui-même par le départ de ceux qui étaient hostiles à mes propos ; d’autre part, le nombre de nouveaux amis partageant mes opinions patriotes et conservatrices s’accroissait régulièrement, pour même exploser au cours des deux dernières années. Leurs marques d’intérêt de plus en plus nombreuses m’encourageaient à publier des textes de plus en plus fréquents, de plus en plus travaillés, de plus en plus incisifs sur le fond et polémiques dans leur forme. Je passais ainsi, au fil des ans, du lâche « que pensez-vous de ce texte de droite lu par hasard sur Internet et qui m’a troublé ? », au prudent « je ne voterai jamais FN, mais tout de même il faut comprendre les raisons de ceux qui le font », puis à l’accusateur « je considère que la gauche porte une responsabilité historique dans son refus de lutter contre l’islamisme », enfin au provocateur « il faut barrer la route à tous ces sales petits connards islamo-gauchistes incompétents et dogmatiques » (j’en resterai là, juré, je n’irai pas plus loin dans les imprécations verbales).
Ce qui me frappa, c’est qu’alors que mes propos se faisaient plus durs, plus accusateurs, plus véhéments parfois, la violence de mes contradicteurs, ainsi que la fréquence de leurs attaques, diminuait jusqu’à pratiquement disparaître (le plus probable est que, lassé de mes imprécations, ils avaient cessé de me lire). Au contraire, le nombre de mes lecteurs amicaux augmentait rapidement jusqu’à atteindre des niveaux équivalents, puis nettement supérieurs à ceux de mes meilleures années de spécialiste des danses latines.
Bref, j’étais en passe d’acquérir un (minuscule et confidentiel) statut de polémiste de droite, finalement un peu comparable à celui qui avait autrefois été le mien sur la scène latino. Une évolution dont témoigna, justement, le quasi-doublement du nombre de mes amis Facebook au cours de cette période ainsi que la publication de quelques-uns de mes articles dans les revues Causeur et Contrepoints.
Mais surtout, le contenu de mes écrits s’était profondément transformé. Au lieu de reproduire ou commenter la pensée des autres, j’exprimais la mienne. Au lieu de chercher à être ami avec tout le monde, j’attaquais violemment ou provoquais ceux dont les opinions étaient opposées aux miennes ; au lieu de craindre de perdre des amis Facebook, je me félicitais de voir telle ou telle de mes interventions susciter des vagues croisées de départs et d’arrivées. Bref, je m’étais accroché deux couilles, j’avais enfilé mes gants de boxe, et le gentil garçon que j’étais autrefois s’était transformé en chien de combat. Et finalement, je ne me portais pas plus mal, et même plutôt mieux, qu’avant.
Cette expérience a donc représenté pour moi en dehors de toute considération politique, une forme d’ascèse, une libération du conformisme et du manque de confiance en moi qui inhibaient jusque-là l’expression de ma pensée personnelle et me réduisait à vivre à l’ombre du talent des autres. Et cela a constitué dans ma vie une évolution extrêmement positive dont je me félicite tous les jours.
(texte écrit en Janvier 2020)