Depuis des mois, des années, je me sens chaque jour un peu plus oppressé par la réduction constante du périmètre de nos libertés et par l’intrusion croissante de d’Etat dans nos vie. Hausse de la pression fiscale jusqu’à des niveaux confiscatoires, multiplication sans frein des lois, réglements et interdictions nous transformant en délinquants potentiels dans les actes les plus ordinaires de notre vie, mise en place d’une société de la surveillance généralisée et de l’arbitraire étatique, dégradation de cette liberté fondamentale qu’est le droit à la sécurité et à une justice de qualité, dérive moralisatrices d’un Etat prétendant entraîner, à la schlague, une société rétive vers les lendemains qui chantent de l’utopie multiculturaliste : vraiment, je me sens de plus en plus mal, oppressé, surveillé, intimidé, dans cette société-là.
Mais peut-être suis-je un cas à part ? Peut-être mon angoisse n’est-elle que le reflet d’une mal-être personnel, d’un regard trop anxieux porté sur le monde ?
Alors, j’ai demandé autour de moi à mes amis, à mes collègues si ils ressentaient un peu la même chose que moi.
Et leur réponse m’a surpris, parce qu’elle mettait en lumière un clivage d’ordre politique auquel je ne m’attendais pas du tout.
En effet, ce clivage n’opposait pas des gens de droite et de gauche. Il opposait plutôt les modérés aux extrémistes, les sans-opinions aux militants, les partisans du compromis aux défenseurs convaincus d’une cause particulière.
Les modérés, les centristes, les sans opinion tranchée, avaient l’air en général de penser que je m’affolais pour rien.
Par contre, les militants, les passionnés, les utopistes partageaient toutes tendances confondues, mon point de vue.
Et c’était pour moi une grande surprise de voir des gauchistes enragés, des militantes féministes passionnées et autres diversitaires de tout poil exprimer, finalement, un discours assez proche des néo-conservateurs et autres identitaires sur le recul des libertés et l’avènement d’un Etat autoritaire.
Bien sûr, ils ne parlaient pas des mêmes sujets : les premiers évoquaient l’intensification de la chasse aux sans-papiers, le démantèlement des droits sociaux par l’offensive dite néo-libérale, l’accroissement de l’arbitraire policier ou le recul des droits des femmes : les seconds, la criminalisation progressive de la pensée conservatrice, l’infiltration des lobbies diversitaires dans l’appareil d’Etat et la multiplication subséquente des lois morales « progressistes » ayant pour conséquence une destruction progressive des base de la civilisation occidentale.
Mais, à part cela, ils étaient quand même d’accord sur mon diagnostic d’un recul des libertés face à un Etat de plus en plus intrusif et autoritaire -le tout s’accompagnant d’une montée du chaos social, décrit sous des formes qui n’était opposées qu’en apparence.
La question que je me suis alors posée et de comprendre pourquoi des gens aux idées aussi opposées convergeaient sur ce socle de constat commun.
Bien sûr, on pourrait botter en touche en disant simplement que, comme il s’agit dans les deux cas gens un peu exaltés, il est normal qu’ils expriment une même vision tragique de la réalité mesurée à l’aune de leurs utopies.
Mais il y a autre chose : ils avaient souvent l’air d’être dans le même état d’affolement, de fureur et l’abattement que moi.
Comme s’ils voyaient tous le même monstre se lever à l’horizon, mais simplement sous des angles de vue différents.
Si l’on veut comprendre cela, il suffit simplement de se dire que néo-libéralisme, étatisme et multiculturalisme ne sont pas nécessairement des concepts inconciliables, au contraire. En tout cas, pas dans un premier temps, et pas en France. Car dans notre pays, nous avons réussi, pour notre plus grand malheur, à associer ces trois fléaux :
– Le néo-libéralisme bruxellois qui expose sans défense nos entreprises à la concurrence de produits étrangers moins coûteux (car moins imposés) tout en favorisant l’invasion de notre territoire par des populations allogènes.
– L’étatisme français traditionnel qui écrase le pays d’impôts et le drogue à la dépense publique, dissuadant ainsi les habitants de travailler en les empêchant de jouir du fruit de leur travail, tout en se dotant des moyens de surveiller et de réprimer de plus en plus sévèrement les déviants et les révoltés.
– L’idéologie progressiste-diversitaire qui ronge peu à peu les base de notre civilisation et de même de notre démocratie représentative à travers l’affirmation constante des droits sécessionnistes des minorités, facteur de fragmentation communautaire.
Il y en a pour tout le monde, là-dedans : les gauchistes préféreront parler d’écrasement des plus faibles par le néo-libéralisme et de montée de l’arbitraire policier ; les conservateurs, d’atteintes portés à la souveraineté et à l’identité nationale ou de répression de la parole patriotes. Mais en fait, ils décrivent tous, selon des points de vue différents, la montée d’un nouveau totalitarisme paradoxal, associant néo-libéralisme mondialiste, autoritarisme spoliateur d’Etat, et utopie multiculturaliste.
Bien entendu, ce mélange est intenable sur le long terme. La mondialisation économique associée à la spoliation fiscale enferme les entreprises françaises dans une double contrainte dont elles ne peuvent sortir que par la faillite ou la délocalisation. L’Etatisme associé au multiculturalisme favorise la diffusion d’une sorte d’idéologie diversitaire officielle qui ne peut conduire la société qu’à la fragmentation, au chaos, et la lutte de tous contre tous ; et le cocktail mondialisation-économique/multiculturalisme constitue une menace existentiel pour la souveraineté nationale et le système de démocratie représentative dont elle constitue le socle, ainsi que pour les solidarités sociales qui permettent aux plus fragiles de garder la tête hors de l’eau .
Et tout cela, sous des angles différents, les gauchistes et les néo-conservateurs le perçoivent tous très bien avec une grande inquiétude, alors que le peuple du centre mou préfère préparer son prochain week-end…