Une foire aux idées gauchistes pour inventer de nouvelles sources de dépenses publiques et de nouveaux impôts.
L’une des thèses centrales de mon futur ouvrage « La dictature insidieuse » est que l’abus des dépenses publiques et l’interventionnisme trop poussé de l’Etat en matière sociale et économique créent, même en l’absence d’une volonté politique explicite, les bases matérielles d’un régime totalitaire. Je ne suis donc intéressé à la littérature concernant l’Etat-Providence, qui constitue à mon sens l’un des vecteurs majeurs de l’instauration de ce « totalitarisme soft » que je dénonce. L’article de Laurent Olivier, « Construction, déconstruction et réinvention de l’État providence », m’a paru a cet égard très précieux, car il constitue une bonne synthèse de l’histoire de l’Etat-Providence comme des causes de sa crise actuelle. Mais, surtout, en explorant les perspectives d’avenir, il nous livre un petit musée des horreurs des idées écolo-gauchistes susceptibles de justifier une nouvelle extension des domaines d’intervention de l’Etat, donc des dépenses publiques, donc de la spoliation fiscale, donc du « proto-totalitarisme soft » objet de toutes mes hantises.
Le texte est divisé en trois parties : historique de la genèse de l’Etat-Providence et tentative de classification de ses diverses expressions nationales ; analyse des facteurs de sa crise actuelle ; exploration des voies d’avenir pour une réinvention de l’Etat-Providence.
L’état social naît dans le sillage de la révolution industrielle, pour pallier aux lacunes d’un modèle individualiste et libéral des rapports sociaux, instauré sous l’influence de la philosophie des Lumières et fondé sur une approche contractuelle de la relation employeur-salarié. Il s’agit alors de remédier au paupérisme de masse lié au régime capitaliste par la mise en œuvre, sous l’égide de l’Etat, d’un système juridique de solidarité et d’assurance mutuelle. Cet « Etat social » de nature juridique se mue ensuite, au fil du temps et à des rythmes différents selon les pays, en un « Etat social actif », qui se fixe un objectif plus large : il s’agit désormais, non de remédier à des dysfonctionnements partiels et ponctuels du système capitaliste, mais d’intervenir sur ses mécanismes afin d’améliorer les conditions de fonctionnement d’ensemble du marché du travail (objectif de plein emploi, droit du travail..). Cette extension de l’Etat social conduit ensuite à l’émergence du concept plus ambitieux et politique d’Etat-Providence, dont la philosophie consiste à assurer, au-delà de la simple remédiation aux seules lacunes du rapport salarial, la protection et le bien-être de l‘ensemble de la population, afin de garantir la paix sociale.
Cet Etat-providence prend par ailleurs des formes différentes selon les pays. Gøsta Esping Andersen identifie ainsi trois grandes formes d’Etat-providence, correspondant à trois grands types de vision historique des rôles respectifs de l’économie de marché, des corps intermédiaires et de l’Etat : l’État providence libéral anglo-saxon, moins interventionniste et plus inégalitaire, où l’intervention de l’Etat se limite à une rôle de remédiation à la marge des insuffisances des systèmes d’assurances sociales régis par le marché ; l’État providence conservateur corporatiste ouest-européen, où le domaine de protection géré par l’Etat est beaucoup plus large, mais où la nature et le niveau des prestations accordées dépend de l’appartenance, de préférence stable, à un groupe social ou professionnel donné ; enfin, l’État social-démocrate scandinave, qui repose sur une logique d’universalisation et de dé-marchandisation des droits sociaux, avec une forte volonté redistributive financée par une fiscalité très progressive.
L’entrée en crise de cet Etat-providence, à partir des années 1970, est liée à plusieurs facteurs analysés entre autres par Pierre Rosanvallon : crise financière liée à l’augmentation constante des dépenses de protection ; crise de légitimité liée à la contestation néo-libérale ; crise d’efficacité liée à l’incapacité à contrer la montée des inégalités ; enfin, crise philosophique liée à la difficulté à prendre en charge de nouvelles formes d’exclusion, en grande partie nés du passage à une société post-industrielle de services et à l’explosion de la cellule familiale : travailleurs pauvres, salariés précaires ou aux carrières fragmentées, femmes seules avec enfant, chômeurs de longue durée, seniors et jeunes adultes non qualifiés marginalisés sur le marché du travail… Le financement largement fondé sur les cotisations salariales constituant de plus un facteur de fragilisation du système tout en pénalisant la création d’emploi.
Plusieurs pistes sont alors proposées pour un renouveau de l’Etat-providence, qui, au-delà de leurs différences, ont toutes pour point commun d’insister davantage sur son nouveau rôle d’anticipation et de prévention par rapport à son rôle palliatif traditionnel :
La « troisième voie », proposée par Anthony Giddens propose un dépassement de l’opposition entre le néo-keynésianisme interventionniste et sa critique néo-libérale par une vision d’un Etat visant à donner à tous une véritable égalité d’accès à ces biens collectifs de base que sont par exemple la santé et l’éducation (formation permanente notamment). Cette approche privilégie une recherche de l’égalité des possibilités et des chances par rapport à celle de l’égalité des situations et des richesses, thématique à laquelle l’auteur reproche son caractère niveleur. Elle insiste peu de ce fait sur le caractère redistributif de l’Etat-providence, tout en mettant l’accent sur l’importance de la responsabilité civique individuelle (les droits n‘existant pas sans les devoirs).
L’approche par « L’investissement social » proposée par Esping-Andersen donne à l’Etat-providence le rôle de faciliter la transition entre l’ère de l’économie industrielle et celle des services. L’Etat-providence compensateur et remédiateur a posteriori des défaillances du marché cède ainsi à un Etat préparant l’avenir par l’investissement dans le capital humain. Une place essentielle est donnée dans cette approche à la formation, avec une priorité donnée aux femmes (objectif d’égalité professionnelle) et aux enfants, dont les conditions d’apprentissage initial doivent être améliorées. La mise en œuvre de ces politiques ambitieuse nécessiterait par ailleurs une forte augmentation des ressources.
Les théories de « L’Etat social actif », qui ont inspiré en Allemagne le programme social du SPD depuis 2007, visent à privilégier les dimensions d’anticipation de prévention par rapport à l’action réparatrice : désactivation des dispositifs d’aides décourageant le retour à l’emploi, insistance sur l’éducation et la formation (première et continue), politique de santé préventive, infrastructures sociales favorisant la mobilité et l’accès à l’emploi. A travers une méthode d’essais et d’erreur, on espère ainsi limiter les dépenses de l’Etat paliatif, puisque leurs causes en seraient mieux contrôlées. Il s’agit d’une approche nettement moins interventionniste et redistributive que la théorie de l’investissement social.
Le concept de l’Etat prévoyant de « care », venu de la gauche américaine, attache une attention particulière à la qualité du lien avec les individus à travers une société du « soin mutuel », reposant sur l’attention à l’autre, la reconnaissance de ses besoins, le sens de la responsabilité associé à la prise en charge et la capacité de réponse du bénéficiaire : d’où l’importance de la thématique du soin à la personne prenant en compte les fragilités de chacun.
Le développement des « capabilités », théorisée notamment par Amartya Sen, pense la politique sociale, non plus seulement en termes de protection mais d’accompagnement, de développement des capacités des individus, de leur liberté à utiliser les moyens dont ils disposent pour choisir leur propre mode de vie. Il s’agit d’aider les populations marginales à développer leur capacité à fonctionner en société en surmontant les handicaps (santé, éducation, etc.) qui les empêchent de le faire et de transformer ainsi leurs revenus en bien-être.
L’Etat social écologique, conceptualisé entre autres par Eloi Laurent, considère qu’il existe un lien étroit entre la dégradation de l’environnement liée à la croissance économique et la montée des inégalités sociales lié aux transferts de dommages environnementaux des riches vers les pauvres. Il fixe donc comme objectif à cet Etat social écologique de lutter contre ces inégalités, elles-mêmes fruits des risques environnementaux menaçant la prospérité humaine. Recherche d’une justice sociale (à travers la redistribution) et dimension écologique (à travers la mise en place d’une fiscalité pénalisant les activités polluantes) vont donc de pair dans cette approche.
Cet article m’a beaucoup intéressé par la description assez claire qu’il fait de la genèse de l’Etat-providence, né d’un développement quasi-organique – je dirai plutôt d’une croissance quasi-cancéreuse – de l’Etat social, jusqu’à atteindre, notamment en France, la taille gigantesque que nous lui connaissons. Cette obésité de l’Etat-providence contemporain a pour corolaire pratiquement obligé une crise multiforme – dont les différents aspects sont présentés dans l’article de manière assez pédagogique -, et qui a elle-même stimulé les réflexions en vue d’une réforme. Malheureusement, aucune des différentes pistes envisagées par les théoriciens, dont l’article fournit un précieux compendium, ne m’ont entièrement convaincu :
– Soit parce leur discours un peu filandreux sur le thème du passage d’un Etat rémédiateur à un Etat anticipateur (3ème voie, Etat social actif…) masque mal une volonté de désengagement financier des fonctions de protection traditionnelles de l’Etat. La référence récurrente à une priorité aux dépenses de formation tourne en ce sens un peu à vide, dans la mesure où cette priorité existe déjà de fait depuis belle lurette. On aurait aimé que les auteurs fassent à cet égard preuve de davantage d’honnêteté et de courage en nous dressant la liste – indispensable à mon sens – de toutes les dépenses dites « paliatives » qu’ils envisagent de réduire ou supprimer. Car, au-delà des effets de rhétorique et des concepts séduisants, le vrai problème est en fait de tailler massivement dans le vif des dépenses afin de réduire la spoliation fiscale et de redonner des marges de liberté aux cotisants qui supportent la charge du système.
– Soit parce que certains approches, très ancrées dans les idéologies de la gauche alternative (Care, capabilités,..) ne fournissent que des réponses partielles, centrées sur des populations marginales (vieillards dépendants, travailleurs peu qualifiés, etc.), qui ne sont de ce fait pas en mesure de constituer de solutions d’ensemble à la crise de l’Etat-providence (tout en justifiant éventuellement le lancement de quelques nouveaux programmes coûteux).
– Soit parce certaines de ce théories très marquées à gauche (investissement Social, Etat social écologique..) ne sont finalement que des prétextes pour justifier un nouveau gonflement du rôle de l’Etat, générateur de nouvelles dépenses et de nouveaux impôts.
J’attends donc avec impatience de lire l’auteur néo-libéral courageux qui m’expliquera, simplement et clairement, quel sont les programmes sociaux et les formes de redistribution qu’il compte démanteler pour parvenir à une réduction massive des dépenses publiques liées à ces transferts. Mais sans doute n’est-ce là qu’un doux rêve… Il faudra donc vraisemblablement attendre l’inévitable faillite souveraine pour que s’effondre enfin ce Moloch au sourire trompeur – entraînant avec lui les économies que les travailleurs courageux et prévoyants avaient cru avoir réussi à soustraire à la spoliation fiscale.
Laurent Olivier, Construction, déconstruction et réinvention de l’État providence, in Civitas Europa 2014/2 (N° 33), pages 11 à 32
Nb : cette fiche de lecture s’inscrit dans mon actuel travail de rédaction d’un ouvrage intitulé « La dictature insidieuse », où je tente de mettre à jour les mécanismes par lesquels l’Etat français contemporain réduit peu à peu nos libertés. Pour tester mes hypothèses de travail, je suis en ce moment amené à lire un grand nombre d’ouvrages, récents ou plus anciens, portant sur ces questions. Comme les autres comptes rendus de lecture du même type que je publierai au cours des semaines suivantes, le texte ci-dessous ne porte donc pas directement sur l’ouvrage lui-même, mais sur la manière dont il confirme ou infirme les thèses que je souhaite développer dans mon propre livre, et que je présente au début du compte-rendu sous la forme d’un encadré liminaire, afin de les tester à l’aune de cette nouvelle lecture.