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Entre autoritarisme et chaos

Etat-providence : quand l’utopie se transforme en cauchemar

Depuis la Libération, la société française s’est bercée d’une utopie : celle d’un Etat-providence omniscient et omnipotent, dont les interventions devaient permettre de corriger, l’un après l’autre, les défauts de notre société pour la porter vers un idéal de justice, d’égalité et de prospérité.

Cette utopie – devenue presque une religion dans notre pays – avait ses prêtres (hommes politiques et hauts fonctionnaires), ses mythes fondateurs (le programme du CNR), ses rites (les élections assorties de promesses enthousiasmantes et toujours déçues) et ses temples (Berçy et l’Elysée).

Chaque fois qu’un problème apparaissait ou était nommé dans notre pays, la solution semblait évidente : il fallait, pour le résoudre, créer quatre nouveaux ingrédients : un nouveau ministère, un nouveau programme de subventions, un nouvel impôt pour financer celles-ci, et une nouvelle loi pour interdire quelque chose.

D’où une prolifération quasi-cancéreuses d’administrations et de réglementations, enserrant tous nos comportements dans un réseau de plus en plus serré de règles, d’interdiction et de contraintes.

Aucun aspect de nos vies n’était épargné par ce pouvoir immense, prévoyant et doux : logement, travail, santé, culture, transports, enseignement… chacune de nos activités avait son ministère et ses bureaucrates pour veiller à son accomplissement.

Bientôt, furent même créés des ministères directement chargés, non seulement de contrôler chacun des aspects de notre vie quotidienne, mais de conduire notre société rétive et rétrograde vers l’utopie : égalité homme-femmes, cohésion des territoires, développement durable…

Bien entendu, cela coûtait très cher, et les impôts augmentèrent en proportion directe de l’extension de ce projet utopique à ces nouveaux domaines.

Simultanément, l’Etat se trouvait confronté, par le nombre toujours croissant de ses domaines d’intervention, à un redoutable problème d’efficacité : le saupoudrage des moyens sur des objectifs trop nombreux ne permettant d’en atteindre aucun.

En particulier, il se révéla de plus en plus incapable d’exercer convenablement les fonctions régaliennes -sécurité intérieure, protection des frontières, justice – qui constituent pourtant le cœur même de sa légitimité.

Quant au reste de ses interventions, l’extension indéfinie des ambitions publiques déboucha progressivement sur une crise généralisée des moyens, qu’il s’agisse des hôpitaux en faillite ou des universités incapables de faire face à l’afflux d’un nombre toujours croissant d’étudiants.

D’où une baisse de facto de la qualité de services publics désormais trop nombreux et une crise d’efficacité des innombrables politiques publiques, dont les moyens de plus en plus étiques ne permettaient évidemment pas d’atteindre les objectifs affichés à coups d’annonces tonitruantes.

Par contre, les impôts, eux, augmentaient de manière soutenue et continue pour financer toutes ces interventions publiques condamnées par leur dispersion même à l’échec.

Le contribuable-administré se trouva de ce fait confronté à une dégradation progressive du rapport efficacité/coût des services publics : toujours plus d’impôts pour toujours moins de services de qualité.

La pression fiscale, en particulier, a aujourd’hui atteint une double limite : de niveau et de soutenabilité.

De niveau, parce qu’avec 46 % de taux de prélèvements obligatoires rapportés au PIB, la France occupe aujourd’hui les tous premiers rangs mondiaux en matière de pression fiscale, avec des conséquences désastreuses sur tous les aspects de l’activité économique : découragement à l’embauche et au travail, faible compétitivité des produits fabriqués en France, dérèglement du marché immobilier, etc.

De soutenabilité, parce qu’avec un endettement public représentant une année de PIB (et ceci sans même tenir compte de nombreux engagements de l’Etat non comptabilisés comme dette), le spectre de l’étranglement par le poids des charges d’intérêt et peut-être demain de la faillite souveraine se rapproche dangereusement.

Bref, l’Etat que vous avions pris l’habitude de considérer comme la solution potentielle à tous nos problèmes et en train devenir pour nous un grave problème sans solution.

Cette situation est encore aggravée par un phénomène d’ouverture à la concurrence internationale qui inflige en quelque sorte une double peine à la société et à l’économie française : non seulement nous ne sommes pas bien préparés culturellement à affronter efficacement cette concurrence, puisque toute notre idiosyncrasie politique nous pousse à préférer des solutions réglementées et administrées ; mais en plus le poids même des impôts et des réglementations existants dans notre pays nous met hors d’état d’affronter cette concurrence à armes égales.

L’effondrement industriel (et tout particulièrement celui de l’emploi ouvrier) observé en France au cours des 40 dernières années est directement lié – via les pertes de parts de marché et les délocalisations – à cet effet de ciseaux.

Face à ce constat aveuglant, on aurait pu espérer que des hommes politiques courageux s’attellent à la tâche urgente d’une réforme en profondeur de l’Etat, destinée à réduire radicalement le champ de ses interventions de manière à concentrer les moyens sur quelques politiques jugées prioritaires tout en dégageant des marges de manœuvre pour la réduction de la pression fiscale et le désendettement.

Culture, solidarité, coopération, recherche, enseignement supérieur : les domaines sont innombrables où il est possible de tailler dans le vif en ayant le courage de renoncer à des utopies coûteuses et inefficaces. Car il ne suffit pas, bien sûr, d’afficher de nobles objectifs pour parvenir à les atteindre si la tâche que l’on s’est fixée est d’une ampleur démesurée ou, plus simplement qu’elle se situe en dehors du champ d’action légitime des politiques publiques.

On aurait pu croire un moment que notre nouveau Président, bien conscient semble-t-il de ce diagnostic, s’attelle à cette tâche de refonte radicale des politiques publiques (c’est-à-dire, pour parler clairement, de réduction massive des dépenses). Malheureusement, le poids des contraintes politiques est tel que l’ampleur des réformes initialement annoncées s’est progressivement réduit, jusqu’à prendre la forme habituelle de quelques « coups de rabots » dans les budgets et les programmes les plus contestables. Pire encore, la mauvaise habitude d’acheter la paix sociale à coup de subventions ou d’aides semble reprendre de la vigueur, comme le montre actuellement l’improvisation fébrile du gouvernement autour d’un projet d’extension du « chèque-énergie » au domaine du transport, destiné à calmer la grogne des automobilistes (l’idée consistant en gros à créer une aide publique nouvelle pour permettre aux gens de payer un impôt nouveau…).

Alors, disons-le nettement : Les dépenses publiques représentent aujourd’hui en France plus de 55 % du PIB. Réduire ce chiffre de 10 à 20 points constitue un enjeu majeur pour notre société. Pour réduire les impôts qui nous écrasent, pour éviter la faillite qui menace, pour concentrer les moyens vers quelques priorités. Cela implique bien sûr, d’aller beaucoup plus loin que de simples coups de rabots budgétaires. Cela signifie de supprimer des domaines entiers de l’action publique, avec parfois même les ministères chargés de leur mise en œuvre. Et, plus profondément encore, cela implique de renoncer à notre religion de l’Etat-providence, aujourd’hui en passe de se transformer en Moloch obèse et autoritaire. C’est à ce prix que notre société retrouvera, avec son Etat allégé, les marges de liberté lui permettant d’affronter les défis du siècle.

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