La maison d’édition Parigramme propose depuis 20 ans un très riche catalogue d’ouvrages liés d’une manière ou d’une autre à Paris. Sa collection Mémoire des rues a pour objet de faire revivre l’atmosphère des différents arrondissements de notre capitale au début du XXème siècle, à travers des photographies d’époques accompagnées par de courts mais passionnants rappels historiques. La moisson en est particulièrement riche dans « Paris 19ème arrondissement », qui ressuscite les métiers, les décors, les ambiances, les costumes et les modes de vie aujourd’hui disparus du nord-est populaire : garçons de café aux long tabliers, boutiques de marchands de vin, charrettes à bras ou à cheval, femmes en longues jupes noires aux allures de paysannes, tramways et omnibus hippomobiles, cinémas de quartier, fanfares de rues, usines et ateliers alors nombreux autour du grand quartier industriel qui s’étendait autour du bassin de la Villette, vieilles ruelles dont on reconnaît avec peine le tracé actuel lorsqu’elles existent encore, grandes artères qui parfois n’ont pas tellement changé sauf qu’elles n’étaient pas à l’époque encombrée d’automobiles …
Des quatre quartiers qui constituent le 19ème arrondissement – La Villette, Flandres, Amérique et Combat – c’est ce dernier, s’étendant sur la bordure est du boulevard de la Villette, depuis l’avenue Simon Bolivar jusqu’à la rue de Belleville, qui m’intéresse plus particulièrement ici. Il est en effet situé à la lisière nord du quartier de Belleville qui constitue l’objet de mes actuelles tentatives romanesques. Je lui consacrerai donc la suite de cet article.
Son nom, tout d’abord. Celui-ci ne fait pas référence, comme ou pourrait le supposer, à une héroïque défense contre des envahisseurs étrangers, mais aux combats mortels entre animaux – taureaux, chiens, etc. – qui se déroulaient au XIXème siècle, pour la joie cruelle du public, à l’emplacement de l’actuelle place du Colonel Fabien (alors appelée « place des combats »), avant d’être interdits du fait de leur caractère dégradant.
Nous apprenons incidemment que c’est à également à proximité de cette place que se trouvait le fameux gibet de Montfaucon, où les condamnés à mort étaient pendus au Moyen-âge et jusqu’au XVIIème siècle. D’abord situé à l’entrée de la rue de la Grange-aux-Belles, son emplacement fut ensuite déplacé un peu plus à l’est, là où se trouve aujourd’hui le marché Secrétan.
L’ouvrage nous raconte également l’histoire du mitage progressif, au cours de la seconde moitié du XIXème siècle, de la campagne bellevilloise par un bâti de faible qualité destiné à loger des populations pauvres chassées de Paris par la rénovation haussmannienne : des immeubles de trois ou quatre étages, au confort plus que sommaire, à la façade très simple recouverte d’un enduit de plâtre, et qui sont encore aujourd’hui nombreux dans le quartier.
Quant au parc des Buttes-Chaumont, il fut aménagé en 1867, toujours par le baron Haussmann, à l’emplacement d’anciennes carrières de gypse. Sa création est contemporaine de celles de trois autres grands espaces verts parisiens : les bois de Vincennes, de Boulogne, et le parc Montsouris. Elle avait pour but d’attirer là une population fortunée, pour laquelle furent également construits à l’époque dans le quartier quelques îlots de beaux immeubles en pierre de taille. Ce pari fut pour l’essentiel manqué, les riches bourgeois ayant sans doute été quelque peu effrayés par l’épisode de la Commune, dont le nord-est de Paris constitua le cœur vivant. Aussi le 19èmearrondissement conserva-t-il pratiquement jusqu’à aujourd’hui son caractère de quartier populaire.
Nous découvrons également l’histoire des studios Gaumont, installés au début du XXème siècle sur la bordure sud-est des parcs des Buttes-Chaumont, et qui firent un moment de Belleville l’un des hauts lieux de l’industrie cinématographique naissante avant d’être supplantés après la première guerre mondiale par Hollywood.
Juste à côté, le funiculaire de la rue de Belleville reliait vers 1910 la place des Fêtes à la place de la République. Il était emprunté chaque jour par des milliers d’habitants du quartier pour se rendre à leur travail au centre de Paris… Le RER de l’époque, en quelque sorte…
Le livre fait aussi revivre des lieux entièrement disparus, comme l’insalubre mais poétique îlot Rébeval, situé sur la bordure nord du boulevard de Villette, entre les rues Rébeval et de Belleville. Un entrelacs de petites ruelles tordues et d’impasses miteuses, avec leurs façades lépreuses, leurs petites bicoques de guingois, leurs boutiques sombres aux vitrines misérables, leurs gamins en casquette et culotes courte, leurs débits de vin, et tous leurs petits métiers ambulants : marchandes de quatre saisons, rémouleurs, vitriers, musiciens, chanteurs des rues… Un petit monde humble et chaleureux, remplacé dans les années 1970 par les constructions modernes et les barres d’immeubles entourant la place Marcel Achard alors créée par les urbanistes.
L’émotion est encore plus forte lorsque l’on reconnait, sur une vieille photo, un lieu ou un immeuble qui a subsisté jusqu’à aujourd’hui. Comme cette petite maisonnette au coin de la rue de l’Atlas et du boulevard de la Villette. Comme cette rangée d’immeubles du bas de la rue Burnouf, dont la partie haute n’était cependant encore en 1900 qu’un quasi-terrain vague avec quelques ateliers montant vers la butte Bergeyre. Ou encore comme le haut de la rue Rébeval, dont les petits immeubles ouvriers ont finalement été conservés et retapés pour accueillir aujourd’hui une population nouvelle de yuppies alimentant la gentrification de Belleville…
Source précieuse d’informations sur l’histoire du quartier, ce livre nous entraîne également vers un poétique voyage dans le temps en nous restituant son visage d’hier. Sa lecture aidera les amoureux du Belleville d’aujourd’hui à discerner, dans les paysages actuels de ce faubourg populaire, les traces de son passé, que celles-ci aient été entièrement conservées ou presqu’effacées…
Patrick Bezzolato, Mémoires des rues – Paris 19ème arrondissement 1900-1940, 187 pages, Ed. Parigramme