C’était en 1997 à Shanghaï. Je travaillais alors au ministère français de l’économie, et la Chine était en train de s’ouvrir au monde occidental.
Je m’occupais de la promotion des investissements étrangers en France (à l’époque, je prenais encore ma carrière d’économiste au sérieux) et de faisais partie d’une mission officielle destinée à approfondir les liens bilatéraux avec la Chine en matière d’investissements.
Notre programme comportait toute une série d’entretiens officiels avec le gratin du monde des affaires et du développement économique de Shanghaï : patrons de multinationales chinoises, de filiales d’entreprises françaises en Chine, autorités économiques de la ville, etc.
Mais je commençais aussi à m’intéresser à l’époque an tango, et j’avais entendu dire qu’on le dansait un peu à Shanghaï.
A l’époque, internet, avec ses possibilités d’informations immédiates, n’en était qu’à ses balbutiements, et j’étais arrivé en Chine sans aucune information à ce sujet.
Je ne rendis donc le premier soir de mon arrivée, au lobby de l’hôtel pour prendre des informations, mais le personnel ne parlait ni français ni même anglais.
Je cherchai donc à me faire comprendre en petit nègre, en fredonnant une chanson de tango. Incompréhension de mes interlocuteurs.
Je me mis alors à danser tout seul devant eux un tango très évocateur (toujours en chantant la Cumparsita pour m’accompagner). J’utilisai tout mon répertoire de quebradas, corte, volcadas et colgadas les plus suggestifs.
Le personnel du lobby, de plus en plus nombreux, m’observait avec attention, avec visiblement le désir de bien comprendre la nature de ma demande pour y accéder (les chinois sont des gens très serviables et désireux de satisfaire le client).
Plein d’espoir, je continuai à mimer un tango pendant que le personnel de l’hôtel, responsables et chefs de rangs compris, entre en conciliabule à mon sujet (ils étaient, je n’exagère pas, bien 7 ou 8).
Ils discutèrent pendant au moins cinq minutes avec beaucoup d’animation, chacun y allant semble-t-il de sa suggestion.
Finalement, ils se tournèrent vers moi, tout sourire, et me tendirent un papier avec une adresse griffonnée dessus. Ils m’indiquèrent même obligeamment comment m’y rendre.
Fou de joie, je me précipitai dans ma chambre, pris mes chaussures de danse, et me rendis à l’adresse indiquée.
Je rentre alors dans un immeuble discret, monte un escalier, sonne, et me retrouve… dans un bordel.
Horrifié du malentendu (et davantage mû, à vrai dire, par la peur de perdre ma réputation professionnelle que par une réprobation morale, car elles étaient vraiment très mignonnes, d’après ce dont j’ai pu me rendre compte pendant les 5 secondes de ma présence), je m’enfuis pour me réfugier à l’hôtel.
Là, tout le personnel de la réception me fait des signes en s’inquiétant visiblement de savoir si j’étais content, si les choses s’étaient bien passées, etc.
Ils n’ont sans doute jamais compris pourquoi je ne leur ai rien répondu et ai filé, la tête basse, vers l’ascenseur.
Maintenant, je dois être fiché à vie dans les dossiers de la sécurité d’Etat chinoise comme « Diplomate occidental corruptible ».
La honte de ma vie, je vous dis !!!!
Mais tout de même, je suis fier d’avoir su restituer correctement par ma danse le caractère canaille et voyou du tango des origines !!!
Fabrice Hatem