Devant la juge, Jean n’en menait pas large. Il risquait de se voir purement et simplement privé de son RSA, devenu au fil des années, à part quelques bricolages chez des amis, sa seule source de revenus.
– Avouez que vous avez gagné de l’argent sans le déclarer, lui dit la magistrate d’un air sévère.
– Mais non, madame, je vous assure, je n’ai pas du tout travaillé, mentit Jean, la voix tremblante.
– Allons, allons, reprit la juge. Vous savez bien qu’avec un RSA mensuel de moins de 600 000 néo-euros et compte tenu de l’inflation galopante, vous ne pouvez pas survivre à Paris. Si vous n’êtes pas encore mort de faim et de froid, et si vous portez des vêtements corrects comme ceux que je vois sur vous, c’est que vous avez forcément des revenus non déclarés. C’est donc la preuve que vous êtes un fraudeur.
– Mais, madame la juge, je vous assure que je n’ai rien fait de mal. Je n’ai pas du tout travaillé depuis deux ans, je suis juste resté chez moi à regarder la télévision en mangeant des pâtes et du pain entre deux siestes.
– Allez, allez, reprit la magistrate, nous en voyons passer tous les jours, des gens comme vous, qui prétendent ne toucher que le RSA et qui ont l’air bien portants à force de manger presque tous les jours. Vous n’avez pas honte de voler ainsi l’Etat en travaillant au black pour survivre ?
– Mais, madame, cela ne servirait à rien de déclarer ce que je gagne, car on me le déduirait de mon RSA, et je n’aurais toujours en fin de compte que 600 000 néo-euros pour vivre. Comment voulez-vous dans ces conditions que les gens ne travaillent pas au noir ?
Jean ne se serait jamais douté quelques années auparavant, qu’il en serait réduit à de telles humiliantes extrémités. Il était alors cadre supérieur au sein d’une grande entreprise multinationale et gagnait très bien sa vie. Il possédait plusieurs appartements et disposait d’un compte en banque confortable.
Mais son poste de travail avait été supprimé à l’occasion d’une délocalisation vers l’Inde.
La valeur de ses avoirs bancaires avait été réduite à néant par l’hyperinflation.
Son beau château de famille du Périgord avait été déclaré « passoire thermique », et était de ce fait devenu interdit à location et invendable.
Son studio parisien était occupé depuis des années par des squatteurs indélogeables.
Quant à sa résidence principale, elle était tellement grevée de taxes foncières, d’hypothèques, de frais de remboursement d’emprunts et de charges de rénovation thermique qu’elle lui coûtait pratiquement plus cher qu’une location.
Tout cela l’avait conduit à demander de toucher le RSA, qu’il complétait bien entendu par quelques sources de revenu au black pour pouvoir simplement survivre.
Et voilà qu’on voulait maintenant lui supprimer cette dernière planche de salut.
– Mais c’est complètement injuste, s’écria-t-il.
– Taisez-vous, dit la magistrate d’un ton courroucé. Votre infraction est avérée, je vous supprime votre RSA et je vous condamne à rembourser les sommes que vous avez indûment touchées pendant 5 ans.
– Mais comment je vais vivre, alors ?
– Eh bien, si vous n’avez vraiment aucune source de revenus, adressez-vous au bureau d’aide sociale de votre commune pour déposer un nouveau dossier de demande de RSA. Ils seront bien obligé de vous l’accorder, ne serait-ce que pour vous permettre rembourser le précédent. Affaire suivante !!!