Il y a quelque chose qui me choque beaucoup dans l’interdiction des soi-disant « passoires thermiques » à la location.
Cela veut dire que si je veux aller louer un an une vieille ferme branlante en haute-Provence pour écrire des poèmes, amener ma copine et me balader avec elle dans la nature, je n’ai plus le droit ?
Cela veut dire que tout un patrimoine de vieilles maisons emplies de beauté et de souvenirs sont désormais considérées comme des épaves sans valeur ?
Cela veut dire que tout ce qui se rattache à une tradition populaire de survie indépendante reposant sur la débrouille et le bricolage, est désormais discrédité ?
Cela veut dire que le seul modèle social légitime est désormais celui de populations assistées entassées dans des HLM bétonnés ?
Cela veut dire qu’on supprime aux gens la liberté de vivre à leur manière et avec le confort qui leur convient ?
Cela veut dire que Casque d’or n’a plus le droit de se réfugier avec Manda dans une veille fermette isolée des bords de Marne pour y passer des nuits d’amour ?
Cela veut dire, aussi, concrètement, qu’on supprime la possibilité pour des gens aux ressources très limitées d’avoir tout de même un toit, même inconfortable, sans leur offrir de solution de rechange ?
Vous rendez-vous compte du caractère complètement totalitaire, éradicateur du passé, liberticide, et aveuglément anti-social, de cette mesure ?
Je vous donne ci-dessous quelques exemples de poèmes que l’application de cette mesure ne permettra plus d’écrire :
« C’est une maison bleue
Adossée à la colline
On y vient à pied
On ne frappe pas
Ceux qui vivent là
Ont jeté la clé »
« Je dors avec vous dans le même lit
Nous rêvons tous deux quand le ciel est gris au fond de la chambre
Votre corps charmant se donne à minuit
Dans un petit hôtel tout près de la rue Delambre
Y a pas d’eau courante et pour faire pipi
C’est au fond de la cour
Mais là-bas y a pas de lumière
Ces petites bêtises me sont familières
Je dors avec vous et pendant le jour
J’attends notre nuit »
« La maison près de la fontaine
Couverte de vignes vierges
Et de toiles d’araignée
Sentait la confiture et le désordre
Et l’obscurité
L’automne
L’enfance
L’éternité
Autour il y avait
Le silence
Les guêpes
Et les nids des oiseaux
On allait à la pêche
Aux écrevisses avec monsieur l’curé
On se baignait tout nus, tout noirs
Avec les petites filles
Et les canards
La maison près des HLM
A fait place à l’usine
Et au supermarché
Les arbres ont disparu, mais ça sent l’hydrogène sulfuré
L’essence
La guerre
La société
C’n’est pas si mal
Et c’est normal
C’est le progrès »
« La chambrette de la rue Ayacucho,
Que je louais dans mes temps heureux,
La chambrette où venaient les copains
Pour jouer aux cartes toute la nuit…
La chambrette ou tant de p’tits gars
Quand y étaient dans la déveine
Trouvaient du pain et un plumard,
Est toute triste et semble pleurer…
Le poêle « primus » était là
Avec sa provision d’alcool
Il nous faisait de l’eau chaude
Pour boire le maté, oui monsieur…
Il y avait aussi la guitare
Bien accordée et brillante
Et un bourge qui parlait du nez
Et rêvait d’être chanteur.
Chambrettre pauvre, retirée
Au fond de ce conventillo
Sans tapis, sans luxe, sans faste
Combien de jours heureux j’ai passé
Auprès du tendre amour d’une fille
Qui fut mienne, douce et sincère
Et qui une sale nuit d’hiver
S’en fut au ciel d’un seul coup d’aile. »
« J’avais une mansarde pour tout logement
Avec des lézardes sur le firmament
Je l’savais par cœur depuis
Et pour un baiser la course
J’emmenais mes belles de nuits
Faire un tour sur la grande ourse
J’habite plus d’mansarde, il peut désormais
Tomber des hallebardes, je m’en bats l’œil mais
Mais si quelqu’un monte aux cieux
Moins que moi j’y paie des prunes
Y a cent sept ans qui dit mieux
Que j’ai pas vu la lune. »