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Entre autoritarisme et chaos

Il n’y pas de complot, et pourtant…

10 Janvier 2020

Par les inquiétudes et les interrogations qu’elle a suscitées, la crise du COVID a servi de terreau à l’émergence de nombreuses théories complotistes : groupes pharmaceutiques créant de nouvelles maladies afin de réaliser d’immenses profits, gauchistes pédophiles tentant de subvertir la démocratie américaine, partisans occultes d’un gouvernement mondial tenant d’asservir les peuples, et quelques autres théories encore dont vous avez comme moi entendu parler.

Pour des raisons qu’il est inutile de développer ici, je ne crois à aucune de ces thèses complotistes. D’une façon plus générale, je ne crois absolument pas que la crise actuelle soit le fruit d’un quelconque complot – c’est-à-dire de l’action occulte et coordonnée d’un groupe de personnes visant les mêmes objectifs malveillants.

Par contre, je crois profondément que les conséquences – pour l’essentiel très négatives – de la crise actuelle sont assez massivement similaires à celles décrites par certains adeptes des thèses complotistes – à savoir le développement de nouvelles formes de dictatures étatiques, l’asservissement et l’appauvrissement des peuples, l’étouffement des libertés individuelles et au contraire le renforcement du pouvoir et des profits de ceux qui – notamment par la maîtrise de technologies-clés – ont vu leur position dominante se renforcer à l’occasion des évènements que nous traversons. Une sorte de « grand reset sans complot » si vous voulez, pour reprendre et détourner un terme qui a récemment fait florès dans les milieux complotistes.

Mais, à la différence des complotistes, je ne crois pas que la nouvelle forme de « dictature soft » qui serait en train de s’instaurer prendrait la forme d’un ordre stable et bien organisé. Je pense au contraire que cette concentration en quelques mains d’un pouvoir politique tenté par l’autoritarisme s’accompagnera d’une montée de la violence de tous contre tous et d’un chaos liés à la fois aux tentatives plus ou moins désordonnées de résistance des peuples, à leur fragmentation en communautés hostiles les unes aux autres et taraudées par les discours paranoïaques de leaders populistes de tous bords, et plus simplement au sentiment de désespoir et de colère qui s’emparera de beaucoup d’entre nous. Tout cela conduisant à une incapacité de fait, malgré leur déviance autoritaire de plus en plus marquée, des Etats à imposer leur contrôle sur leurs sociétés respectives. Je nommerai cela le « paradoxe de l’Etat autoritaire sans autorité » ou encore « le cercle vicieux de la dictature et du chaos ».

Grand reset sans complot, Etat autoritaire sans autorité, coexistence de la dictature et du chaos : Je développerai ici ces thèses sous la forme d’un synopsis de scénario – scénario qui ne prétend pas décrire LA vérité (que je ne connais évidemment pas) mais met simplement bout à bout un certain nombre d’hypothèses et de conjectures plausibles sans être totalement avérées.

Mais avant d‘écrire ce scénario, je voudrais rappeler les trois ou quatre « tendances lourdes » qui en constituent la matrice :

1) Les progrès des technologies du vivant, du numérique et du contrôle social dotent leur promoteurs d’un pouvoir d’influence sur chacun d’entre nous sans aucune mesure avec ce que nous avons connu dans le passé –sans pour autant, loin de là, qu’ils soient eux-mêmes en mesure de contrôler toutes les conséquences imprévues et indirectes de ces évolutions. C’est ce que j’appelerai « le syndrome de l’apprenti-sorcier ».

2) Nous assistons aujourd’hui, notamment mais seulement en Europe occidentale, à une monstrueuse dérive du projet d’Etat-Providence, qui après avoir simplement cherché à nous protéger de quelques aléas de la vie, se pense désormais légitime à contrôler –pour notre bien et notre sécurité, paraît-il – tous les aspects de notre existence, y compris nos mœurs et nos opinions, se transformant ainsi, via une mise en coupe réglée de nos libertés, en une nouvelle forme d’Etat totalitaire, les camps de concentration et goulag en moins. C’est ce que j’appelerai « le syndrome du totalitarisme soft. »

  1. Les évolutions précédentes bouleversent, non seulement les principes de base de nos démocraties – à travers notamment une remise en cause de nos libertés et de nos droits élémentaires – mais mêmes les fondamentaux anthropologiques qui constituaient jusque-là la base de notre représentation du monde, comme la partition de l’humanité entre deux sexes bien distincts, les notions de reproduction et de filiation, ou encore l’adéquation entre une communauté et un territoire lui appartenant de plein droit. C’est ce que j’appelerai « le syndrome de la perte de repères anthropologiques ».

4) Toutes ces évolutions aboutissent à une fragilisation de l’homme ordinaire, soumis sans défense à l’action de forces puissantes qui le dépassent, confronté à la perte de ses repères les plus basiques et accessoirement miné par la peur du déclassement social, de la violence, de la misère et de l’épidémie – ceci le prédisposant à toutes sortes d’attitudes négatives : dépression, désespoir, colère, vision paranoïaque du monde, agressivité contre les coupables supposés de son malheur, fanatisme politique débouchant lui-même, dans un parfait cercle vicieux, sur la tentation de l’autoritarisme et de la violence. C’est ce que j’appelerai « le syndrome du petit homme rendu méchant par le malheur »

Ces bases étant posées, je vous propose maintenant mon petit synopsis.

« Dans un laboratoire de recherche en biotechnologies mal surveillé, un stagiaire laborantin, pressé de faire ses courses avant de rejoindre sa petite amie, oublie un jour de désinfecter correctement ses chaussures en quittant son travail. Il contamine ainsi, d’abord son quartier, puis sa ville, puis son pays. Bientôt, une redoutable pandémie se répand dans le monde entier.

Face à ce fléau, les gouvernements désarmés réagissent en ordre désordonné, mais en utilisant en fait le seul moyen d’action dont ils disposent vraiment : la multiplication des interdictions pesant sur la population. Interdiction de sortir de chez soi, de rencontrer ses amis ou sa famille, et même pour certains de travailler pour gagner leur vie.

Cette politique répressive provoque presqu’instantanément une très profonde crise économique : montée en flèche du chômage, faillites, ruine de secteurs d’activité entiers, dérive terrifiante des comptes publics. Peut-être plus gravement encore, elle provoque dans la population un profond sentiment d’angoisse, liée à l’affaiblissement des liens sociaux, au naufrage de fait de certains services publics (anéantissement de l’université sous couvert de télé-enseignement), au massacre de la culture vivante et tout simplement à la disparition d’une certaine forme de joie de vivre.

Mais tandis que la majorité de la population est confrontée aux conséquences cumulées de la menace sanitaire, de l’appauvrissement, de la solitude et du désespoir, une minorité tire, sans l’avoir nécessairement prémédité et organisé, des bénéfices énorme de la crise : les industries pharmaceutiques en développant remèdes et vaccins ; les géants du numérique en renforçant leur contrôle multiforme sur le commerce, la culture, les liens sociaux et la diffusion des idées ; les dirigeants politiques en renforçant leurs moyens de contrôle et de surveillance sur la société ; les organismes internationaux en affirmant face aux Etats leur légitimité comme étant les seuls aptes à coordonner la réponse à la crise…

Cependant, malgré toutes les mesures coercitives, malgré la mise au point rapide de vaccins, les autorités ne parviennent pas à endiguer l’épidémie. Le virus montre même bientôt une inquiétante capacité à muter pour produire des variantes plus contagieuses, plus agressives et qui surtout s’avèrent résistantes aux vaccins développés pour lutter contre les souches initiales. Bientôt, la pandémie mondiale devient totalement hors de contrôle.

Les gouvernements s’engagent alors dans un cercle vicieux mortifère, restreignant sans cesse davantage les libertés, asphyxiant l’économie et réduisant des millions de leur citoyens au désoeuvrement et à la misère sans parvenir pour autant à enrayer le fléau. Ruinées, brimées, apeurées, les populations sont taraudées par un sentiment de méfiance de plus en plus profond par rapport à tous les acteurs de la crise : dirigeants politiques qui les privent de liberté sans pour autant les protéger du virus ; industrie pharmaceutiques qui réalisent d’énormes profits sans pour autant parvenir à mettre au point une thérapie efficace ; Gafa qui concentrent au détriment des « petits » toutes les activités commerciale et culturelles.

Ce ressentiment contestataire alimente des mouvements populistes voire fascisants de tous bords – gauchistes décoloniaux, droite identitaire, intégristes religieux – qui ont en commun une contestation violente du système établi et une tentation de plus en plus ouverte du passage à l’acte : émeutes, assaut contre des bâtiments officiels, attentats –ce climat de violence étant encore aggravé par une montée en flèche de la délinquance. Bientôt s’instaure une sorte de guerre civile larvée prenant la forme d’une guerre de tous contre tous : manifestants contre police, population contre Etat, droite contre gauche, races contre races, sexe(s) contre sexe(s), religions contre religions. En tentant maladroitement de calmer les choses par une censure massive et mal ciblée des prétendus messages de haine – qui ne sont en fait bien souvent que de légitimes et inoffensives manifestations de frustration – les réseaux sociaux privent la population de son dernier exutoire, renforçant ainsi la méfiance paranoïaque face aux maîtres du système et la tentation de la violence et du passage à l’acte. Bientôt, des sociétés entières, y compris certaines de celles qui étaient autrefois les plus prospères, s’effondrent dans un mélange durable de chaos, de violence, de misère et de dictature…. »

Voilà, je suis bloqué ici dans le développement de mon scénario. J’aimerais bien maintenant mettre en œuvre des forces de rappel, expliquer comment la situation revient à la normale, pourquoi la crise ouvre l’opportunité d’un monde meilleur, bref vous proposer un « happy end ». Mais je n’y arrive pas. Peut-être suis-je trop pessimiste, ou bien trop lucide, ou bien manqué-je d’imagination ou de profondeur de vues… Mais c’est ainsi, je sèche, je n’arrive pas à faire sortir mon scénario de cette spirale morbide. Peut-être avez-vous une solution à me proposer, type roman d’amour qui finit bien entre deux exilés climatiques, seuls survivants à l‘épidémie, et qui reconstruisent un monde de justice et de paix avec leurs deux enfants, Caïn et Abel… Merde, voilà que ça me reprend, je ne suis vraiment qu’un sale fouteur de cafard….

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