8 Juin 2020
Je pense que les militants antiracistes qui vont manifester demain place de la République se trompent de combat.
Ils vont en effet manifester contre ce qu’ils appellent « les violences policières racistes », alors qu’en fait notre société est confrontée à un problème beaucoup plus vaste et beaucoup plus grave dont ces violences, si elles sont avérées , ne sont au fond qu’un épiphénomène : celui de la dérive autoritaire, voire totalitaire, de notre Etat démocratique.
Cette dérive se manifeste par trois phénomènes complémentaires :
– Des possibilités juridiques de surveillance et d’intervention policières renforcées, et de moins en moins soumises au contrôle du juge du siège (perquisitions, écoutes, assignations à résidence, gardes à vue, déferrements immédiats, etc.) ;
– Le développement de moyens techniques de contrôle et de surveillance de masse (caméras vidéos, radars, surveillance du web, géolocalisation) d’une efficacité terrifiante, sans antécédent historique connu ;
– Le déclin des protections judiciaires contre l’arbitraire policier, que ce déclin soit organisé par la loi (état d’urgence transposé dans le droit ordinaire) ou résulte simplement d’un fonctionnement de plus en plus médiocre du service public de la justice.
Bref, notre ex-Etat démocratique tend à se transformer sous nos yeux en un Etat autoritaire de surveillance et de répression généralisées. Une dérive d’ailleurs accélérée par les différents épisodes de la crise du Covid 19 (confinement général de la population, gouvernement par ordonnance, mise en place de dispositifs de traçage de masse, etc.).
Il est sans doute inévitable que cette dérive se traduise par une tentation permanente pour la police d’outrepasser ses droits et de recourir à différentes formes d’arbitraire.
Il est également tout à fait possible (et même dans la nature des choses) que cet arbitraire s’exerce de manière particulièrement violente envers des catégories de population situées aux marges de la société, pour des raisons ethniques, sociales ou autres.
Bref, Il n’est pas impossible que l’une des conséquences, parmi beaucoup d’autres, de cette dérive généralisée vers l’autoritarisme étatique se traduise localement par des comportements policiers que l’on pourra qualifier de « racistes ».
Mais il ne s’agit là, à mon sens, que d’une sorte de phénomène secondaire, une résultante « en bout de chaîne » d’un mal plus profond, à savoir le déclin de nos libertés publiques, déclin qui affecte toutes les catégories de population.
En ce sens, manifester exclusivement contre les violences supposément racistes de la police est profondément réducteur et même politiquement très dangereux :
– Parce que cela résulte, comme j’ai tenté de l’expliquer, d’une analyse biaisée et réductrice des évolutions en cours ;
– Parce que cela empêche de voir que les violences dont sont victimes des membres de minorités ethniques se sont que la manifestation d’une forme de violence étatique beaucoup plus large, qui s’exerce en fait contre tous ;
– Parce qu’en focalisant l’attention sur ce seul type de violence, on introduit des ferments de division au sein de la population alors qu’au contraire celle-ci devrait s’unir pour s’opposer à l’actuelle dérive globale vers l’Etat autoritaire.
– Et parce que cette approche biaisée peut fournir un magnifique faux semblant permettant à l’Etat de poursuivre sa dérive totalitaire tout en affichant hautement des postures antiracistes sans réelle portée (les policiers eux-mêmes étant instrumentalisés comme boucs-émissaires de cette posture démagogique). Bref, nos dirigeants pourront bientôt nous dire : « vous voyez qu’on n’est pas racistes, on surveille et on réprime tout le monde avec la même violence, y compris les flics qui se lâchent un peu trop sur Facebook. Alors de quoi vous vous plaignez si on les envoie perquisitionner chez vous la nuit ? »
Personnellement, je pense donc que le vrai combat de masse légitime aujourd’hui n’est pas celui, trop réducteur à mon sens, contre les « violences policières racistes », mais contre la dérive autoritaire de l’Etat et pour la défense des libertés publiques. Un combat qui a de plus le mérite d’unir tous les citoyens, sans distinction d’origines, de sexe ou de race, dans une cause commune universelle, au lieu de les diviser entre hommes et femmes, vieux et jeunes, blancs et noirs, riches et pauvres, voire même entre policiers et citoyens ordinaires, comme c’est malheureusement le cas actuellement.
Bref, la liberté et le respect de la personne humaine ne se découpent pas en tranches de couleur.