28 mars 2020
Nourrie par la globalisation, le développement des moyens de transport, et la poussée démographique, la mobilité accrue de la population mondiale constituera sans doute l’un des grands enjeux politiques et culturels du XXIème siècle.
Cela signifie : d’une part qu’un nombre croissant de personnes seront amenées à aller vivre dans un endroit différent de celui où elles sont nées et où elles ont passé le début de leur existence ; d’autre part, qu’un nombre croissant de gens vont voir s’installer, là où ils habitent, des populations d’origine étrangère. Tout cela étant évidemment porteur de frustrations, de sentiments de mal-être et de tensions de toutes sortes (et parfois aussi, de quelques belles rencontres…).
Reste à imaginer, sous forme de scénarios, les conséquences possibles de cette mobilité massivement accrue des populations.
J’en proposerai 4, sous forme de deux couples : Multiculturalisme / Invasion et Nomadisme / Localisme.
Le couple de scénarios Multiculturalisme / Invasion est celui qui sous-tend, de plus en plus, le débat politique dans les démocraties occidentales à faible dynamisme démographique et exposées à une immigration de masse.
Selon le scénario du multiculturalisme, les populations de culture différente peuvent harmonieusement cohabiter sur le même espace géographique, s’enrichissant mutuellement de leurs différences. C’est le scénario privilégié par les partis libéraux-progressistes au pouvoir dans la plupart des pays d’Europe de l’ouest depuis un demi-siècle.
Selon le scénario de l’invasion, l’immigration est essentiellement perçue comme une menace frontale : celle du « grand remplacement » (selon le terme de Renaud Camus) des populations autochtones exposées à l’arrivée massive de populations étrangères agressives, à faible niveau culturel et peu désireuses de s’intégrer. C’est ce scénario qui nourrit aujourd’hui le discours des partis populistes de droite.
J’ai vécu le scénario du multiculturalisme lorsque j’étais en poste à l’ONU à Genève. Les diplomates et les hauts fonctionnaires venus de tous les pays du monde étaient d’une politesse exquise les uns avec les autres et s’invitaient régulièrement à goûter les spécialités culinaires de leurs différents pays. C’est vrai qu’avec un salaire moyen supérieur à 10000 dollars (nets d’impôt), la tolérance est plus facile !!!
Par contre, il me semble que dans certaines communes ou quartiers du 93, c’est bien le scénario du « grand remplacement » qui est aujourd’hui à l’œuvre. Et là, avec un chômage élevé et des revenus faibles, c’est beaucoup plus difficile d’être tolérant et ouvert…
Mais ces deux scénarios, ou plutôt ce couple de scénarios opposés, ne sont pas, loin de là, les seuls possibles. J’en ai par exemple imaginé deux autres, ou plutôt un autre couple de scénarios polaires.
Le premier, inspiré des travaux de Christophe Guilluy, est celui d’un repli massif vers la culture du village. En gros, confrontés au risque d’une mise en minorité ethnico-culturelle sur leur propre territoires, les populations tendent à se regrouper sur des espaces géographiques plus réduits, mais culturellement homogènes. C’est ce mouvement que l’on observerait aujourd’hui dans certains espaces de la « France périphérique », où les perdants de la mondialisation – populations autochtones doublement touchées par les pertes d’emploi et la fragilisation culturelle liée à l’immigration – se regrouperaient en ensembles homogènes pour reconstituer ce que l’auteur appelle leur « capital d’autochtonie ».
La force de ce scénario, c’est qu’il permet de comprendre, au-delà du seul cas des populations autochtones marginalisées et tentées par le vote protestataire, le phénomène général d’archipélisation (selon le terme de Jérôme Fourquet) que connaît aujourd’hui notre pays. Partout, des populations aux cultures et aux profils socio-ethniques similaires tendent à se regrouper dans des zones ou des quartiers séparés : d’un côté, les gaulois marginalisés et réfractaires des petites villes désindustrialisées ; de l’autre, les bobos progressistes des centre métropolitains aisés ; enfin les populations des ghettos ethniques tentées par la dissimilation.
Ce qui est intéressant dans ce point de vue, c’est qu’il fait apparaître ces différentes communautés locales, qu’à priori tout sépare et même oppose, comme le produit d’un même et unique phénomène de fragmentation sociale. Un peu comme la diffraction de la lumière qui sépare celle-ci en un faisceau de couleurs différentes et pourtant complémentaires …
Enfin, le quatrième scénario, c’est celui du nomadisme, déjà esquissé depuis longtemps déjà par Jacques Attali dans « l’Homme nomade » : dans le monde globalisé qui s’annonce, toutes les populations de la planète sont destinées, dans un gigantesque mouvement de déplacement, à aller habiter successivement dans des lieux différents. Soit parce qu’elles sont chassées par la misère ou par une crise locale ; soit parce qu’elles sont attirées par les perspectives séduisantes d’une autre région du monde ; soit parce que, elles-mêmes confrontées à l’afflux de populations allogènes, elles se déplacent ailleurs pour y retrouver leurs semblables (voir scénario précédent).
Ce qui est intéressant dans ce dernier scénario, c’est qu’il nous transforme tous, à tour de rôle, en immigrés potentiels…
… Comme par exemple ces bourgeois parisiens aisés se réfugiant dans leur résidence secondaire bretonne pour fuir l’épidémie actuelle, et à peu près aussi mal accueillis par les autochtones que les immigrants syriens et africains misérables traversant la Méditerranée pour se réfugier en Europe…