10 juin 2020
Ouh la la !!! Les Blancs occidentaux en prennent plein pour leur grade en ce moment de la part des « anti-racistes » !!! On dirait vraiment qu’à part quelques jeunes manifestants progressistes, nous ne sommes plus qu’une bande de vieux racistes à rééduquer d’urgence !!!
Or, mon expérience d’un quartier de Paris ethniquement très mélangé, en l’occurrence Belleville, m’a permis d’acquérir sur ce sujet une vision à maints égard non conforme à la doxa dominante. Le racisme, en effet, n’y est pas, mais alors pas du tout, la seule affaire des petits blancs réacs. C’est au contraire la chose au monde la mieux partagée entre toutes les soi-disant communautés du quartier. Bref – et c’est la mauvaise nouvelle -, à Belleville, tout le monde, en fait, se méfie un peu de tout le monde. Mais – et c’est la bonne nouvelle – cela n’empêche pas forcément les gens de coexister à peu près paisiblement entre eux dans la vie quotidienne. Je simplifie, bien sûr.
Avant de développer mon retour d’expérience bellevilloise, je voudrais toutefois procéder à quelques précisions terminologiques.
Tout d’abord, j’éviterai d’utiliser à tort et à travers le seul mot « racisme » pour désigner les formes très variées de tensions entre groupes que j’ai observées. Celles-ci peuvent en effet être liées à des causes très diverses et évolutives au cours du temps : mémoires historiques conflictuelles, antagonisme pour le contrôle d’un habitus, mœurs ou croyances incompatibles, conflits d’ordre socio-économique… ces différentes causes s’enchevêtrant d’ailleurs en général de manière à peu près inextricables. Le racisme au sens strict – c’est-à-dire l’affirmation de la supériorité ou de l’infériorité intrinsèque d’un groupe vis-à-vis d’un autre – ne constitue en fait que l’une des modalités possibles de ces tensions croisées, même si c’est aussi la plus communément observable dans les discours courants des protagonistes, toujours tentés de diaboliser et d’abaisser le groupe rival.
Dans le même ordre d’idée, j’éviterai d’utiliser le terme lui aussi galvaudé de « communauté » pour désigner les groupes entre lesquels se nouent des relations d’antagonisme, et ce pour plusieurs raisons :
– D’abord, parce que bien souvent, ces communautés – au sens d’un groupe fortement soudé par des relations de solidarité, de convivialité et de rituel – n’existent pas vraiment. Par exemple, il n’y a pas de « communauté africaine » ou de « communauté asiatique » à Belleville, c’est juste sociologiquement faux de l’affirmer. Les seules communautés vraiment structurées et très intégratives, comme par exemple celles des juifs Loubavitch ou des chinois Whensou, sont en fait assez rares.
– Ensuite parce cela fige artificiellement la configuration des sentiments d’appartenance individuels. Or ceux-ci sont à la fois polymorphes et variables avec le temps. Un individu peut se sentir, en effet, simultanément proches de plusieurs groupes distincts, par exemple à la fois juif et français, arabe et chrétien, etc. Plus précisément, il est susceptible d’éprouver en même temps trois formes de sentiments identitaires en partie emboîtées : 1) l’appartenance à ce que j’appelerai, faute de mieux, un « bloc ethno-civilisationnel global » (pour faire simple, les noirs, les blancs occidentaux, les arabes, les asiatiques, les latinos…) ; 2) L’appartenance à un Etat national (les français, les chinois, les maliens, etc. ) ; 3) l’appartenance à un groupe ethno-religieux selon les cas infra ou transnational (les kabyles, les juifs, les kurdes, les musulmans , etc.).
– Ces sentiments d’appartenance d’intensité et de géométrie variable sont d’ailleurs eux-mêmes directement liés aux tensions existantes entre les groupes en question. Il est même possible, dans une démarche copernicienne, d’inverser totalement le rapport de causalité entre tensions ethniques et identité de groupe. En effet, l’observation montre que bien souvent, ce n’est pas l’appartenance à un groupe qui sert de substrat au sentiment d’hostilité à un autre groupe, mais l’inverse : c’est parce que l’on partage avec d’autre individus la même hostilité vis-à-vis d’un groupe voisin que l’on va se rapprocher d’eux et développer un sentiment identitaire fondé sur cette hostilité commune. C’est par exemple la mémoire partagée du colonialisme occidental ou de l’esclavage qui a massivement contribué à l’émergence d’un sentiment d’identité noire ; c’est l’antisémitisme qui pousse beaucoup de juifs à s’identifier comme tels ; c’est l’hostilité à l’impérialisme allemand qui a longtemps alimenté le nationalisme français, etc.
– Or, ces sentiments d’hostilité entre groupes évoluant aux cours du temps, les configurations d’appartenance identitaire sont elles-mêmes mouvantes. Par exemple, l’antagonisme franco-allemand, si violent il y a un siècle, a aujourd’hui presque disparu, avec pour corollaire un affaiblissement symétrique des identités française et allemande. Par contre la polarisation « blancs / non blancs », autrefois assez peu marquée, progresse aujourd’hui très rapidement sous l’influence des idéologies décoloniales.
L’utilisation à tort à et travers, du terme « communauté », conduit à nier l’existence de ces identités multiples, emboîtées, fluctuantes, en les figeant dans un schématisme appauvrissant.
Ces réserves importantes étant faites, je suis quand même obligé de vous proposer un modèle un peu simplificateur et statique pour décrire les formes de conflictualité que j’ai pu observer à Belleville et plus généralement dans le nord-est de Paris
Je vous propose pour cela d’utiliser quelques termes de mathématiques élémentaires.
Dans la représentation aujourd’hui dominante du racisme, celui-ci est considéré comme un vecteur de dimension 1. En d’autres termes, et pour parler plus simplement, seuls les blancs occidentaux sont considérés comme susceptibles d’avoir des attitudes racistes par rapport aux N autres groupes : africains, asiatiques, etc.
A cette représentation vectorielle simpliste, je propose de substituer une représentation du « racisme » sous la forme d’une matrice carrée de format (N, N). En ligne, se trouveront les N groupes susceptibles d’éprouver un sentiment d’hostilité ; en colonne, se trouveront les N groupes vis–à –vis desquels s’exprime un sentiment d’hostilité. Dans la case (i ,j) se trouve donc représentée l’intensité et la forme particulière de l’hostilité exprimée par le groupe i contre le groupe j (Tout cela est bien sur effroyablement simplificateur, tous les membres du groupe i ne sont pas uniformément hostiles à ceux du groupe j, voir Roméo et Juliette. Mais enfin, il faut bien commencer par une représentation simple pour construire ma théorie).
Trois remarques liminaires sur cette matrice :
– D’abord, c’est une matrice carrée ; en termes concrets, cela signifie que selon moi, tout le monde est susceptible de détester tout le monde et d’être détesté par tout le monde ;
– Ensuite, c’est vraisemblablement une matrice assez symétrique, la valeur du coefficient (i,j) étant assez corrélée avec celle du coefficient (j,i). En d’autres termes, et toujours pour parler simplement, le groupe j haïra d’autant plus violemment le groupe i qu’il est haï de lui (et réciproquement, bien sur). Bref, les antagonismes ethnico-religieux se construisent souvent par couples. C’est une évidence, encore fallait-il la formaliser, ce que je vous propose ici.
– Enfin, sans vouloir trop compliquer et formaliser, n’oublions pas ce que j’ai dit plus haut sur l’existence de plusieurs niveaux d’identité plus ou moins emboîtés (civilisationnel, national, ethnique, etc.).
Essayons maintenant de « remplir » cette matrice, à partir de mon expérience bellevilloise :
– Première observation : Belleville est un endroit dans l’ensemble assez paisible, où l‘expression ouverte des tensions ethniques reste extrêmement limitée dans la vie quotidienne. En gros, tout le monde coexiste à peu près pacifiquement avec tout le monde, et certains cafés notamment, sont des lieux de brassage où les gens de toutes origines apprennent à vivre ensemble et parfois même à nouer des relations d’affection mutuelle. En d’autres termes, et c’est heureux, la valeur des coefficient (i,j) mesurant l’intensité des antagonismes croisés est en général assez faible. Donc, un bon point pour les multiculturalistes convaincus de la possibilité d’une coexistence harmonieuse entre « communautés ».
– Seconde observation : les sentiments d’hostilité intergroupes s’expriment le plus souvent – mais pas toujours – entre groupes de même « niveau de globalité ». Par exemple, à Belleville, il existe 1) une hostilité latente croisée entre asiatiques, africains et maghrébins, largement liée à des différences en matière culturelle et de réussite sociale ; 2) des hostilités entre groupes nationaux, donc AU SEIN de chaque ensemble civilisationnel (par exemple ressentiment des cambodgiens vis-à-vis des chinois, ou encore des chinois vis-à-vis des japonais), hostilité souvent liée à la mémoire historique d’une invasion ou d’une domination violente ; 3) des tensions entre groupes ethnico-religieux AU SEIN du même pays, par exemple entre kabyles et arabes algériens, ou encore entre chinois du sud (Whenzou) et du nord (Liaoning), liées cette fois à des rivalités politiques ou économiques contemporaines. Il est frappant de constater que par contre, les cas d’antagonismes directs entre groupes de « niveau de globalité » différents sont assez rares. Bref, il existe une sorte de co-construction entre la structuration des niveaux de représentation identitaire et celle des niveaux d’expression de l’hostilité inter-groupes.
(Il existe évidemment à Belleville et ailleurs dans Paris d’autres tensions que celles que j’ai pu directement observer : par exemple entre kurdes et turcs, cingalais et tamouls, juifs et musulmans, sans parler de ce nœud inextricable de tensions ethnico-religieuses que constitue le sous-continent indien ; mais n’ayant pu les constater par moi-même, je n’en ferai pas état ici).
Quelle est la situation des autochtones dits blancs dans ce contexte ? J’ai pu faire à ce sujet deux observations, toutes deux assez contre-intuitives ou contraires à la doxa dominante :
– Tout d’abord, les français blancs sont, de très loin, le groupe où l’expression de l’hostilité ethnico-religieuse est la moins ouverte. Cela peut s’expliquer, soit par le fait que cette population est dans l’ensemble fortement pénétrée de valeur de respect de l’autre (Reste d’héritage chrétien ? Influence plus marquée des idées antiracistes ?) ; soit par le fait que l’expression des sentiments d’hostilité ethnique fait l’objet d’un contrôle social, voire d’une répression judiciaire beaucoup plus stricts que dans aucun autre groupe. En tout cas, j’ai toujours été frappé du contraste évident entre la très faible expression de propos ouvertement racistes chez les blancs français, et la facilité décomplexée avec laquelle des membres d’autres groupes pouvaient proférer les pires horreurs contre le principal groupe considéré comme antagonique. Bref, à Belleville, le racisme s’exprime de manière beaucoup ouverte au sein des minorités ethniques que chez les blancs autochtones majoritaires.
– Ensuite, et contrairement à certains idées reçues, les français blancs ne sont pas le groupe vers lequel converge l’hostilité la plus active des différents groupes minoritaires. Certes, la mémoire négative de la colonisation, le sentiment d’être discriminé, se traduisent au sein de certaines minorités par un constant bruit de fond de propos voire de comportements peu amènes contre la France et les français. Mais cette rumeur à bas bruit, bien qu’insistante, n’a en fait rien à voir par sa violence avec l’expression de l’hostilité vis-à-vis du groupe ethnique considérée comme rival direct (kurdes / turcs, tamouls / cingalais, kabyles / arabes, etc.).
Il est donc tout à fait frappant d’observer, à partir de l’exemple bellevillois, que le groupe ethnique central, celui des français autochtones, ne constitue pas nécessairement, et contrairement aux représentations dominantes, celui autour duquel s’organise l’axe principal des conflits inter-ethniques dans notre pays. En d’autres termes, les français blancs ne sont ni les plus racistes, ni les plus victimes du racisme. Bien au contraire, les formes les plus actives de racisme pourraient bien être celles qui opposent entre elles deux à deux, comme autant de couples infernaux, différentes minorités ethniques présentes en France.
Cette marginalité paradoxale de la population française de souche dans le phénomène des tensions ethniques pourrait d’ailleurs assez bien s’expliquer par sa faible propension à donner une lecture ethnico-religieuse des relations entre individus. A partir du moment où, en tant que groupe, elle n’exprime en fait qu’une agressivité ouverte assez faible par rapport aux autres groupes, le phénomène cumulatif qui est à la source des situations de racisme les plus exacerbées ne peut plus être enclenché ; pour être en conflit ethnico-religieux ouvert, il faut être deux, et les français blancs, visiblement, n’ont pas trop envie de rentrer dans ce cycle infernal…
Je termine par une observation sur la diagonale principale de ma matrice. Celle-ci, en toute logique, devrait être uniformément vide. Il est en effet parfaitement absurde, pour un groupe donné, de se détester lui-même. Observons tout de même une exception à ce fait : en effet, certains blancs autochtones, travaillés par une propagande antiraciste dévoyée, ont fini par développer une sorte de haine d’eux-mêmes, faite de honte post-coloniale, de mauvaise conscience de blanc aisé, de relativisme culturel poussé jusqu’à l’absurde, etc. Bref, la case (i,i) de l’auto-racisme n’est emplie que dans une seul cas : celui du racisme anti-blanc des blancs anti-racistes qui accusent les autres blancs de racisme…
En conclusion, mon expérience de Belleville n’a montré que le racisme était la chose au monde la mieux partagée, sauf peut-être par ceux que l’on accuse le plus souvent de racisme et qui sont sans doute les moins concernés par ce phénomène, à savoir les blancs autochtones ; que les tensions ethniques ont des causes et prennent des formes très diverses selon les couples de groupes concernés, et ne peuvent donc être réduites au simple schéma du racisme au sens étymologique du terme ; et enfin que l’existence de très nombreuses et diverses tensions ethniques n’empêchait pas nécessairement un quartier multiethnique de connaître, entre deux incidents, de très longues périodes de tranquillité où tout le monde coexiste paisiblement avec tout le monde.
Toutes ces observations restent évidemment très superficielles. Elles devraient faire l’objet, pour acquérir un statut vraiment scientifique, d’une véritable enquête de terrain. Encore faudrait-il, pour s’immerger dans la réalité d’un quartier multiethnique comme Belleville, devenir comme moi un véritable pilier de bistrot – auquel cas le chercheur consciencieux risquerait de mourir d’une cirrhose du foie ou d’une indigestion de couscous bien avant d’avoir achevé ses investigations… Hips…