20 avril 2020
Aujourd’hui, je ne vais pas vous écrire un poème ou un bon mot, ni philosopher sur le sens des choses.
Non, je voudrais vous parler d’une grande douleur que je porte en moi.
C’est une douleur très personnelle, mais qui en fait vous concerne tous.
Elle concerne un quartier de Paris que j’aime d’un amour fou : Belleville
J’aime Belleville (j’allais dire « j’aimais »), parce que c’est l’un des derniers quartiers vraiment populaires de Paris. Un quartier merveilleusement humain avec ses petites rues, ses petites places, ses vieux immeubles, ses petits cafés. Un quartier peuplé de gens modestes qui vivent ou qui survivent comme ils peuvent. Un quartier incroyablement chaleureux où les gens se serrent les uns contre les autres dans les bistrots bruyants ou sur les bancs du boulevard. Un quartier où se croisent des destinées venues de tous les endroits du monde, destinées qu’un regard aveugle pourrait considérer comme infimes mais dont chacune pourrait fournir la trame d’un magnifique roman. Un quartier où rôde encore l’âme de Frehel, de Piaf, de Louise Michel et des héros du groupe Manoukian. Un quartier où j’aimais me perdre pendant des heures pour y revigorer mon âme dans un bain d’humanité.
Bien sûr, il se « gentrifiait » petit à petit, mais rien de bien méchant, parfois même des évolutions heureuses : des artistes installés dans les anciennes échoppes d’artisans, de jeunes bobos bavards à la terrasse des cafés, des petits orchestres jouant le soir dans les restau, les élèves de l’école d’architecture du boulevard de la Villette allant prendre l’apéro en terrasse, au coin de la rue Burnouf…
Et voilà maintenant ma douleur : une peur panique que la crise actuelle, avec son confinement et ses fermetures, n’accélère la destruction de toute manière inéluctable de ce lieu de chaleur humaine : Cafés et restaurants fermés si longtemps qu’ils finiront par mettre la clé sous la porte ; petits métiers de rue rendus impraticables ; artistes et artisans insolvables expulsés de leurs ateliers pour permettre des opérations rénovation foncière ; gens modestes chassés de leurs vieux immeubles délabrés à l’occasion d’une mise aux normes de salubrité…
Et si ce Belleville j’aime tant meurt, c’est ma jeunesse et mon âme qui mourront avec lui. Je me vois déjà, errant comme un fantôme, devant les stores baissés des cafés que j’ai tant aimé, cherchant sans les retrouver mes copains et mes copines, butant sur les portes digicodées des immeubles rénovés sans pouvoir rentrer, une dernière fois, dans les courettes pavées où j’ai tant rêvé, tant dansé, tant…
Rien que d’y penser, cela me donne envie de pleurer !!!
Ce monde nouveau qui vient, est-il encore fait pour les êtres humains ? Est-il encore fait pour moi ? Ou bien peut-être, c’est moi qui ne suis plus fait pour lui ?