En ce temps-là, le peuple de Danaan avait cessé de respecter la loi divine.
Egoïstes et cupides, les hommes vidaient l’océan de ses poissons pour remplir leurs panses rebondies, et allaient jusqu’à voler la lumière du ciel pour éclairer leurs demeures et le souffle du vent pour les rafraîchir.
Esclaves du plaisir, ils pratiquaient sans honte le vice et la luxure.
Saisis d’orgueil, ils interrompaient le cours du soleil, transformant la nuit en jour et le jour en nuit pour prolonger plus longtemps leurs débauches.
Trompés par de mauvais mages, ils rêvaient de transgresser les lois de la nature en créant eux-mêmes la vie par de démoniaques sortilèges, et de devenir immortels, à l’égal de Dieu.
Voraces et gloutons, ils épuisaient la terre fertile, la transformant peu à peu en désert aride, pour l’obliger à leur fournir chaque jour la nourriture dont ils se goinfraient sans retenue.
Méprisant leur mère nature, ils souillaient les fleuves et les mers des restes de leurs orgies.
Croyant que la richesse et le stupre suffiraient à emplir à leur vie, ils désertaient le temple du Seigneur.
Ces insensés, ces arrogants, avaient même bâti d’immenses tours, prétendant les faire monter jusqu’au ciel pour devenir les égaux du Créateur.
Quant au maître du pays, le roi Eksas, il avait accumulé grâce à de lourds impôts tant de sacs de blés dans les entrepôts de son palais, il avait créé grâce à ses infinies richesses des armées si puissantes, il était si vénéré par son peuple auquel il distribuait à pleines poignées les pièces d’or qu’il lui avait volées, qu’il avait fini par se prendre lui-même pour le vrai Dieu.
Il avait même cessé de sacrifier chaque jour une offrande au Seigneur et brûler chaque nuit un bâton d’encens devant son autel, laissant désormais ses prêtres oisifs se vautrer dans le stupre et l’ivrognerie.
Pourquoi, se disait-il, sacrifier à ce Dieu invisible ? Ne suis-je pas, moi, le seul Dieu visible, grâce à l’éclat de mes pièces d’or, grâce aux brillantes armures de mes soldats ? Le véritable maître tout-puissant, devant lequel, désormais, le peuple se prosterne, n’est-ce pas moi-même, Ekas le protecteur, et non ce Dieu absent vers lequel ne s’élèvent plus aucunes prières ?
Le Seigneur vit tout cela, et fut empli d’une grande colère.
Il décida alors de punir le peuple et le roi de Danaan pour leur orgueil démesuré.
Il envoya la vermine et les sauterelles détruire les récoltes. Mais le peuple affamé, au lieu de faire monter vers lui ses prières, alla supplier le Roi d’ouvrir ses entrepôts. Le Roi distribua tout son blé au peuple, qui fut rassasié. Vois-tu, cria-t-il à la face du Seigneur, ma puissance égale désormais la tienne. Car je peux nourrir mon peuple, quand tu crois pouvoir l’affamer !!!
Mais, dans les entrepôts du roi, il ne restait désormais plus un seul grain de blé.
Voyant que le roi comme le peuple défiaient toujours sa puissance, le Seigneur fut saisi d’un courroux immense. Il déchaîna la tempête et fit trembler la terre jusqu’à abattre toutes les maisons du royaume. Mais, privé de toit, errant en haillons sur la terre, le peuple, une nouvelle fois, refusa de faire pénitence devant le Créateur. Se détournant des temples, il se précipita vers le palais du roi pour lui réclamer un gite.
Alors, le Roi dit : venez habitez dans mes entrepôts. Ils sont vides, désormais, et peuvent vous accueillir en nombre !! Et prenez aussi mon or pour vous procurer de nouveaux habits !
Le peuple, heureux d’avoir retrouvé un toit, alla s’installer dans les entrepôts du roi. Vêtu de neuf, il entonna vers lui des actions de grâce. Le Roi, se tournant à nouveau vers la face du Seigneur, lui hurla sur un ton de défi : « Qui es-tu, toi l’Invisible, le Silencieux, pour prétendre priver mon peuple d’un gîte et d’un manteau ? Vois comme j’ai su y pourvoir à ta place !!! »
Mais, dans les coffres du roi, il ne restait plus désormais une seule pièce d’or.
Une nouvelle fois, le Seigneur fut courroucé de l’orgueil du roi et de l’irrespect du peuple. Alors, il envoya vers eux les bêtes féroces et les monstres des abîmes pour les dévorer. Mais le Roi envoya alors toutes ses armées pour les combattre. Après une terrible guerre, il les vainquit. Défiant une nouvelle fois le Seigneur, il lui cria : « Vois comme mes soldats aux armures brillantes ont su vaincre tes créatures et tes sortilèges !! N’est-ce pas là la preuve que je suis, moi, le vrai Dieu ? »
Mais, dans les casernes du Roi, il ne restait plus un seul soldat : ils étaient tous morts en combattant les monstres des abimes et les bêtes féroces.
Alors, Dieu envoya la peste qui tua le Roi comme la plus grande partie de son peuple. Seul survécut Adramin, un homme pieux, qui avec sa famille, avait continué à honorer le Seigneur et à respecter ses lois dans le secret de sa maison. Tous se prosternèrent alors devant le Créateur, faisant monter vers lui des chants de louange.
« Vas », lui dit alors le Seigneur. « Cultive ton champ, élève tes fils dans le respect de mes lois, et ne prélève sur la nature que ce qui est strictement nécessaire à ta vie ».
Et il en fut ainsi pendant des siècles et des siècles. Les prairies reverdirent, le soleil reprit son cours imperturbable dans le ciel, les rivières et les mers abondèrent à nouveau de poissons. L’homme et la femme s’unirent dans le mariage pour perpétuer la vie.
Et le peuple de Danaan vécut longtemps en harmonie avec son créateur
Jusqu’au jour où un lointain, très lointain descendant d’Adramin eut l’idée de voler un peu de vent pour rafraîchir sa maison….