En se connectant sur Skype ce matin du 13 avril 2037, Momo s’en menait pas large. C’était la troisième fois qu’il s’était fait attraper par la police en train d’embrasser sa copine Lili sur la bouche dans une rue de Belleville. Et ça en plein période de confinement !!! La première fois, ils s’en étaient tirés avec un simple rappel à la loi, la seconde fois avec une amende. Mais, là, c’était plus sérieux, ils risquaient carrément la prison virtuelle, c’est-à-dire l’assignation à résidence avec interdiction totale d’accès aux réseaux sociaux. Une perspective qui les remplissait l’un et l’autre de terreur !!!
Le visage mécontent du juge apparut sur l’écran.
– C’est la troisième fois qu’on vous prend en flagrant délit, vous et votre complice Lili.
– Mais, monsieur le juge, on avait nos dérogations de sortie en règle.
– Ecoutez, ne me prenez pas pour un idiot. Vous étiez censés faire des courses. Or l’examen des caméras de surveillance montre que vous n’êtes rentrés dans aucun supermarché. Vous avez simplement couru tous les deux comme des dératés pour vous rejoindre quai de Valmy. Regardez, d’ailleurs.
Et le juge fit passer à l’écran les enregistrements vidéo montrant qu’ils avaient couru dans la rue pour se rejoindre directement, sans s’arrêter dans aucun magasin.
– En plus, courir comme ça dans la rue à perdre haleine en pleine période de pandémie, c’est dangereux pour les autres. Ca accroît les risques de diffusion des aérosols, fit remarquer le magistrat mécontent.
– Mais, je vous assure, monsieur le juge, on ne s’est pas embrassés sur la bouche. Rien qu’un bisou sur les joues !!!
– Ah oui, et ça, c’est un bisou sur les joues, peut-être ?
Et le juge mit alors une ligne la vidéo haute définition, filmée en zoom depuis un drone de la police, de l’infraction caractérisée : un long baiser fougueux d’une demi-minute, avec pour circonstance aggravante des corps profondément enlacés, ne respectant aucune distance sociale de sécurité…
Là Lili et Momo ne pouvaient plus nier. C’est vrai ils s’étaient embrassés sur la bouche, croyant, à tort, je les frondaisons printanière d’un marronnier du quai de Valmy les cacheraient aux caméras vidéos de la police.
Devant leur silence gêné, le juge reprit la parole. Privilégiant la pédagogie à la répression, il leur tint ce discours :
– Je ne vais pas vous faire la morale, mais enfin je veux quand même vous faire remarquer l’imprudence inacceptable de votre attitude. En sortant de chez vous, en courant comme des fous, en vous touchant, en échangeant vos salives, vous faites courir un risque énorme de contamination, non seulement à vous-mêmes, mais aussi aux autres. Est-ce que vous vous rendez compte de votre inconscience ??? En pleine période de pandémie !!!
– Oui m’sieur le juge, on sait bien, on s’excuse… Mais ça fait quinze jours qu’on s’était pas vu, alors on n’a pas pu résister. Et puis, comme Lili habite rue de Ménilmontant et moi rue de la Grange-aux-Belles, on s’est dit qu’on pouvait peut-être… Juste une minute… Sans embêter personne…
– Mais en faisant cela, vous augmentez la probabilité globale de contamination. C’est juste de l’inconscience. Vous êtes de mauvais citoyens. Et puis, vous pouvez vous parler et même vous embrasser sur Internet, non ? Il y a des applications pour ça…
– Oui, on le fait aussi, monsieur le juge. Mais quand même, des fois, on aime bien se voir, parler, se toucher…
– Vous savez bien que les règles sanitaires d’urgence interdisent tout contact physique en lieu ouvert. Et puis j’espère que vous n’avez fait que vous embrasser, parce que, s’il y a eu relation sexuelle, ce n’est plus une simple infraction, ça devient un délit et vous risquez carrément la prison.
– Mais on s’aime…
– Vous êtes vraiment trop individualistes !!! Et l’intérêt collectif, qu’est-ce que vous en faites ? Vous ne pensez pas que ça doit primer sur votre petit égoïsme personnel et vos petits désirs par ces temps de pandémie ?
– Mais juste une fois…
– Ce n’est pas juste une fois !!! C’est la troisième fois qu’on vous prend en flagrant délit de baiser en moins de deux mois !! Bon, allez, pour cette fois, je veux bien être encore indulgent. 1000 planetos d’amende et 15 jours d’interdiction d’internet à tous les deux, avec suivi d’un télé-stage de sensibilisation aux risques. Mais la prochaine fois, c’est un an de prison virtuelle avec suivi psychologique et obligation de désintoxication, compris ??
– Oui, merci, monsieur le juge, dit Momo, la tête basse, mais soulagé quand même de la clémence du magistrat. On promet qu’on ne recommencera plus …