L’espace de la liberté se réduit chaque jour un peu plus en France, notamment à travers le vote de lois scélérates, qui, sous toutes sortes de prétextes séduisants (lutte contre le terrorisme, contre le sexisme, contre le racisme…) portent gravement atteinte aux principes fondamentaux des libertés publiques et individuelles. Ce phénomène affligeant constitue l’un des principaux thèmes de mon futur ouvrage, La dictature insidieuse. La lecture du livre de Français Sureau, Pour la liberté, m’a permis à la fois de confirmer cette hypothèse et de constater avec soulagement qu’il existe encore dans notre Etat de droit d’importants môles de résistance à cette étouffement des libertés.
Avocat au conseil d’Etat, François Sureau est fréquemment amené à plaider auprès du Conseil constitutionnel, dans le cadre d’une procédure dite de « QPC » visant à vérifier la constitutionnalité d’une loi voté par le Parlement. C’est dans ce cadre qu’il a été amené de demander par trois fois au Conseil, en 2017, de déclarer inconstitutionnels différents articles de loi visant à prévenir le risque terroriste, dans la mesure où ceux-ci étaient susceptibles de porter atteinte aux libertés fondamentales : un délit de « consultation habituel de site terroriste », instauré par une loi de 2016 ; un délit « de préparation ou d’intention de commettre un acte terroriste », instauré par une loi de 2014, et défini de manière si vague qu’il ouvre un champ immense à l’arbitraire du policier et du juge ; enfin, une disposition datant en fait de 1955, et donnant à l’administration le pouvoir, je cite « d’interdire le séjour dans tout ou partie du département de toute personne cherchant à entraver, par quelque moyen que ce soit, l’action des pouvoirs publics ». Dans les trois cas, François Sureau a eu gain de cause.
L’ouvrage « pour la liberté » reproduit les trois plaidoiries prononcées à cette occasion par François Sureau. Des textes écrits dans une langue chatoyante, lumineuse, où l’immense érudition de l’auteur est mise au service d’une défense vibrante de la liberté. Car interdire la consultation de sites terroristes revient simplement à criminaliser la liberté de penser et de s’informer. Instaurer, sous une forme extrêmement vague, un délit « d’intention de commettre et de préparation d’un acte terroriste », c’est ouvrir la voie à un terrifiant arbitraire où les actes les plus simples de l’existence, comme par exemple le fait d’acheter un couteau, pourraient faire de vous un criminel aux yeux du policier et du juge. Quant à la possibilité pour préfet d’interdire à un individu de séjourner dans son département s’il cherche à entraver l’action des pouvoir public », cela peut conduire à un arbitraire administratif total, où des hommes politiques, des militants pacifistes, des journalistes, des avocats pourraient être empêchés de circuler librement simplement parce qu’ils déplaisent au pouvoir en place.
La lecture de l’ouvrage provoque deux sentiments opposés : On est d’abord tout simplement effaré devant le fait que des textes aussi contraires aux libertés fondamentales – et au surplus aussi mal rédigés – aient pu être votés par notre Parlement : ces textes de loi brouillons, imprécis, ouvrent en effet, peut-être sans le vouloir, un véritable boulevard à l’arbitraire répressif. Mais on est également rassuré de constater que grâce à la procédure de QPC, ces textes parfois plus bêtes que méchants aient pu être effectivement censurés. Un ultime filet de sécurité qui paraît tout de même bien fragile au regard de la brouillonne frénésie liberticide qui semble avoir saisi nos élus depuis quelques années !!!
François Sureau, Pour la Liberté, Répondre au terrorisme sans perdre la raison, Tallandier, 2017, 78 pages
(Nb : cette fiche de lecture s’inscrit dans mon actuel travail de rédaction d’un ouvrage intitulé « La dictature insidieuse », où je tente de mettre à jour les mécanismes par lesquels l’Etat français contemporain réduit peu à peu nos libertés. Pour tester mes hypothèses de travail, je suis en ce moment amené à lire un grand nombre d’ouvrages, récents ou plus anciens, portant sur ces questions. Comme les autres comptes rendus de lecture du même type que je publierai au cours des semaines suivantes, le texte ci-dessous ne porte donc pas directement sur l’ouvrage lui-même, mais sur la manière dont il confirme ou infirme les thèses que je souhaite développer dans mon propre livre, et que je présente au début du compte-rendu sous la forme d’un encadré liminaire, afin de les tester à l’aune de cette nouvelle lecture).