L’une des hypothèses fondamentales de mon prochain ouvrage, « La dictature insidieuse », consiste à affirmer que l’Etat français, soumis à l’influence de différents groupes de pression diversitaires, serait actuellement engagé dans un activisme législatif, répressif et de propagande destinée à plier, quasiment par la force, la fraction majoritaire de la société aux injonctions utopistes de la pensée multiculturaliste : un mélange de féminisme revanchard, d’anti-racisme raciste, d’écologie infantilisée, de refus de toute norme en matière de sexualité, de véganisme bêlant et d’antifascisme fascisant. Tout cela aboutissant à la délégitimation, voire à la destruction systématique des fondements traditionnels des sociétés occidentales, et accessoirement à la stigmatisation permanente de l’homme blanc hétérosexuel accusé de tous les maux. Ouf !!! Un programme de rédaction chargé, donc, qui justifie que je me renseigne un peu avant de débiter mes invectives !!! J’ai donc lu avec passion le livre de Mathieu Bock-Côté, « Le multiculturalisme comme religion politique ». J’hésite à dire qu’il m’a conforté dans mes a-priori : en effet j’avais justement choisi ce livre parce que savais d’avance que j’étais d’accord avec son contenu… Exemple typique, donc de démarche auto-confirmatrice…. Je préfère donc insister sur le fait qu’il fournira à ma propre réflexion en gésine le soutien d’une philosophie politique extrêmement solide – quoique parfois un peu absconse -, que je vais maintenant tenter de résumer en 6 idées forces correspondant chacune à l’un des 7 chapitres du livre (j’ai renoncé à résumer le premier chapitre, « Le malaise conservateur occidental », dont je n’ai pas compris grand’chose malgré plusieurs relectures attentives – à part l’idée très générale et un peu tautologique selon laquelle la pensée conservatrice a été profondément ébranlée par la vague de contestation anti-institutionnelle issue de la révolution de mai 1968).
La mutation de la gauche. La pensée multiculturaliste [1] ne constituerait en fait qu’une nouvelle expression des vieilles utopies de la gauche révolutionnaire, qui, ayant échoué dans son projet de subversion de la société capitaliste par la lutte des classes, aurait alors développé un nouveau discours radical fondé sur la défense des minorités. De nouvelles luttes émancipatrices, fondée sur la notion de droit des minorités opprimées, se sont donc substituées à l’ancien combat pour une société débarrassée de l’exploitation de l’homme par l’homme. Mais ces luttes d’un type nouveau s’attaquent désormais, au-delà du système capitaliste, aux fondements même de la civilisation occidentale par la contestation systématique des normes et valeurs dites « majoritaires ». Ce « gauchisme culturel » peut d’ailleurs paradoxalement très bien se concilier avec une pensée économique mondialiste et libérale en lui donnant une teinte progressiste – par exemple lorsque l’importation de main d’œuvre immigrée à bas coût est justifiée par un discours moralisateur sur le devoir d’accueil des anciennes puissances coloniales vis-à-vis des populations en provenance des anciennes colonies.
Issu de la révolution de 1968, ce courant idéologique, d’abord cantonné aux franges gauchistes, s’est progressivement imposé, sous ses prolifiques déclinaisons, comme un thème majeur de l’agenda politique, d’abord aux Etats-Unis au cours des années 1980 et 1990, puis aujourd’hui en Europe.
L’histoire comme expiation. Cette vision multiculturaliste suppose également une réécriture de l’histoire, désormais sommée de conter la vie des gens ordinaires et des groupes sociaux concrets plutôt que de la chronologie des grandes politiques d’Etat. Cette nouvelle histoire doit également intégrer la vision des minorités opprimées et humiliées, supposément victimes des crimes et des fautes passées de l’Occident chrétien et colonialiste. La mémoire de la Shoah a joué un rôle déterminant dans l’émergence de cette nouvelle vision de l’histoire occidentale vue comme une expiation, ouvrant ensuite la voie à une sorte de compétition victimaire permanente entre les différentes minorités revendiquant elles aussi de statut de groupe opprimé.
Sociologie diversitaire et société inclusive. Pour lutter contre les discriminations dont seraient victimes les minorités, il faut d’abord les identifier et les mesurer : d’où l’émergence d’une sociologie diversitaire structurellement tentée, pour des raisons militantes, d’exagérer la réalité de ces discriminations, voire d’inventer des injustices imaginaires. Vient ensuite le temps de l’action politique, avec l’édiction de lois censées mettre fin à ces discriminations supposées par des politiques coercitives (quotas, normes de parité, discrimination positive, évaluation de toutes les lois et actions publiques au regard du critère de la lutte antidiscriminatoire, criminalisation des actes et propos supposément « discriminatoires », etc.). Afin d’assurer la mise en œuvre de ces politiques, des bureaucraties ad’hoc sont simultanément mises en place, qui vont bien sur systématiquement surévaluer l’importance des enjeux en cause afin d’obtenir une augmentation de leurs moyens et une intensification de l’action dont elles ont la charge. Toute cette agitation militante encourage le développement d’une « compétition victimaire » entre différents groupes (ethniques, religieux, sexuels, etc.) pour parvenir au statut envié de victimes prioritaires et accéder de ce fait aux avantages des politiques anti-discriminatoires. L’appartenance à une minorité supposément victimisée devient alors pour chaque individu un « plus » par rapport à l’appartenance au groupe majoritaire, qui ne donne droit, lui, à aucun avantage. La société est alors entièrement reconstruite sous le prisme de l’appartenance communautaire et de la diversité supposément inclusive, ce qui conduit in fine à un processus de fragmentation sociale.
L’Etat cherche même à fabriquer un peuple nouveau. Le multiculturalisme remet en cause le particularisme historique de chaque peuple. Celui-ci (du moins en Occident) est en effet sommé de renoncer à sa propre mémoire majoritaire pour s’ouvrir à l’utopie universaliste. Les symboles accusés de reproduire la domination du groupe majoritaire (croix, crèches, etc.) sont évincés l’espace public. L’histoire du pays est réécrite en la désoccidentalisant et en soulignant, de manière souvent abusive, le rôle joué par les minorités. Les nouveaux arrivants ne sont plus sommés de s’intégrer dans le moule commun, supposément dépassé, des particularismes du groupe dominant. Le sentiment d’appartenance collective est alors censé se reformer autour de l’adhésion à des valeurs universelles et « hors-sol » de tolérance, de respect de la diversité et d‘ouverture (droits de l’homme, lutte contre le racisme…).
Mais se trouve alors posée la question de la démocratie représentative. Celle repose en effet sur l’idée d’un peuple défini par ses particularités, permettant ainsi de légitimer l’existence de frontières à l’intérieur et sous la protection desquelles le système représentatif peut fonctionner. Or, en faisant surgir la parole et l’expression des minorités, on met fin à la domination de la majorité qui fonde de facto la notion de « peuple indivisible ». L’ancien concept de « souveraineté nationale » doit alors s’effacer au profit de la mise en place de règles permettant aux groupes minoritaires d’être représentés en tant que tels, tout en refusant de reconnaître la supériorité des valeurs du groupe dit « dominant ». Ceci entraîne, entre autres méfaits, une judiciarisation de la vie sociale et politique à travers la défense systématique des droits des minorités et la criminalisation des pratiques dites « discriminatoires » devant les tribunaux, tout en disloquant la démocratie représentative par l’invasion des revendications minoritaires. Cela se traduit également par l’irruption massive du politiquement correct dans le langage, tandis que le groupe majoritaire est fermement incité à s’enthousiasmer devant la diversité, à reconnaître la différence comme un facteur intrinsèquement positif et à accepter la mise en place de politiques antidiscriminatoires volontaristes destinée à briser l’hégémonie de l’homme occidental.
5. L’idéologie de la mondialisation consiste en quelque sorte le pendant international du multiculturalisme. Elle s’appuie comme lui sur la mise en avant de valeurs universelles supposées supérieures aux valeurs nationales particularistes. Nous sommes alors sommés de renoncer à celles-ci pour considérer le sentiment d’appartenance à la collectivité comme résultant, non d’une adhésion d’ordre affectif à une mémoire historique, mais de l’établissement raisonné d’un contrat social entre personnes partageant les mêmes valeurs universelles (droits de l’homme, démocratie…). Sur le plan politique et institutionnel, cela revient à admettre de fait la supériorité de la gouvernance mondiale ou européenne sur les souverainetés nationales, désormais dévalorisées et solidement corsetées dans un ensemble de contraintes externes qui les affaiblissent.
Petit à petit, cette idéologie a été adoptée non seulement les partis de gauche, mais aussi par une bonne partie de la droite libérale, qui ne voyait là rien d’incompatible, bien au contraire, avec son projet politique de mondialisation économique. Un individu détaché de son appartenance nationale est en effet aussi un agent économique globalisé, prêt à acheter et à consommer un produit fabriqué n’importe où dans le monde, et inversement, à travailler pour une entreprise ou dans un pays étranger afin de produire des biens et services destinés au marché mondial.
La disqualification de la pensée conservatrice. Mais cette convergence entre libéralisme et multiculturalisme entraîne également une sorte de « désubstanciation » de la droite occidentale qui, de national-conservatrice, devient libérale-moderniste. Toutes les problématiques identitaire, les inquiétudes face au démantèlement des frontières sont alors désertées par la droite de gouvernement et abandonnées à l’extrême-droite. Ceci explique les succès électoraux des partis dits « populistes », tout en délégitimant les idées conservatrices désormais assimilées à l’extrémisme de droite, au racisme, au mépris de l’autre, etc.
Dans un espace politique peu à peu envahi par les idées dites « progressistes », le conservatisme n’est alors plus considéré que comme une déviance, diabolisée et décrite dans des termes insultants, dont il faut s’assurer en permanence qu’il ne porte pas en elle, comme une sorte de maladie, les germes de l’extrémisme de droite – un terme lui-même devenu une épithète facile pour disqualifier toute pensée hostile au progressisme multiculturaliste post soixante-huitard.
De son côté, celui-ci prend désormais les traits d’une nouvelle religion politique fondée sur une volonté utopique de libérer l’homme de tout héritage national pour le projeter dans l’universalité des valeurs partagées, et, au-delà, de redonner à l’Humanité sa pureté originelle, pacifique et fraternelle. Un projet si magnifique, si évident dans son énoncé même, qu’il n’est plus question de débattre avec ses adversaires : il suffit, après avoir dénoncer leur obscurantisme xénophobe, de les soumettre à un nécessaire redressement idéologique. On dérive alors progressivement vers une nouvelle forme de totalitarisme. « Le multiculturalisme comme religion politique écrit une nouvelle page dans l’assujettissement de l’homme et dans la tentative de le décharner pour le libérer. »
Pour résister à cette nouvelle forme d’intolérance, la droite doit apprendre à réaffirmer son conservatisme, conçu à la fois comme une renaissance de l’antitotalitarisme et comme un réinvestissement dans la mémoire de chaque culture revendiquant sa singularité.
Ce livre se mérite : sa lecture est ardue, difficile, sans qu’on sache toujours si l’auteur a atteint des hauteurs de pensée presque inaccessibles au commun des mortel ou s’agit simplement d’un fatras indigeste et confus. Il reste que les nombreux passages à peu près déchiffrables de ce grimoire de philosophie politique fournissent des clés extrêmement utiles pour comprendre les origines, les formes et les dangers de la pensée multiculturaliste et des politiques qu’elle légitime.
Mathieu Bock-Côté, Le multiculturalisme comme religion politique, 367 pages, 2016, Editions du Cerf, Flammarion / Champs Actuels, Paris
Nb : cette fiche de lecture s’inscrit dans mon actuel travail de rédaction d’un ouvrage intitulé « La dictature insidieuse », où je tente de mettre à jour les mécanismes par lesquels l’Etat français contemporain réduit peu à peu nos libertés. Pour tester mes hypothèses de travail, je suis en ce moment amené à lire un grand nombre d’ouvrages, récents ou plus anciens, portant sur ces questions. Comme les autres comptes rendus de lecture du même type que je publierai au cours des semaines suivantes, le texte ci-dessous ne porte donc pas directement sur l’ouvrage lui-même, mais sur la manière dont il confirme ou infirme les thèses que je souhaite développer dans mon propre livre, et que je présente au début du compte-rendu sous la forme d’un encadré liminaire, afin de les tester à l’aune de cette nouvelle lecture.
[1] Le multiculturalisme affirme le principe selon lequel, dans une société donnée, les groupes minoritaires ne doivent pas être sommés de respecter une norme commune contraignante de comportement dictée par la majorité. Les règles de la vie sociale doivent donc viser à fournir un cadre viable à la coexistence de communautés distinctes par leurs croyances, leur modes de vie, leurs mémoire collective, leurs pratiques sexuelles – les communautés minoritaires bénéficiant à cet égard de la même reconnaissance que la communauté majoritaire éventuelle.