La triste nouvelle du décès de Francine Piget a ravivé pour moi le souvenir de nos heureuses années de collaboration journalistique, entre 1998 et 2006.
Quels merveilleux moments avons-nous vécu ensemble à l’occasion des entretiens réalisés pour la Salida !!! Avec le lumineux Alfredo Arias, qui avait évoqué pour nous, dans son loft de la rue des Beaux-Arts transformé en caverne magique par les innombrables souvenirs de ses spectacles, l’importance du tango dans son oeuvre !! Avec le truculent Reinaldo, qui avait égrené, à l’ombre des tableaux et sculptures érotiques de son atelier de la Ruche, les expressions délicieusement licencieuses de son dictionnaire argot-lunfardo !!! Avec le peintre Ricardo Mosner, mémoire vivante de la communauté artistique argentine en France, qui avait sorti, d’une remise de son atelier de Montrouge, ses vieux cartons d’affiches réalisées pour la tangueria Les Trottoirs de Buenos-Aires !! Ou encore avec le fécond musicien Gerardo Jerez le Cam qui, dans l’atelier de Camilla Saraceni situé à deux pas du Père Lachaise, avait évoqué les liens tissés dans ses compositions entre musique tzigane, fugues de Bach et Tango !!! Je me souviens de notre enthousiasme, quand, au retour de ces entretiens, nous échangions en marchant dans les rues de Paris nos impressions, heureux, excités, rendus meilleurs par la rencontre avec ces artistes d’exception !!!
Et puis il y a eu aussi tous ces comités de rédaction où nous discutions fiévreusement, chez Catherine Charmont, du contenu de la prochaine Salida ; ces soirées où nous restions jusqu’au milieu de la nuit chez Philippe Fassier, à Fontenay-sous-Bois, pour boucler le prochain numéro de la revue, corrigeant les fautes de frappe sur les épreuves, raccourcissant dans la douleur les articles pour les faire tenir dans l’espace disponible, recueillant à la dernière minute par téléphone ou par e-mail les informations encore manquantes pour l’agenda ou les publicités !!
Et c’était ensuite pour moi un moment si heureux, quand, deux jours après cette soirée électrique, Francine m’appelait pour me dire que notre bébé était sorti de chez l’imprimeur. Je me précipitais alors chez elle, le cœur battant, pour contempler avec émotion le nouveau-né, qui sentait encore l’encre fraîche… Mais nous n’étions pas encore tout à fait au bout de nos peines heureuses, puisque notre petit groupe éditorial passait encore une soirée amicale et affairée, dans la villa-atelier de Francine, au fond d’une secrète cour arborée de la rue Notre-Dame des Champs, pour mettre les exemplaires de la revue dans les enveloppes !!
Francine avait un triple rôle dans la Salida : financier, car elle collectait les publicités si nécessaires au fragile équilibre budgétaire de la revue ; logistique, car, elle s’occupait, avec Catherine et Marc, de toutes les tâches pratiques qui rendaient possible son existence physique et sa diffusion. Enfin, éditorial car c’est essentiellement elle qui a ouvert la revue aux arts plastiques et a été à l’origine des premiers numéros en couleurs consacrés chaque printemps aux peintres et sculpteurs inspirés par le Tango.
En fait Francine, c’était la cheville ouvrière indispensable, la bonne fée qui réglait tous les problèmes empoisonnants, pour la Salida comme pour le reste des activités de l’association : un ampli ou un lecteur de CD manquant, un paquet de Salida mal expédiées, un artiste en rade à 100 kms de Prayssac ? On disait : « on va demander à Francine !! » Et, au bout de quelques jours, de quelques heures, en tous cas toujours dans les délais, Francine résolvait TOUJOURS le problème. Gentiment, tranquillement, comme si cela ne lui avait demandé aucun effort… c’était vraiment pratique…
Et puis elle écrivait des articles sur les peintres et les danseurs. Ces articles, je les jugeais parfois un peu naïfs dans leur enthousiasme quasi-juvénile. Mais en y repensant aujourd’hui, je me rends compte qu’ils exprimaient l’amour profond, vibrant, qu’elle portait aux artistes. D’ailleurs, elle n’aimait pas seulement les artistes, mais, tout simplement, les gens. Et c’est pour cela que tous ceux qui la côtoyaient l’aimaient aussi. Artistes, stagiaires, bénévoles associatifs, tous percevaient cette sincérité, cet altruisme, dépouillé de questions d’égo ou d’intérêt personnel, qu’elle portait en elle, et qui se manifestait par une serviabilité infinie, efficace et souriante.
Francine portait en elle une curiosité, un enthousiasme, une énergie qui la faisaient paraître jeune alors même que son corps était celui d’une femme âgée. C’était très impressionnant de la voir, avec son physique osseux, fragile, qui semblait toujours à la limite de la perte d’équilibre, galoper pour s’occuper de tout, entièrement dévouée à la revue, aux artistes invités, à l’évènement en préparation ; grimpant et descendant les escaliers, trottinant dans les rues et les couloirs, montant, avec son corps un peu vacillant, en haut d’échelles vertigineuses pour accrocher lampions et guirlandes multicolores avant une milonga !!!
Elle adorait danser aussi, et tous les danseurs, des plus grands aux plus modestes, aimaient l’inviter, le cœur plein d’affection… Mais avec un peu de crainte tout de même, car on avait si peur de casser par un faux mouvement, un pas trop rapide ou trop brutal, ce petit corps fragile !! Alors, son partenaire du moment la serrait très fort contre lui, avec tendresse, pour qu’il ne lui arrive rien de mal.
Et même si je ne pourrai plus jamais la serrer entre mes bras, ma tendresse pour elle est toujours bien vivante.
Une réponse sur « Francine, pilier de la Salida »
Je vis au sénégal et francine (bibiche) avait répondu à mon invitation, en venant nous voir.C’était en 1995. Nous nous sommes revues bien sûr à l’enterrement de pierre, et en juin 2007, pour son anniversaire.à paris. Avant le décès de pierre on se voyait plus régulièrement à chacun de mes voyages en france dans le jura bien sûr, dans nos maisons respectives.Elle était toujours en train de retaper la facade, le toit, le plancher, montant de la grosse baraque jurassienne, montant et descendant de son échelle, reconnaissable de loin à sa salopette verte et ses couettes rousses.Jen’ai jamais sû de quoi elle était morte, accident? Maladie? Elle était si solide. Merci de m’informer. Cordialement- marie-françoise