Ce fascinant ouvrage de la militante révolutionnaire Louise Michel raconte, dans une style étincelant d’enthousiasme et de colère, l’histoire de la Commune de Paris, depuis ses prodromes immédiats dans les dernières années du second Empire, jusqu’à sa chute sanglante et à l’exil de ses survivants condamnés au bagne en Nouvelle-Calédonie.
Le livre bien entendu, vaut davantage par son puissant souffle révolutionnaire que par l’objectivité de ses analyses. La haine du vieux monde et de la réaction versaillaise éclate en effet, comme des coups de canon, à chaque page, presque à chaque phrase. Que pouvait-on d’ailleurs attendre d’autre de la part de son auteur, qui fut l’une principales égéries du mouvement communard ?
Mais ce qui s’intéresse ici, dans le cadre de mes actuelles recherches sur Belleville, c’est surtout la place de ce quartier dans l’histoire de la Commune, telle qu’elle est décrite dans le livre de Louise Michel.
Ma tâche est un peu compliquée par le fait que l’auteur, privilégiant souvent la synthèse politique à la description minutieuse des faits, livre relativement peu d’informations ayant une connotation géographique précise. Trois types de lieux apparaissent cependant de manière régulière au fil de l’ouvrage. Les premiers sont les lieux de pouvoir, à savoir, d’une part Versailles où s’est réfugié le gouvernement d’Adolphe Thiers, et pour la Commune, l’Hôtel de ville de Paris vers lequel convergent toutes les manifestations révolutionnaires importantes et où l’organe dirigeant de la Commune, la commission exécutive, tient ses réunions. Les seconds sont les lieux de combat, comme le fort du Mont-valérien ou les portes de l’ouest et du sud de Paris par où les troupes versaillaises tentent de rentrer dans la capitale défendue par les fédérés. Enfin, les troisièmes sont les lieux de mobilisation populaire, là où se concentrent, essentiellement dans le nord-est de la ville, les population les plus disposée à prendre fait et cause pour la Commune : les Batignolles, La Chapelle, et surtout les deux buttes jumelles – Montmartre et Belleville – où se dérouleront beaucoup des événements révolutionnaires les plus violents et les plus symboliques.
Il existe d’ailleurs une curieuse gémellité entre ces deux quartiers, qui sont souvent cités côte à côte à l’occasion d’événements du même ordre. Une partie des canons de la garde nationale sont par exemple regroupés à la fin 1870 sur la Butte Montmartre, une autre dans les jardins des Buttes Chaumont. Quant aux bataillons fédérés les plus nombreux, ils se réunissent simultanément dans ces deux quartiers pour converger vers l’Hôtel de Ville lors les journées décisives, comme la proclamation de la Commune le 28 mars.
La symétrie entre les deux quartiers n’est cependant pas tout à fait totale. Au début, Montmartre l’emporte sur Belleville dans l’échelle de l’efficacité révolutionnaire. Le coup de force des socialistes contre le dépôt d‘armes de la caserne du boulevard de la Villette échoue en effet en août 1870, alors qu’en février 1871 la population montmartroise parvient à empêcher l’armée de s’emparer des canons de la garde nationale sur la Butte. Par contre, lors des derniers jours de la Commune, Belleville surpasse Montmartre dans l’échelle de l’héroïsme révolutionnaire. En effet, en Mai 1871, la butte Montmartre tombe pratiquement sans combats aux mains des versaillais (c’est d’ailleurs là, à la place Blanche, que Louise Michel sera capturée) alors que la dernière résistance des fédérés est noyée dans le sang au cimetière du Père-Lachaise et sur les dernières barricades des rues Ramponneau et Fontaine-au -Roi.
Louise Michel consacre à la chute de ces dernières barricades bellevilloises quelques pages très vivantes, où l’évocation exaltée du panache des derniers défenseurs fédérés masque d’ailleurs mal la débandade générale du camp des communards et la nullité de leur organisation militaire. C’est à cette occasion que l‘auteur nous livre l’une des anecdotes les plus émouvantes du livre : au milieu des derniers défenseurs de la barricade de la rue de la Fontaine-au Roi, le poète Jean-Baptiste Clément voit en effet apparaître, alors que les versaillais préparent l’assaut final, une jeune ouvrière prénommée Louise. Celle-ci insiste, malgré les objurgations des fédérés, pour rester auprès d’eux afin de soigner les blessés. Elle disparaîtra ensuite au milieu des combats. Jean-Baptiste Clément, qui, malgré ses recherches ultérieures, ne saura jamais rien de son sort, lui dédiera quelques années plus tard sa fameuse chanson Le temps des cerises.
Une autre anecdote a un rapport direct avec l’une des principales causes de mon intérêt actuel pour Belleville. Militante féministe avant la lettre, Louise Michel parvint en effet à convaincre un bataillon d’infirmières d’accueillir parmi elles des employées des maisons de plaisir désireuses d’apporter leur contribution à la lutte révolutionnaire. Les autres fédérés avaient auparavant repoussé leur demande, considérant leurs mains comme impures. Louise Michel, au contraire, dans une généreuse clairvoyance, considère au contraire que ces femmes prostituées, en tant que victimes d’une double oppression – de classe et de genre – ont par ce fait même toute leur place dans les luttes émancipatrices.
Bref, un magnifique ouvrage, capable de séduire – j’en suis la preuve vivante – jusqu’aux réactionnaires les plus endurcis, même si sa contribution à l’histoire de Belleville stricto sensu reste tout de même quelque peu limitée.
Louise Michel, La Commune, 1898, nouvelle édition établie et présentée par Eric Fournier et Claude Rétat, éd. La Découverte / Poche, 475 pages, 2015.