Grand auteur de romans noirs et de scénarios policiers, militant de toujours de la gauche anti-raciste, Thierry Jonquet vient s’installer à Belleville au milieu des années 1990. Séduit au départ par le folklore multiculturaliste de ce quartier où, paraît-il, « il fait bon vivre ensemble dans la diversité », il est bientôt confronté à la réalité de la désagrégation du tissu social, des incivilités et de la délinquance. Des phénomènes en partie liés, sans doute à la crise économique, sans aussi à l’échec de l’intégration ethno-culturelle et à l’enfermement progressif de certaines populations dans des logiques communautaires de moins en moins propices à la convivialité.
Il décide alors d’écrire ce livre, visant, au-delà des tabous du politiquement correct, à décrire la réalité de ce Belleville confronté à la violence des petits voyous d’origine majoritairement immigrée et des trafics en tous genre qui minent le quotidien des habitants : seringues traînant dans les parcs à jeux des enfants, tapage nocturne, clochards alcooliques, bagarres entre bandes, prostitution, métro servant de repère aux mendiants et aux aigrefins, dégradation du mobilier urbain, détérioration du niveau de l’école publique poussant les parents inquiets à placer leurs enfants dans des écoles privées, tensions ethnico-religieuses entre groupes ou communautés – juifs, arabes, serbes, tamouls, chinois du nord et du sud s’appréciant peu entre eux, et mêmes français blancs de souche…
Bien sûr, il y a aussi les charmants vieux cafés avec leurs tables à plateau de marbre et à socle de fonte, leurs banquettes en moleskine, leurs comptoir de zinc ; il y a la fête foraine (disparue depuis), le marché à ciel ouvert, les tags de rue des artistes, le dragon du nouvel an chinois… Mais l’impression dominante qui ressort de la lecture du livre est plutôt celle du naufrage d’un projet de société utopique où toutes les cultures pourraient coexister pacifiquement dans leur diversité. Naufrage débouchant lui-même sur la menace d’un gigantesque et violent chaos.
Ce livre très bien écrit, décrivant avec objectivité l’atmosphère de Belleville – même si, 15 ans après, certaines réalités ont évolué, et pas toujours dans le sens pessimiste que redoutait l’auteur – a été diversement accueilli, lors de sa parution, par les milieux de la gauche antiraciste auxquels appartenait Thierry Jonquet. Si son originalité et son courage ont été généralement salués par ses amis, de nombreux critiques « progressistes » lui ont également reproché, sans vraiment s’aventurer sur le fond, de contribuer à légitimer le discours de l’extrême-droite xénophobe. Des critiques portant donc moins sur la pertinence des analyses elles-mêmes que sur l’opportunité de les rendre publique, et qui, avec le recul du temps, semblent ressortir davantage de la politique de l’autruche que de l’honnête discussion sur les faits. 15 ans après la publication de ce livre, on peut regretter que celui-ci apparaisse encore aujourd’hui comme une œuvre relativement osée, et que la chape de plomb à peine fissurée du « politiquement correct », qui empêche toujours la tenue de certains débats de sociétés, continue à peser sur la pensée comme sur la parole publique.
Fabrice Hatem
Thierry Jonquet, Jours tranquilles à Belleville, Le Seuil, 163 pages, 2003