Dans cet émouvant ouvrage autobiographique, l’auteur évoque son enfance cubaine insouciante et heureuse, dans une famille bourgeoise aisée du quartier du Védado. Il en égrène dans un désordre voulu, reflétant celui de son regard d’enfant, les anecdotes touchantes : les goûters costumés réunissant les enfants des familles riches du quartier, accompagnés de leurs mamans ; les chasses homériques aux lézards géants dans les beaux jardins du quartier du Vedado ; les personnages plus ou moins excentriques de sa famille, comme cette tante richissime, volontairement cloîtrés dans sa splendide villa depuis des dizaines d’années, après la mort de son dernier amant, ou comme son propre père, magistrat redouté aux étranges lubies, croyant tant à la réincarnation qu’il est convaincu d’avoir été Louis XVI dans une existence antérieure…
Ce bonheur perdu des jeunes années fait ressentir d’autant plus douloureusement le malheur de l’exil, lorsque deux après l’arrivée au pouvoir de Fidel Castro, Carlos et son frère, même pas encore adolescents, sont envoyés, seuls et sans argent, aux Etats-Unis, pour y fuir le régime cubain. Commence alors une vie d’errance, de petits métiers et de misère, dont l’auteur ne parviendra que très lentement à sortir, par sa volonté d’étudier, tandis que son frère connaîtra une existence amère d’échecs et de pauvreté.
Le livre, de par sa thématique même – la vie d’un enfant dans une famille bourgeoise très conventionnelle – ne nous dit rien sur la vie nocturne des années 1950 à la Havane, ni sur les artistes qui l’animaient alors. Mais peut-être est-ce là son mérite de nous faire comprendre qu’au-delà de la Havane des night-clubs et des casinos, ou de celle des barbudos révolutionnaires, il existait aussi un autre Cuba, celui d’une bourgeoisie catholique aisée, moraliste et conservatrice, qui a été impitoyablement balayée par l’histoire ou plus exactement par la dictature communiste…
Fabrice Hatem
Eire Carlos, 2003, Waiting for snow in Havana, éd. The free press, 388 pages