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Souvenirs d'un salsero

Acercate, mi amor, voy a controlarte

JImagee n’ai jamais aimé me faire contrôler par la police.

Enfin, si, une fois, mais ça m’a valu un gros chagrin d’amour.

C’était lors de mon premier séjour à Cuba, en 2008.

J’étais alors à la Havane, et j’avais trouvé une professeur de Salsa qui me donnait des cours particuliers. Elle habitait à Regla.

Regla est un quartier très populaire, situé en face de la Havane, de l’autre côté de la baie. Elle a des allures un peu provinciales, avec ses petites maisons étagées le long de jolies rues en pente très arborées.

Tous les jours, pour me rendre au cours, je traversais la baie de la Havane sur une petite navette très vieillotte, appelée ici la « Lancha ».

Or, les autorités cubaines avaient décrété que ce petit rafiot pouvait constituer une cible de choix pour les activistes contre-révolutionnaires et que son accès devait être contrôlé par un barrage filtrant de policiers.

Sans doute cette précaution était-elle une lointaine conséquence des événements de 1960, lorsque le cargo français la Coubre, avec sa cargaison de munitions destinées à la révolution cubaine, avait explosé dans le port, victime d’un sabotage ?

Mais en 2008, soit 50 ans après ces tragiques événements, le sévère dispositif de contrôle de cette lancha à bout de souffle, empruntée par des cubains parfaitement paisibles, avait tout de même quelque chose d’exagéré.

Je me présentais donc un soir à la file d’attente dudit contrôle, lorsque je vis arriver vers moi, avec un grand sourire, la plus charmante fliquette que j’aie jamais rencontré de toute ma vie : un joli visage fin de mulâtresse encadré de magnifiques cheveux bouclés, des yeux en amande délicatement bordés de khol, une démarche ondulante de danseuse, des formes délicatement mises en valeur par son uniforme kaki très ajusté, à la chemise légèrement échancrée. Dès que je la vis, ne n’eus plus qu’un désir : qu’elle m’emmène en garde à vue pour la nuit, sans bien sur la présence d’aucun avocat !!! J’aurais été prêt pour cela à avouer n’importe quel crime…

Mais elle ne m’en demandait pas tant. Elle voulait seulement pratiquer sur moi un contrôle de routine. Il faut vous dire que par manque de matériel moderne, la police cubaine a recours pour ces opérations à des techniques assez rustiques. Ici, pas de machines à rayon X et autres portiques magnétiques. Il faut en passer directement par les méthodes traditionnelles, à savoir la fouille au corps.

C’est donc une palpation manuelle très poussée que ma charmante fliquette s’apprêtait à me faire subir. Elle m’en informa en me disant, avec son gracieux sourire, cette phrase dont je me souviendrai toujours comme d’un rêve trop vite évanoui : « Acercate mi amor, voy a controlarte » (pour ceux qui n’auraient pas compris l’espagnol : « approche toi, mon amour, je vais te contrôler »).

Et effectivement, après avoir examiné mes papiers, elle commença la palpation au corps la plus complète, la plus professionnelle, la plus serrée qu’il m’ait jamais été donné de subir. Vraiment, avec des investigatrices aussi expertes et consciencieuses, il aurait été impossible au contre-révolutionnaire le plus entraîné de cacher même une arme minuscule, y compris dans les parties les plus intimes de son corps !!!

Mais les meilleures choses ont une fin, et ma fliquette, ayant terminé ses opérations de contrôle, me laissa embarquer, tout rêveur, tremblant d’émotion, et même à vrai dire un peu excité, sur la lancha.

Inutile de vous dire que le lendemain j’ai attendu, le cœur battant, mon cours, ou plutôt la fin de mon cours à Regla en espérant me faire contrôler à nouveau. En plus, elle m’avait dit « mi amor » !! C’était quand même un signe d’intérêt, non ?

En arrivant à l’embarcadère, je me plaçais donc avec espoir dans la file d’attente, en espérant que ma fliquette mulata bien-aimée allait venir me chercher, comme la veille, pour un contrôle au corps bien serré. J’étais bien résolu à lui laisser en plus mon numéro de téléphone.

Mais, cette fois je n’eus droit qu’à un gros policier bedonnant et suant abondamment.

Un peu déçu, je patientai tout de même jusqu’au lendemain, mais je ne fus contrôlé ce jour-là que par un petit chauve à moustaches.

J’eus beau prier de toutes mes forces le déesse Yemaya, aussi surnommée la vierge de Regla parce que son temple-église principal est situé justement à Regla – en face d’ailleurs de l’embarcadère de la lancha -, rien n’y fit : je ne revis jamais ma jolie et consciencieuse fliquette aux longs cheveux bouclés et aux mains expertes.

Cette mésaventure me permit tout de même de réaliser quelque progrès dans la langue vernaculaire du pays. En effet, confiant mes déboires amoureux avec la police cubaine à quelques amis, je leur dis un jour :

–    Mais elle devait pourtant me trouver à son goût, puisqu’elle m’a dit « mi amor » !!!

–   Ne t’y trompe pas, me répondirent-ils. « Mi amor » est simplement une formule d’amitié, un peu comme « chouchou » ou « petit ». Pour dire à quelqu’un qu’on l’aime vraiment, on dit « Amor mio ».

Cette déception linguistique me crucifia un instant. Ainsi, je m’étais illusionné sur la profondeur des sentiments de la police cubaine à mon égard : ce n’était pas un amour passionné, juste une vague sympathie !!!

Mais, mon naturel optimiste reprenant le dessus, je me satisfis finalement des notables progrès linguistiques que cette mésaventure m’avait permis de réaliser.

Et depuis, mon cœur recommence à battre  très fort, durant mes séjours à Cuba, à chaque fois que s’annonce un contrôle policier.

Mais pas de peur.

D’espoir.

Fabrice Hatem

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