Consacré à l’histoire du Latin jazz et de la salsa à New York entre 1940 et 1989, l’ouvrage Salsiology se présente comme un ensemble de 26 articles de forme variée. A côté des entretiens (de loin les plus nombreux), on trouve en effet des comptes-rendus de colloques, de petits essais à caractère universitaire, des textes de souvenirs personnels, on encore des ensemble de photos consacrées à un sujet particulier.
L’un des principaux intérêts du livre tient à la présence de nombreux témoignages d’acteurs de la scène musicale New-Yorkaise : artistes, producteurs de disques, DJ, organisateurs de spectacles. Par contre, il n’aborde que de manière assez marginale les questions liées à la danse.
L’ouvrage ne prétend pas défendre une thèse explicite dont les développements le structureraient de bout en bout. Il privilégie au contraire le recueil de matériaux bruts, sous la forme d’un patchwork d’entretiens enrichi par quelques contributions d’auteurs divers. Il permet cependant au lecteur de se forger, au fil des pages, quelques convictions fortes sur l’histoire et la nature de la Salsa. Par exemple, le fait que celle-ci n’est que l’expression contemporaine d’un long processus de métissage entre rythmes caribéens et afro-américains, lié à la coexistence, dans les mêmes quartiers pauvres de New York, de population noires et latinos immigrées.
Les contributions sont regroupées en 5 grands chapitres suivant un plan pour l’essentiel chronologique.
Le premier, intitulé From Whence Comes the Music, contient un ensemble de textes à caractère académique, rédigés par six auteurs différents, et consacrés à l’histoire des musiques populaires cubaine (Son, rumba) ou portoricaine (Danza, Plena, Bomba, Seis).
Le second, Sketches of Pioners and Players, entièrement écrit par Vernon Boggs lui-même, nous livre une galerie de portraits des maîtres du Latin jazz : Mario Bauza, Machito, Dizzie Gillepsie, Chano Pozo, Tito Puente, Tito Rodriguez, Mongo Santamaria, Cal Tjader… Un article spécifique est consacré aux femmes artistes, comme les chanteuses Esther Borja, la Lupe et Celia Cruz, ou encore l’orchestre féminin Anacaona.
Le troisième chapitre, Popularization of Afro-Cuban Music in New-York, décrit les lieux et les acteurs de la diffusion de ce genre musical. Cet ensemble de textes – essentiellement des entretiens – donne une vision très riche et vivante du bouillonnement des années 1950 et 1960 qui aboutira à l’apparition d’une nouvelle forme de musique urbaine, la Salsa. Il est bourré d’informations précises sur la scène musicale New yorkaise de l’époque, avec ses radios et ses DJs vedettes comme Symphony Sid et Dick Ricardo Sugar ; ses maisons de disques comme le Sello Alegre fondé par Al Santiago ; ses clubs de latin jazz comme le Village Gate dirigée par Art d’Lugoff ; ses producteurs et organisateurs de spectacle comme Issy Sanabria, rédacteur en chef du Latin New York Magazine ;ses clubs de danse comme le plus fameux d’entre eux, le Palladium Ballroom, dont l’atmosphère enfiévrée nous est décrite par l’ancien danseur Ernie Ensley.
L’ouvrage fournit également de précieuses informations sur l’apparition, au cours des 1960 et 1970, de nombreux lieux de danse souvent éphémères où se pratiqua la Salsa : Hotel Diplomat, Club Cheetah, Ochenta, Cork and Bootle, Manhattan Centre, St George Hotel, Taft hotel. Puis le climax salseros des années 1970 fait place dans les années 1980 à un reflux, et la musique latine déserte quelque peu le Manhattan midtown pour se replier vers son berceau populaire de l’uptown et du Bronx.
Le 4ème chapitre, The Transculturational Process, est consacré au processus de métissage entre influences caraïbes et afro-américaines qui alimente au cours du XXème siècle le développement du Latin New york Sound, depuis Alberto Soccaras dans les années 1920 jusqu’au Boogaloo quarante ans plus tard. Les noms de Mario Bauza, Machito, Dizzie Gillespie, Cal Tjader; Joe Battan, Johnny Colon, se succèdent au fil des textes qui décrivent les étapes de cette histoire. Le chapitre se termine par un article consacré à l’enracinement de la Salsa en Afrique de l’ouest et centrale, où elle retrouve en quelque sorte ses origines rythmiques tout en fusionnant avec des musiques locales.
Enfin la 5ème et dernière, partie, Salsiological Issues Today, est plus hétérogène. Elle contient, entre autres, une enquête sur les salseros du Bronx, une analyse sur le rôle du piano dans la rythmique de la salsa et des souvenirs de musiciens. L’ouvrage se conclut par quelques confidences autobiographiques de Vernon Boggs, assez émouvant dans l’expression de son amour pour la musique latin.
Salsiology, est, du fait de son caractère très touffu, est un livre d’abord un peu difficile. Mais il séduit progressivement, au fil des pages, non seulement par la valeur des informations et des analyses que par le caractère extrêmement vivant des entretiens, dont la retranscription, respectant fidèlement les propos des interviewés, nous laisse deviner leur caractère et leur manière d’être. Il faut cependant s’armer d’un peu patience et prévoir un long temps de lecture pour espérer tirer tout le bénéfice de ce monumental ouvrage de référence.
Fabrice Hatem
Salsiology, Afro cuban music and the Evolution of Salsa in New York City, Vernon W. Boggs, Excelsior Music Publishing Company, première eéition 1992, 386 pages.