Saul Escalona, sociologue d’origine vénézuelienne installé à Paris depuis 1978, est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés à la Salsa en France et dans le monde, comme La Salsa, Pa Bailar Mi Gente (1998) et Ma Salsa défigurée (2001). Son dernier livre, Si la Peña m’était contée (2010), est une évocation romancée d’un haut lieu de la salsa parisienne des années 1980, la Peña Saint-Germain.
C’est en 2007 qu’il a publié La salsa en Europa, Rompiendo el hielo, un ouvrage consacré, comme son nom l’indique, à la diffusion de la Salsa en Europe. Sa thèse centrale est la suivante : la mode de la Salsa qui se développe aujourd’hui dans le Vieux continent s’appuierait sur une image quelque peu faussée de cette culture populaire. En effet, les européens projetteraient sur la Salsa une image stéréotypée d’exotisme et de sensualité tropicale, la pratique de cette danse leur permettant de lever leurs inhibitions physiques et mentales en leur offrant une possibilité de rapprochement avec l’autre sexe. Mais ils pratiqueraient pour cela une danse trop académique et technique, déconnectée de la musique, dans un contexte d’ignorance de la culture latino, à commencer par le sens des paroles chantées. La Salsa « européenne » aurait perdu de ce fait quelques-uns des traits les plus authentiquement liées à ses origines populaires latino-américaines : l’esprit contestataire et rebelle, le sens du partage et le sentiment d’appartenance à une collectivité, le caractère de danse de séduction et d’improvisation profondément liée au rythme et à la musique…
Le premier chapitre, Genesis salsera, rassemble de courtes contributions extérieures sur l’histoire de la Salsa dans plusieurs pays ou régions d’Europe, comme l’Allemagne, la Suède, la France, l’Espagne, l’Ecosse. Un texte est également consacré au festival latino -américain de Milan. On perçoit à la lecture de ces pages l’existence d’une chronologie commune à tous ces pays : précurseurs isolés des années 1970 : premier essor des années 1980 encore limité à un milieu de mélomanes ; boom de la salsa dansée dans les années 1990 dopée par l’arrivée d’une vague d’immigration latino et notamment cubaine ; enfin, transformation au début des années 2000 en en loisirs de masse géré de manière quasi-industrielle.
Le second chapitre, la Ola Salsera propose justement des développements intéressants sur ce que l’auteur désigne, de manière à mon avis hyperbolique car il ne s’agit au fond que d’un petit artisanat, sous le nom « d’industrie commerciale Salsera » : radios, revues, écoles de danse, night-clubs, concerts et festivals. Il y reprend notamment certaines analyses de son livre de 2001 Ma salsa défigurée; sur l’histoire de la Salsa à Paris entre 1970 et 2000.
Enfin le troisième chapitre, Bailen entonces, est consacré à la pratique actuelle de la danse. Egratignant au passage les clichés fantasmés de la mulata sexy et du latin lover, l’auteur y souligne le contraste entre une Salsa latino-américaine fondée sur l’improvisation la séduction, et la pratique européenne d’une danse académique privilégiant la prouesse technique.
Ce livre fort utile et instructif – pratiquement le seul consacré, à ma connaissance, à l’histoire de la Salsa en Europe – souffre cependant des préjugés négatifs de l’auteur, qui parfois parasitent l’objectivité de ses analyses. Par exemple, le développement de l’enseignement de la Salsa dansée est présenté comme résultant de motivations essentiellement mercantiles visant à exploiter ce « filon ». Quant à la pratique de la danse par les aficionados, elle est présentée d’une manière frôlant parfois la satire. Or ma connaissance du milieu me permet d’affirmer qu’il existe aujourd’hui dans la Salsa européenne, contrairement à ce que le livre suggère à demi-mots, beaucoup d’enseignants sincères, d’organisateurs de festivals passionnés et de danseurs amateurs connaissant bien la culture latino. La situation, en la matière, me semble avoir évolué plutôt positivement au cours des dix dernières années, ce qui devrait logiquement conduire l’auteur à proposer dans ses prochains ouvrages, que nous attendons avec impatience, une vision plus nuancée du milieu salsero européen.
Fabrice Hatem
La Salsa en Europa : Rompiendo El Hielo, par Saúl Escalona, Fundación Veicente Emilio Sojo, Caracas, 2007, 142 pages.