Film musical d’Eldar Riazianov, avec Igor Ilinski, Lyudmila Gourtchenko, Yuri Belov, Union soviétique, 1956, 80 minutes.
Union Soviétique, milieu des années 1950. Les employés d’une maison de la culture préparent un spectacle du nouvel an plein d’invention et de talent. Mais le nouveau directeur, à l’esprit conservateur et borné, veut le transformer en une assommante succession de numéros poussiéreux et convenus. Les artistes parviendront-ils à sauver leur spectacle ?
Réalisé en 1956, Une nuit de carnaval a représenté une rupture assez importante dans l’histoire du cinéma soviétique : après 25 années de terreur stalinienne et de subordination de l’art à des objectifs de propagande, ce film met en effet en scène des formes d’expression artistique ne correspondant pas entièrement aux canons du « réalisme socialiste » tout en exprimant une (très légère) irrévérence vis-à-vis des autorités établies. Car, à travers le personnage ridicule, complètement fermé à l’humour et à l’innovation artistique, du directeur Serafim Ogurtsov (incarné avec verve par Igor Ilinski), c’est toute une bureaucratie culturelle figée dans les conventions dont Riazanov dresse visiblement la caricature.
Ce timide retour à la vie et à la liberté du cinéma et, à travers lui, de la société soviétique est incarné dans le film par le visage poupin, souriant et expressif de la jeune Lyudmila Gourtchenko (dans le rôle de Lena, l’organisatrice du spectacle), dont c’est une des premières apparitions à l’écran, mais qui sera ensuite appelée à une très belle carrière d’actrice.
Une nuit de Carnaval est à la fois une comédie très drôle et un film musical de grande qualité. La stupidité du directeur, s’appliquant à dénaturer chacun des numéros qui lui sont proposés en lui enlevant son ressort le plus essentiel ou en lui substituant une séquence mortellement ennuyeuse, puis l’espièglerie avec laquelle les artistes parviennent à tourner en ridicule chacune de ses initiatives importunes, sont la source d’une succession ininterrompue de situations désopilantes. Comme lorsqu’en tenant d’interrompre un numéro qu’il avait supprimé du programme, il se trouve transformé par l’action d’un prestidigitateur en clown de scène, avec lapins sortant du chapeau, pétards et longs mouchoirs colorées déroulés depuis ses poches.
Quant au très sérieux conférencier convoqué pour faire un exposé sur un sujet scientifique assommant, il arrivera sur scène en état d’ébriété avancé pour y exécuter un casatchok hésitant après avoir été, à dessein, invité à boire plus que de raison par le régisseur….
A la puissance burlesque du film s’ajoute une touche de romantisme, unissant plusieurs couples dont les membres masculins, souvent affligés d’une timidité maladive, ont bien du mal à faire l’aveu, pourtant impatiemment attendu par leur partenaire féminine, de leurs sentiments. A l’image du jeune Grisha (Yuri Belov), amoureux de Lena mais incapable, au grand agacement de celle-ci, de lui déclarer sa flamme…
Heureusement pour eux, les inhibitions de Grisha finiront par tomber grâce à la gaieté débridée qui règne ce soir-là dans la grande salle des fêtes. Une atmosphère que le réalisateur parvient à rendre magnifiquement par la profusion désordonnée des couleurs, des personnages, des rires et des accessoires – déguisements, ballons, serpentins et chapeaux de clown – qui, par moment envahissent entièrement l’écran dans une frénésie joyeuse.
La réussite de la fête est aussi très largement liée à la qualité intrinséèque des numéros artistiques : grand big band associant dans un savoureux mélange certaines sonorités de la musique russe populaire au swing jazzy (mais comment donc ont-ils réussi à l’apprendre, en pleine glaciation stalinienne ?) ; très beaux numéros de danse (répétition de danse moderne au début du film, ballet d’ombrelles colorées à la fin) ; chansons romantiques dont plusieurs sont interprétées par Lyudmila Gourtchenko, ; duo de claquettes mexicaines et trio de serveuses-chanteuses plein de fraicheur ; enfin, chanson populaire, poésie et magie, apportant un petit côté « vieux jeu » qui contribue largement au charme du film.
Riazanov nous offre ainsi une petite demi-heure de spectacle plein de vie et de tendresse, faisant ainsi largement jeu égal avec les meilleures comédies musicales américaines de l’époque… Tout en donnant rétrospectivement de l’Union soviétique poststalinienne une image infiniment plus sympathique et avenante que celle associée au climat de guerre froide qui l’opposait alors à l’Occident.
Pour en savoir davantage sur Une nuit de carnaval, consulter la fiche Wikipedia. Pour visionner le film complet, cliquez sur : Carnaval.
Fabrice Hatem