Film dramatique de Muzaffar Ali, musique de Khayyam, d’après le roman éponyme de Mirza Hadi Ruswa, avec Rekha, Farooq Shaikh, Inde, 1981, 145 minutes.
Inde, vers 1840. Dans un village de l’Uttar Pradesh, une très jeune fille, Amiran (Rekha), est enlevée et vendue dans une maison close de Lucknow. Quelques années plus tard, devenue, sous le nom d’Umrao Jaan une courtisane réputée pour ses talents de danseuse et de poétesse, elle noue une relation amoureuse passionnée avec un jeune aristocrate, Nawab Sultan (Farooq Shaikh). Parviendront-ils au bonheur en dépit des conventions et des violences d’une époque troublée ?
Malgré quelques scories de prises de vue et de montage, ce film nous offre une preuve éclatante de la grandeur du cinéma indien, si injustement ignoré dans les pays occidentaux. La qualité de la reconstitution historique, la richesse des décors d’intérieur et des costumes, l’intensité d’un drame inspiré d’une œuvre littéraire majeure, sa crédibilité psychologique mise en valeur par la qualité des interprètes (tout particulièrement l’émouvante Rekha), enfin la beauté des scènes de danse, font en effet d’Umrao Jaan une œuvre cinématographique de premier plan.
La musique et la danse tiennent habituellement une place importante dans la plupart des films indiens. C’est d’autant plus le cas dans Umrao Jaan que l’héroïne principale, une courtisane, a justement pour métier de charmer les hommes par la pratique de ces arts.
Et de fait, les principales scènes dansées du film (comme In Aankhon Ki Masti ouDil Cheez Kya Hai) évoquent ces danses de courtisanes si fameuses de l’Inde ancienne. Elles prennent place dans l’intérieur superbe d’une maison de plaisir destinée à une clientèle fortunée, avec son somptueux salon entouré de colonnes orientales. Les riches clients en costume traditionnel y sont assis sur des coussins de soie tout autour de l’espace central, où évoluent, sur des tapis précieux, des danseuses en sari, aux mains maquillées de rouge.
Celles-ci pratiquent, en solo ou en petits ballets, des danses indiennes traditionnelles, comme le Kathak. Après un début assez lent, en position assise, où l’on peu surtout apprécier les délicats mouvements de mains et les expressions très travaillées du visage, l’interprète se lève pour pratiquer une danse de plus en plus animée, avec tours, déboulés et pirouettes.
Cette danse raffinée repose sur une maîtrise poussée de toutes les parties du corps : gestuelle complexe des bras, des poignets et des mains, expressions du visage mettant en jeu le regard, les sourcils, la bouche ou le cou, figures complexes des jambes et des pieds… Ces mouvements avec leurs accélérations et leurs arrêts subits, sont coordonnés de manière incroyablement précise avec le rythme musical. A travers ce riche langage corporel, cette danse très expressive, proche par moments du mime, semble vouloir nous conter une véritable histoire. D’ailleurs, le mot « Katthaka » ne signifie-t-il pas « conteur » en sanskrit ?
Les prises de vue, alternant plans fixe et mobiles, gros plans sur une interprète ou cadrage large sur l’ensemble du ballet, mettent en scène la relation de séduction qui s’établit entre la danseuse et les hommes qui la regardent – et tout particulièrement celui, privilégié, avec lequel elle est en train de nouer une relation amoureuse. La scène de danse a donc ici pour « fonction » de signifier au spectateur l’éclosion du désir masculin, alimenté par ce condensé de grâce féminine.
Au-delà du désir qui rapproche les corps, l’amour est aussi construit autour de l’affection qui rapproche les âmes. Ces sentiments romantiques s’expriment dans le film par plusieurs chansons évoquant les différents états du sentiment amoureux. Zindagi Jab Bhi Teri Bazm Mein est par exemple une chanson d’amour interprétée par Nawab Sultan, célébrant sur un ton élégiaque, dans un décor de campagne idyllique, le bonheur du couple qu’il forme avec Umrao. Justuju Jis Ki Thi est une chanson triste, évoquant un amour brisé sur des images en flash-back des anciens moments de bonheur. De même, Umrao évoque tristement dans Ye Kiya Jagah Hai, les malheurs qui ont marqué sa vie alors qu’elle revient dans son village d’enfance à la fin du film.
Certaines de ces chansons sont directement interprétées à l’écran par les personnages (qui sont en fait doublés par des chanteurs souvent très connus), d’autre sont chantées en voix off sur les images du film.
Le spectateur occidental pourra reprocher à ce film sa durée un peu élevée (près de 2h30), la longueur excessive de certaines plans, une certaine imprécision des montages et les raccords d’images, le caractère très mélodramatique et sentimentalisme de l’intrigue, ou encore le peu d’apprêt des décors extérieurs (à l’exemple de scènes tournées dans les ruines aujourd’hui désaffectées de palais alors au sommet de leur splendeur, provoquant ainsi un étrange sentiment d’anachronisme). Et puis, on peut aimer ou non la musique indienne, aux sonorités parfois un peu trop nasillardes aux goûts du public occidental… Mais tout cela n’empêche pas Umrao Jaan d’être un film de valeur exceptionnelle.
Comme beaucoup de films indiens à succès basés sur des œuvres littéraires reconnues, Umrao Jaan a fait l’objet d’assez nombreux remakes et adaptations. Cependant, la version de 2006, la plus récente, n’a pas été très bien accueillie par la critique et n’a visiblement pas fait oublier celle de 1981, qui reste encore aujourd’hui la référence.
Pour en savoir davantage sur le film, consulter la fiche Wikipedia. Pour visionner le film complet, cliquez sur : Umrao.
Fabrice Hatem