Documentaire musical de David Lachapelle, avec Tommy Johnson « The Clown », Lil’ C, Miss Prissy, Etats-Unis, 2005, 86 minutes.
David Lachappelle nous entraîne à la découverte de « Street dancers » des ghettos noirs de Los Angeles, pratiquant le Clowing, le Striping, le Twerking ou le Krumping. Tous proches du hip hop (bien que leurs adeptes affichent une forte distance à celui-ci, qu’ils jugent galvaudé et commercial), ces différents styles se caractérisent chacun par une atmosphère particulière : Clowning surtout destiné à distraire les enfants dans un cadre familial ; Stripping à connotation très sexuelle ; Krumping exprimant l’agressivité et le défi…
Après quelques images des grandes émeutes de 1965 et 1992, qui ravagèrent les quartiers de Watts, South Central, Ingelwood ou Normandy, la première partie du film nous fait découvrir du « Clowning », en compagnie de son fondateur, Tommy Johnson. Entre images d’animations de rue, scènes de répétition et interview de danseurs de la troupe, le film insiste sur le rôle intégrateur de cette danse pour des jeunes en difficulté, confronté à des situations familiales souvent dramatiques, et constamment menacés de sombrer dans la drogue et la délinquance ; Tommy -lui-même ancien trafiquant de drogue – jouant apparemment pour eux le rôle d’un « père de substitution ».
Le Clowning, mouvement lancé au cours des années 1990, a visiblement fait depuis des émules, puisqu’il existait au moment du tournage du film plusieurs dizaines de groupes pratiquant ce style à Los Angeles. Mais il a également évolué vers un autre genre de Street dance plus récent, dénommé Krumping. Contrairement au Clowing, évoluant entre rire et tendresse, le Krumping exprime la violence urbaine : postures de combat aboutissant parfois à des corps à corps, mouvement de torse et de hanches provocateurs, bonds et acrobaties sur les murs et le mobilier urbain, visages crispés par des expressions de défi…
On est impressionné par l’énergie menaçante qui se dégage de cette danse, souvent pratiquée, à l’inverse du Clowning, dans des lieux reculés, à l’écart de la foule. Même les filles s’y mettent, pratiquant avec les garçons des battles aux allures de guerre des sexes. Mais d’après les danseurs, cette agressivité apparente, aux manifestations parfois inquiétantes, ne déboucherait jamais sur de réels actes de violence. Au contraire, en permettant aux danseurs d’extérioriser leurs tensions intérieures et leur colère, elle leur permettrait de mieux les canaliser. Enfin, c’est ce qu’ils expliquent devant la caméra…
La troisième partie du film est consacré à une grande battle organisée dans une immense salle de spectacle du quartier d’Ingelwood, le Great Western Forum, entre le groupe de Clowning de Tommy et les adeptes du Krump dirigés par Lil’c. Une manifestation aux enjeux symboliques importants pour les deux groupes qui se disputent la prééminence artistique dans ces quartiers. Et qui permet au spectateur d’apprécier encore une fois l’incroyable vitalité physique de ces jeunes danseurs opposés en combat singulier dans une dizaine de battles, devant un public surexcité où se mélangent les « fans » de l’un et l’autre camp.
Le réalisateur parvient à nous faire ressentir la formidable inventivité artistique du ghetto, où de nouvelles formes d’expression dansées apparaissent en permanence. Il montre, à travers l’utilisation d’image d’archive, la filiation très évidente qui relie les danses de rue actuelles aux danses rituelles des tribus africaines. C’est particulièrement vrai pour le Krump, dont la similitude avec certaines danses guerrières traditionnelles est vraiment troublante.
Quelques images montrent cependant à la fin du film un groupe d’asiatiques et un danseur blanc pratiquant le Krump. Signe d’un début de diffusion de ces nouvelles danses des rues au dela de leur berceau afro-américain originel, comme cela fut le cas quelques années auparavant du break et du hip hop ?
Ce film émouvant nous fait aussi ressentir les destinées fragiles de ces artistes de rue, toujours à la merci des violences du ghetto : assassinat d’une danseuse par un gang au cours du tournage, cambriolage dévastateur dont est victime Tommy the Clown le soir de la grande Battle…
On peut cependant se demander s’il ne donne pas une image un peu trop lisse et idéalisée de ses protagonistes. Ceux-ci, en effet, se présentent tous à l’écran comme nous souhaitons les voir, c’est-à-dire comme des modèles de vertus morales et familiales touchés par la grâce de la danse, alors que l’on se doute bien que leur réalité quotidienne, immergés qu’ils sont dans les pathologies sociales du ghetto et assaillis par toutes sortes de difficultés et de tentations, est beaucoup plus complexe. Mais ces arts des rues pourraient-ils s’épanouir ailleurs que dans ces quartiers déshérités, mystérieux et inquiétants berceaux d’une formidable créativité artistique ?
Pour en savoir davantage sur le film, consultez la fiche Wikipedia. Pour visionner la bande-annonce, cliquez sur : Trailer. Pour visionner le film complet, cliquez sur : Rize.
Fabrice Hatem