Film égyptien de Henry Barakat, avec Farid El Atrache, Samia Gamal, Lola Sedki, Egypte, 1949, 119 minutes, noir et blanc.
Asfour (Farid El Atrache) est amoureux de la chanteuse Alya (Lola Sedki), également fille du patron du cabaret où il travaille, qui décline les avances de ce soupirant trop pauvre. Celui fait alors appel aux services de la Djin Kahramana (Samia Gamal) qui l’aide à parvenir à ses fins en devenant fabuleusement riche. Il ouvre alors lui-même un cabaret où il embauche le sosie humain de Kahramana, la chanteuse Semsema. Mais, Kahramana, amoureuse d’Asfour, fait finalement capoter le mariage et disparaître les richesses d’Asfour, tandis que Semsema, blessée d’être délaissée pour une autre, s’enfuit. Asfour, repentant, s’aperçoit alors que ses véritables sentiments l’entraînent vers Semsema et lui déclare son amour à la grande satisfaction de Kahramana.
Cette charmante comédie, à la fois poétique et pleine de rebondissements amusants, nous permet de découvrir la vitalité du cinéma égyptien des années 1950, qui réalise une greffe assez réussie d’influences occidentales sur une esthétique fondamentalement enracinée dans les traditions locales.
C’est surtout la figure espiègle et naïve de Kahramana, amoureuse d’Asfour qu’elle confond avec le diable Asfaroth dont il a interprété le rôle au théâtre, qui offre au spectateur de nombreux moments de pur bonheur. Les tours de magie de ce Djin (Esprit) farceur provoquent en effet toutes sortes de situations très cocasses, comme lorsqu’elle asperge de poil à gratter tous les participants à une très élégante cérémonie de mariage. Son incarnation dans le personnage humain de Semsema abolit très poétiquement les frontières entre réalité et merveilleux. Mais on apprécie aussi la prétention intéressée et un peu ridicule d’Alya et de son père, le contrepoint comique offert par le comparse Bou’hou (au burlesque cependant un peu trop forcé par rapport aux goûts du public occidental contemporain), le romantisme des chansons d’amour interprétées (et composées) par Farid el Atrache…
Par ses rythmes flexibles, ses mélopées envoûtantes et ses sonorités un peu nasillardes, la musique de Farid El Atrache est fondamentalement enracinée dans la tradition arabe. Mais elle intègre également par moments d’étranges métissages avec l’opérette européenne : mélange d’instruments occidentaux comme le violoncelle avec des instruments arabes traditionnels dans l’accompagnement de certaines chansons ; interprétation de celles-ci en costume occidental ou dans des décors évoquant l’influence occidentale ; présence de sonorités éclectiques, allant de la valse de style « années 1930 » et du boléro jusqu’à la musique arabe pure, en passant par des finals symphoniques…
Ce métissage se retrouve également dans les scènes dansées, qui parcourt tout le degré des nuances possibles : solos et ballets de danse orientale « pure » interprétés par Samia Gamal, en costumes traditionnels ou occidentaux ; chorégraphies associant des styles de danse occidentaux (valse, tango, comédies musicales de Broadway..) et orientaux, comme dans l’étrange final dansé, salmigondi très kitch d’influences hétéroclites.
Le spectateur contemporain observe avec nostalgie ce témoignage d’une époque passée de créativité où le cinéma égyptien, plein d‘espièglerie coquine dans l’évocation des rapports amoureux, reflétait une société apparemment capable de s’ouvrir aux influences extérieures tout en cultivant ses propres traditionss.
Pour en savoir davantage sur le film, consulter la fiche Wikipedia. Pour visionner Madame la Diablesse, cliquez sur : Farid.
Fabrice Hatem