Somos Wichis, documentaire de Andrew Buckland, Argentine, États- Unis, 2011, 45 minutes
Indiens d’Amazonie en Sursis, documentaire de Daniel Schweizer, Suisse, Brésil, 2012,32 minutes
Les bonnes intentions n’excusent pas l’absence de rigueur. Les meilleures causes peuvent être dé-crédibilisées par une propagande outrancière ou mal conçue. C’est malheureusement ce qui se produit avec le médiocre documentaire d’Andrew Buckland, Somos Wichis. Celui-ci est censé nous alerter sur le drame des communautés indiennes Wichis, habitant dans la forêt du Gran Chaco, au nord de l’Argentine, dont l’environnement et le mode de vie seraient menacés par l’agrobusiness intensif, l’exploration pétrolière et l’abattage des forêts.
Le problème, c’est que le documentaire n’apporte aucune preuve tangible à l’appui de ses assertions. L’image est substituée au fait, l’affirmation à la démonstration, l’émotion facile au raisonnement. Un gros plan sur un tronc coupé et une tronçonneuse à l’arrêt sont censés nous convaincre des ravages de la déforestation, le survol par un bimoteur de l’empoisonnement provoqué par l’épandage de pesticides, et l’image d’un champ parfaitement ordinaire des désastres de l’agrobusiness industriel. Tout cela aurait pu être tournée n’importe où et n’apporte aucune preuve convaincante aux affirmations tragiquement martelées en voix « off ».
Le film franchit une étape supplémentaire vers la parodie lorsque deux « ethnologues » (dont les fonctions exactes et les travaux ne sont pas clairement présentés) viennent nous expliquer que les indiens Wichis possèdent des qualités morales et humaines exceptionnelles, qui en feraient – cela tombe bien !! – de véritables modèles pour les tenants de l’idéologie altermondialiste. Ils ne connaissent par la propriété privée, vivent en parfaite harmonie avec la nature, ont une culture marquée par l’esprit de conciliation, restent toujours calmes, et privilégient les choses de l’esprit sur celles de la matière. Quelques images de pêche au filet mises à part, aucune preuve n’est là non plus apportée à ce navrant brouet de clichés pour écolos de gauche.
Soyons clair : je ne nie pas la réalité des difficultés auxquelles sont confrontés les indiens Wichis, ni la valeur de certaines de leurs traditions. Je demande simplement que l’on respecte mon intelligence de spectateur et que l’on m’informe de manière rigoureuse sans chercher à me faire prendre pour argent comptant n’importe quelle affirmation de circonstance.
Le second documentaire, Indiens d’Amazonie en sursis, est sur ce plan plus satisfaisant.
La nature exacte des menaces pesant sur la forêt amazonienne, tout d’abord est clairement explicitée, cartes et documents à l’appui, à partir d’exemples précis : ici, un projet de barrage gigantesque, celui de Belo Monte, qui noiera plusieurs vallées et villages. Plus loin l’invasion des réserves indiennes par des orpailleurs illégaux. Ailleurs, des demandes massives de concession par les compagnies minières. Et pour toute l’Amazonie, un projet de loi risquant de sacrifier la protection de l’environnement aux objectifs de développement économique.
Le documentaire a également l’honnêteté de donner la parole à toutes les parties prenantes, y compris aux défenseurs du projet de barrage de Belo Monte, qui expliquent d’ailleurs de manière assez convaincante les bienfaits potentiels qu’en retirera le pays.
Bien sûr, le film n’échappe pas entièrement à certains travers du genre, par exemple lorsque le refus de l’administration des affaires indiennes de la région de recevoir les représentant d’une ONG européenne est dramatisé comme s’il s’agissait d’une preuve incontestable de mauvaise foi. Dans aucun pays souverain, que je sache, une administration publique n’est obligée de recevoir une délégation étrangère se mêlant de problèmes intérieurs…
Mais, dans l’ensemble, ce documentaire parvient à nous convaincre de l’importance et de l’urgence de l’enjeu. Et cette fois l’émotion, appuyée sur une démonstration relativement rigoureuse, ne sonne pas creux : comme celle de l’actrice suisse Noémie Kocher, envoyée sur place par l’ONG OMCT et bouleversée par la destruction de la forêt amazonienne dont elle est témoin. Ou comme les paroles de ce chef de l’une des dernières tribus indiennes isolées, prophétisant que la fin de son peuple des forêts signifierait aussi celle du notre, le peuple des villes. Je ne sais pas pourquoi, mais celui-là m’a vraiment impressionné….
Fabrice Hatem
(Vu au festival Filmar en America latina, à Genève, le jeudi 22 novembre 2012)