Documentaire de Marcia Olivares, Cuba, 2002 (?), env. 30 minutes
Consacré à la vie et à l’œuvre du grand musicien cubain, cet excellent documentaire tire d’abord sa valeur de l’abondance des archives sonores et des témoignages de première main – entre autres ceux de son pianiste Ruben Gonzales et du percussionniste Tata Guïnes, qui joua quelques temps avec son orchestre. Il se distingue aussi par la très grande clarté des analyses musicologiques qui nous sont proposées, au moins pour ce qui concerne la période cubaine de l’activité d‘Arsenio Rodriguez, c’est-à-dire jusqu’en 1950.
Nous comprenons ainsi le rôle clé joué au cours des années 1940 par le « Ciego maraviloso » dans la modernisation du Son et l’invention du Son Montuno ou Urbain, à travers notamment l’introduction de la trompette, du piano et des tumbadoras dans l’orchestre traditionnel, le renforcement de la structure polyrythmique et contrapuntique, et l’importance accrue donnée à la partie semi-improvisée à la fin des interprétations. Nous apprécions, documents d’archives à l’appui, son triple talent de joueur de tres, de directeur d’orchestre et de compositeur.
Nous prenons également la mesure de son influence ultérieure dans l’évolution de la musique afro-caraïbes jusqu’à nos jours. A Cuba même, son héritage, préservé après son départ par les anciens musiciens de son conjunto, comme le pianiste Lili Martinez, le trompettiste Felix Chapotin et le chanteur Miguel Cuni, ouvre la voie, à travers Irakere,, à la Timba contemporaine. Et, aux Etats-Unis où Arsenio s’installe en 1950, il alimente les évolutions du Latin Jazz qui conduiront à l’apparition de la Salsa.
Une petite réserve cependant : l’importance de l’héritage proprement nord-américain d’Arsenio Rodriguez n’est pas, à mon humble avis, mis en valeur avec suffisamment de force dans le documentaire. Et pourtant, son style dit « Diablo » peut être considéré comme un précurseur immédiat de la Salsa. Certains des principaux musiciens de la Fania, comme le chanteur Ismael Miranda et surtout le chef d’orchestre Larry Harlow lui vouaient d’ailleurs une grande admiration qui les conduisirent à enregistrer un album (de salsa…) en son honneur, Tribute to Arsenio Rodriguez…
On se prend d’ailleurs à rêver de ce qui se serait passé si Arsenio Rodriguez n’était pas subitement décédé en 1970, dans une relatif oubli, à l’âge relativement jeune de 59 ans, quelques mois avant les descargas historiques qui vont propulser la Fania et ses musiciens au sommet des hit-parades. S’il avait vécu, ne serait-il pas devenu, à l’égal de Celia Cruz ou de Tito Puente, l’un des plus grands Salseros des années 1970 ?
Mais, avant de refaire l’histoire, commençons par l’apprendre en regardant ce documentaire rigoureux et incisif.
Fabrice Hatem
Pour visionner le documentaire : https://www.youtube.com/watch?v=ncTb1okElao