Fiction de Fernando Solanas, France-Argentine, 1985, 115 minutes
Un groupe d’artistes et d’intellectuels argentins, réfugiés politiques à Paris pendant la dictature militaire, affrontent la nostalgie de l’exil, les deuils liés à la répression et les difficultés de la vie quotidienne. La tanguedia (spectacle de tango) qu’ils essayent de monter, expression chaotique et inaboutie de leur malheur, parviendra-t-il à intéresser le public et les producteurs français ?
A travers les destins croisés de ses personnages amers, L’exil de Gardel est d’abord une évocation très émouvante des années noires de la dictature et du drame du déracinement. Réalité, rêve et spectacle se mélangent dans des mises en abyme qui mettent violemment en lumière le désarroi et la souffrance des personnages. L’atmosphère étrange du film – en équilibre instable entre bouffonnerie, tragédie et fantastique -, la présence dans la distribution de Philippe Léotard, de Miguel Ángel Solá, ainsi que de la voix de Roberto Goyenenche, préfigurent Sur, qui sera réalisé trois ans plus tard, en Argentine cette fois, par le même metteur en scène.
Mais pour les amateurs de tango, L’exil de Gardel est d’abord une comédie musicale, peut-être l’une des plus réussies qui ait jamais été tournée autour du 2X4. Cette qualité exceptionnelle est le produit de quatre élements distinctes :
– La magnifique musique originale d’Astor Piazzolla, qui écrivit pour le film plusieurs thèmes majeurs (dont Tanguedia) et les interpréta avec son quintet.
– Les très belles chorégraphies associant tangos et danse contemporaine dans une évocation des violences de la dictature qui préfigure certains séquences du Tango de Carlos Saura (à noter également la présence d’Eduardo et de Gloria Arquimbau dans des scènes de tango plus traditionnelles).
– Les chansons écrites par Fernando Solanas, accompagnées de petites danses ou-pantomimes interprétées dans différents lieux de Paris, qui introduisent, de manière à la fois burlesques et grinçantes, chacune des parties du film.
– Enfin la présence, fantasmagorique ou réelle, de personnages mythiques de l’histoire argentine et du tango, comme le général San Martin, Carlos Gardel, Enrique Discepolo, et (en chair en os celui-là) Osvaldo Pugliese dirigeant son orchestre au Bataclan.
Certaines scènes de danse peuvent, il est vrai, sembler aujourd’hui un peu datées à un public de connaisseurs suralimentées de bonne technique tanguera : danseurs contemporains de l’époque ne maîtrisant pas complètement l’esthétique du tango telle que nous la connaissons aujourd’hui ; scène de milonga où l’on voit les figurants danser un tango de compétition anglais devant (sacrilège !!!) un Osvaldo Pugliese imperturbable…
Mais qu’importent ces quelques scories !! L’ensemble constitue, par sa valeur à la fois cinématographique, musicale et chorégraphique, une grande réussite artistique qui mérite largement d’être revue par les aficionados d’aujourd’hui.
Fabrice Hatem