Docu-fiction de Carolina Neal, Argentine, 2007, 79 minutes
Buenos-Aires, début des années 2000 : un jeune contrebassiste, Ignacio Varchauski, veut monter un orchestre-école de tango. Son but : assurer la transmission aux jeunes générations du répertoire stylistique de la grande époque, encore maîtrisé par quelques musiciens âgés, comme Emilio Balcarce, Julián Plaza, Ernesto Franco ou Leopoldo Federico… Emilio Balcarce, après quelques hésitations, accepte d’en prendre la direction. Répétitions, spectacles, coulisses, studios d’enregistrement : de Buenos Aires à Paris, le film raconte la réalisation de ce projet, qui, en dépit de toutes ses difficultés, aboutira à l’apothéose d’un concert au Théâtre Colón, réunissant les musiciens de la jeune et de la vieille génération.
Entièrement basé sur une histoire réelle, dont il reconstitue les étapes avec exactitude, le film est cependant construit, non comme un documentaire, mais comme une fiction associant images d’archive et reconstitutions où les protagonistes réinterprètent leur propre rôle dans des situations réelles vécues auparavant.
Il nous fait d’abord découvrir une très belle aventure humaine. La réalisatrice parvient à susciter l’empathie pour ses principaux personnages dont les ressorts psychologiques, mais aussi les faiblesses et les inquiétudes, sont habilement saisis au détour d’une conversation. Ignacio Varchauski déploie tranquillement une énergie immense pour faire aboutir son projet au milieu de toutes les difficultés : financements incertains, salles de répétition inondées, santé défaillante des vieux maîtres. Emilio Balcarce, partagé entre le poids de la vieillesse et l’amour intact qu’il porte à la musique, s’anime superbement lorsqu’il dirige l’orchestre, mais vit avec angoisse sa surdité croissante. Le film campe également avec tendresse le portrait de tous ces jeunes musiciens de talent, comme ce violoniste cubain arrivé à Buenos Aires par amour pour une femme et qui y est ensuite resté par amour du tango…
Si sos brujo a aussi son ressort dramatique, son « suspense » : il nous raconte en effet l’histoire d’une course acharnée contre le temps qui passe, affaiblissant les souvenirs et les corps, pour préserver et transmettre la mémoire du tango.
Le film, par la grande qualité et le caractère parfois exceptionnel de certains enregistrements, suscitera également l’intérêt des mélomanes. Les scènes de concert au théâtre de Chaillot ou au Colón, mais aussi celles ou l’orchestre se produit dans une milonga de quartier, sont superbes. La manière dont les jeunes musiciens parviennent à décortiquer, vidéos à l’appui, à classer puis à restituer les secrets des « manières de jouer » des « anciens » – qui parfois ont du mal à les expliquer eux-mêmes – est absolument fascinante.
A recommander sans réserve aux amoureux du 2X4.
Fabrice Hatem
Renseignements : info@transeuropavideo.com.ar