Docu-fiction de German Kral, Allemagne, Argentine, 2009, 87 minutes
Buenos Aires, milieu des années 2000. D’anciens chanteurs de tango du fameux bar d’El Chino, tombé en déshérence après la mort de son fondateur-animateur, cherchent, contre vents et marées, à poursuivre leur activité artistique. Ils finissent par rencontrer les jeunes musiciens de l’orchestre Tipica Imperial, avec lesquels ils décident d’organiser un concert….
Le réalisateur German Kral semble affectionner les docu-fictions mettant en scène la rencontre de musiciens appartenant à des générations ou à des styles différents. Il nous avait déjà gratifié sur le même thème d’un médiocre démarquage de Buena Vista Social Club, intitulé Música cubana.
Certains des travers les plus agaçants de ce film, se retrouvent, transposés au tango argentin, dans El último aplauso : appel appuyé aux bons sentiments du spectateur, création d’une émotion artificielle ou d’une atmosphère factice, intrusion indiscrète de la caméra dans le quotidien banal et parfois médiocre des artistes…
Plusieurs éléments font cependant de El último aplauso une œuvre plus réussie que son aînée cubaine. D’abord parce qu’au cabotinage exaspérant de Pio Leiva, meneur de jeu de Música cubana, se substitue la personnalité chaleureuse, solaire et pleine d’humour de la chanteuse argentine Victoria de los Angeles. Ensuite, parce le réalisateur, ayant suivi jusque dans leur intimité ses principaux personnages pendant plusieurs années, parvient à donner une vision très émouvante de leurs talents, de leurs faiblesses, de leurs deuils et de leurs joies : Horacio Acosta meurt dans la misère près avoir été expulsé de sa maison ; Inès Arce perd son mari pendant le tournage ; Julio Cesar, éternel vieux garçon vivant avec sa mère, finit à 58 ans, par aller habiter chez sa fiancée. Et contrairement à Música Cubana, cette fois cela sonne vrai – parfois presqu’un peu trop d’ailleurs, aux limites du voyeurisme.
Deuxième point fort du film : le documentaire ne se conjugue pas au passé, comme souvent dans ce style cinématographique, mais au présent continu : nous vivons, pratiquement en direct, la décrépitude du bar d’El Chino qui suit rapidement la mort de son propriétaire, le désarroi des anciens musiciens et chanteurs privés à la fois de leur source de revenus et de reconnaissance artistique, leurs effort pour reconstruire une carrière – ou plus modestement, pour survivre grâce à leur art – la rencontre avec l’orchestre Tipica Impérial, les répétitions, la préparation du concert… Cela crée un récit assez rythmé, vivant, presque haletant, que l’on trouve habituellement davantage dans les films de fiction que dans les documentaires.
Et puis ces vieux chanteurs ont vraiment du talent, malgré la simplicité de leur art, qui consiste à (bien) interpréter les chansons du répertoire de tango traditionnel. Ines Arce possède une voix de soprano merveilleusement cristalline en dépit de ses 80 ans. Victoria de Los Angeles a une présence scénique incontestable. Julio Cesar, malgré un voix parfois tremblotante, dégage une réelle émotion… Mis en valeur par l’énergie musicale du juvénile Tipica Impérial, ils nous proposent lors du dernier concert au bar El Chino un tour de chant de très bonne qualité musicale. Dommage que ce concert ait été visiblement mis en scène pour les besoins du film, German Kral retombant ainsi dans ses travers d’émotion factice !!!
Fabrice Hatem
Renseignements : www.avh.com.ar