Documentaire de Guillermo Fernandez Jurado et Rodolfo Corral, Argentine, 1979, 101 minutes
A partir d’une trentaine d’extraits de films, ce documentaire retrace la présence du tango dans le cinéma – essentiellement celui du nouveau monde – entre 1930 et 1960. Si l’on est de prime abord fasciné par la qualité et la diversité de ses sources, on est finalement un peu déçu par son caractère incomplet et par la faiblesse de son appareil analytique.
El Tango el cine éblouit comme un bijou serti de perles cinématographiques rares, toujours présentées avec humour et drôlerie. Du côté des Etats-Unis, mentionnons Rudolf Valentino en gaucho séducteur et conquérant ; Gloria Swanson dans le rôle de l’actrice vieillissante évoquant les tangos de sa jeunesse ; Fred Astaire interprétant d’élégantes chorégraphies avec Dolores del Rio ; Charles Boyer marchant maladroitement sur les pieds de Gene Harlow ; Leslie Howard dans le rôle d’un professeur de mathématique confondant danse et algèbre ; et pour couronner le tout, les sketches désopilants de Charlot, Groucho Marx, Mickey, Laurel et Hardy…
Du côté argentin, le film nous présente également un florilège d’artistes de premier plan, en commençant par Garlos Gardel dans Tango Bar et Luces de Buenos Aires, suivi par Ignacio Corsini, Tita Merello, Libertad Lamarque, Enrique Discepolo, Mariano Mores, El Cachafaz, Tito Lusiardo…. Drames, comédies légères, sketches parodiques, films musicaux, scènes de danse, chansons d’anthologie : on se laisse bercer sans s’ennuyer une seconde…. C’est tellement réussi que l’on a très envie de revoir El tango en el cine plusieurs fois de suite.
Problème : dès le second visionnage, les faiblesses du film commencent à apparaître. Tout d’abord, son champ d’investigation est limité : pratiquement aucun film postérieur à 1960 (à part quelques images d’Astor Piazzolla ou de Suzana Rinaldi) ; rien sur le cinéma extra-américain (sauf, tout au début, un film muet d’Eiseinstein où des nains dansent sur la table d’un cabaret). Mais surtout les extraits s’enchaînent – s’empilent devrait-on dire – sans autres liaisons que quelques commentaires factuels et légèrement ironiques en voix off. Il n’y a aucune analyse, aucune proposition de classification, aucun fil directeur.
Bref, le spectateur est entièrement livré à lui-même. Certes, cela lui offre la possibilité de forger librement son propre jugement, en mesurant par exemple la distance qui sépare une vision nord-américaine déformée et caricaturée du tango avec la plus grande authenticité du cinéma argentin. Et puis, cela lui permet de jouir simplement des images sans intellectualisation excessive. Il n’aurait pourtant pas été très difficile, en quelques phrases concises, de rappeler les filiations esthétiques, de citer les noms des principaux metteurs en scène, de mettre en valeur les chronologies et les simultanéités, d’évoquer les conditions de réalisation des principales œuvres…
Au total, le film peut frustrer certains spectacteurs par la pauvreté des informations et des éléments d’analyse qu’il fournit. Mais regardez-le tout de même sans hésiter : il vous fera passer tel qu’il est, c’est-à-dire construit à l’emporte-pièce, un moment très agréable.
Fabrice Hatem