Documentaire de Fernando Trueba, France, Espagne, 2000, 108 minutes
« Calle 54 est un film musical sur la musique, comment elle se crée, comment elle surgit. Le scénario, ce sont les morceaux musicaux qui sont interprétés et que j’ai choisi. Le casting, ce sont les musiciens ; pour moi, ce n’est pas un documentaire, c’est une fiction, une fiction autrement. » (Fernando Trueba).
Dans ce film d’une grande richesse, Fernando Trueba a réuni une douzaine de musiciens de Jazz latino parmi les plus talentueux, presque tous installés à New York, pour nous offrir un florilège de ce genre musical. Argentins, brésiliens, Porto-ricains et bien sûr Cubains, ils ont convergé vers la métropole nord-américaine pour créer cette musique métissée, où chacun a apporté les rythmes et les sonorités de son pays d’origine.
La construction de chaque séquence est simple : quelques scènes d’ambiance, accompagnées d’un bref commentaire en voix off et d’un court interview, esquissent le portrait de l’artiste tout en présentant succinctement les principaux axes de sa démarche créatrice. Puis l’essentiel de la séquence est consacrée à l’enregistrement en studio d’un thème musical, restitué dans son intégralité.
La réussite est totale ; Le film parcourt la diversité des sources auxquelles le Jazz latino puise aujourd’hui sa richesse : rythmes d’origine africaine, tradition des big bands nord-américains, univers du Son cubain et sa petite soeur la Plena portocaine, incursion dans le Flamenco espagnol… Mais surtout, chaque séance nous introduit dans la magie particulière de l’un de ces grands artistes : tendresse chaleureuse du saxophone alto de Paquito d’Rivera, excentricité du trompettiste Jerry Gonzales au look de pirate des caraïbes, extases rythmiques du vieux sage Tito Puente, énergie musicale pure d’un Gato Barberi charismatique aux allures de personnage de Western décalé… Les pianistes sont particulièrement à l’honneur, avec le charme féminin d’Eliane Elias, la présence virile de Chano Dominguez, l’incroyable maestria musicale de Michel Camillo. Mention spéciale pour les retrouvailles de Bebo Valdes et de son fils Chucho, organisées à l’occasion du film, et qui donnent lieu à un duo pianistique d’anthologie où l’intense communion musicale est encore renforcée par les vibrations de l’affection filiale.
Une petite réserve cependant, en guise de conseil plus que de critique : ce film assez long (108 minutes) est d’une telle intensité musicale qu’il est difficile au spectateur de rester parfaitement concentré d’un bout à l’autre. On pourra donc, dans sa version DVD, le savourer en plusieurs fois, de manière à préserver la fraîcheur de l’écoute.
Fabrice Hatem
PS : le film est complété par un documentaire de 60 minutes sur l’histoire du jazz latino, largement basé sur les entretiens avec les musiciens de Calle 54, et que je présenterai de manière séparée dans un autre article.