Dimanche 18 novembre 2012
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Cela fait des années, et même des dizaines d’années, que je fréquente assidûment, en tant que danseur amateur, les lieux de tango et de salsa parisiens. J’y ai pris beaucoup de plaisir et j’ai fini par bien connaître ce « circuit ». Mais cela n’avait été jusque-là pour moi qu’un délassement agréable.
Et puis, un jour, dans le courant de l’année 2012, l’idée m’a frappé qu’il s’agissait aussi d‘un thème passionnant d’investigation. Etait-ce dû au fait que je redécouvrais ces endroits d’un œil neuf, après des années de quasi-absence de Paris ? Au sentiment du temps qui passe, détruisant les êtres et les choses – mais pas les souvenirs, pour peu que quelqu’un prenne la peine de les recueillir et de les transmettre avec soin ? Bref, j’ai éprouvé un profond désir de conserver une trace de lieux, de personnalités et d’événements qui ont tenu une place importante dans mon existence au cours de ces vingt dernières années.
A partir de juin 2012, j’ai donc pris mon bâton de pèlerin pour réaliser systématiquement des reportages sur les bals de danses latines de Paris. Il était évidement impossible d’être exhaustif, tant ceux-ci sont nombreux, divers et changeants. Par exemple, sur la cinquantaine de lieux de tango parisiens, certains sont ouverts presque tous les soirs alors que d’autres n’offrent que des soirées rares et/ou irrégulières ; certains fonctionnent sans discontinuer depuis 10 ans (Casa del tango…) alors que d’autres, dans le bref laps de temps qu’ont duré mes investigations, ont eu le temps d’apparaître en fanfare et de disparaître presqu’aussitôt ; certains sont spécialisés sur une seule danse, d’autres proposent un programme très divers au fil de la semaine.
Mon choix s’est donc effectué en fonction de quatre critères : la notoriété du lieu auprès des danseurs ; sa forte « identité » tanguera ou salsera ; mes goûts et mes sympathies personnelles ; enfin, les opportunités liées à l’organisation d’un spectacle ou d’un festival pendant la durée de mon enquête. J’ai également rajouté des articles sur quelques endroits aujourd’hui disparus, mais qui ont joué un rôle important dans l’histoire de la scène parisienne, comme le défunt Latina, temple du tango parisien dans les années 1990 et 2000. Sans être exhaustif, le résultat offre, je crois, une assez bonne vision de la scène de danse latino parisienne actuelle et de son histoire récente.
Pour réaliser ces reportages, je commençais par me rendre à l’endroit choisi – que parfois je fréquentais déjà depuis longtemps, parfois tout nouveau pour moi – muni de mon appareil photo et en général accompagné de ma partenaire Mireille. Je passais ensuite la soirée à prendre des photos, du bal et de mon propre couple, en général après avoir signalé à l’animateur mon intention d’effectuer un reportage et demandé l’autorisation de photographier. En rentrant chez moi, je jetais sur le papier, en vrac, mes impressions et je triais mes photos. Puis j’écrivais un premier brouillon d’article. Cette esquisse initiale faisait apparaître des besoins d’informations supplémentaires (sur le lieu, sur ses animateurs, sur le quartier où il se trouve). J’y répondais par des recherches sur internet, la consultation systématique des sites web concernés et par des entretiens – parfois très rapides, parfois très approfondis – avec les animateurs. Je rédigeais ensuite la version finale de l’article, abondamment illustrée par les photos prises par moi-même ou collectées sur internet. Dans le cas où l’entretien me paraissait particulièrement intéressant, je le publiais sous forme d’un texte séparé.
Cette campagne d’investigations fut pour moi l’occasion de découvertes multiples et enrichissantes.
J’ai tout d’abord pris la mesure de l’incroyable vitalité de la scène parisienne. Il existe, au bas mot, dans Paris intra-muros et la proche banlieue, une petite centaine de lieux (une cinquantaine pour le tango, un peu moins pour la salsa), où il est possible de pratiquer l’une de ces deux danses à un moment donné du mois, voire de la semaine. Cela signifie concrètement qu’on a en général le choix chaque soir, entre une dizaine de lieux de danse, ce nombre pouvant monter à une petite vingtaine le dimanche à partir de la fin de l’après-midi.
Ces lieux d’accueil sont d’une grande diversité. Aujourd’hui, on peut danser à Paris dans un restaurant, un bar, un gymnase, une salle de concert, un local associatif, une église, un centre commercial, dans la rue, et même … dans un night club ou une école de danse. On peut danser sur de la musique enregistrée ou, plus rarement, sur de la musique vivante. On peut danser dans des endroits emplis d’histoire et dans des bâtiments préfabriqués ; dans des salles gigantesques ou minuscules ; dans le cadre d’activités associatives ou dans des lieux de loisir commerciaux ; pour un prix très modeste, ou pour un tarif beaucoup plus élevé…
Je me souviens du casse-tête que représentait pour moi la préparation du planning de certaines semaines, où j’étais contraint de choisir, certains soirs, entre deux, voire trois concerts animés chacun par un orchestre prestigieux venu tout exprès de Buenos Aires ou de La Havane. On encore lorsque, n’ayant finalement pas réussir à choisir, je transformais certaines soirées en cavalcades nocturnes effrénées entre plusieurs lieux de musique et de danse, parfois situés aux antipodes l’un de l’autre !! Au point que parfois, complètement épuisé, je savourais une soirée d’hébétude passive devant la télévision comme un délassement exceptionnel et bienvenu !!!
Poussé par ma démarche à sortir des sentiers battus, j’ai également pu découvrir d’autres atmosphères que celles auxquels je m’étais, par une sorte de routine, habitué, parce que leur localisation était pratique pour moi ou parce que j’y avais trouvé des marques confortables. Je me suis ainsi aventuré au-delà du « circuit » des pratiques de tango pour danseurs seniors (Le Retro-dancing, Esprit Tango) pour me plonger, d’abord avec quelques craintes, puis avec délices, dans celui des milongas « branchés » pour adeptes plus jeunes, souvent situées dans des quartiers ou des banlieues populaires de l’est de la capitale, comme le Colectivo, le Parloir, ou le Chantier.
J’ai également été touché par la rencontre avec tous ces animateurs aux origines souvent différentes, mais mus par un amour profond de la danse et de musique, qu’ils manifestent par une activité entrepreneuriale multiforme : certains en construisant une salle de leurs propres mains (Jean-Claude Caron au Studio 18) ; d’autres en proposant à chaque fois une programmation culturelle originale (Carmen Aguiar au Patio, Isabelle et Alfredo au Bistrot Latin) ; d’autres en maintenant vivant un esprit de bénévolat associatif et de distance à l’argent (Belinda aux Déjeuners Salsa et tango de la Défense, Soy Cuba à Malakoff, animateurs des Quais de Seine ou des Millégales) ; d’autres en faisant de leur lieu une plate-forme d’expression de la musique vivante (Patrick Max Lafontant à la Peña Festayre, Yannick Landais au Satellit Café, Stéphane Koch au Chalet du Lac, Emmanuelle Honorin à la Bellevilloise) ; d’autres encore en associant intimement leur bal à leur propre activité de création artistique (Esther Nielsen au 323, Franscisco Leiva à Corazon des Abbesses, Laure Brajon et Bruno Jardel à Beltango, Rumba Abierta à la péniche Demoiselle). Mention spéciale pour la charmante Peña de Rudi Flores, où l’on peut écouter avec ravissement des musiciens de tango et de folklore latino, tout en esquissant quelques pas de danse.
Notons aussi le mouvement de professionnalisation qui a fait passer en 20 ans le milieu de la danse tango d’un univers de petites pratiques semi-clandestines à des événements très organisés, gérés par des équipes parfois nombreuses, dans des lieux bien aménagés à cet effet (Le Florida, la Sacrée milonga, Le Babillard, Intensive Danse…). Il est vrai que l’esprit de simplicité des origines reste aussi présent dans certains endroits (Practica Victor, soirées de Soy Cuba…)
Le rapport à l’argent décrit une sorte d’hémicycle : à ma gauche, des activités associatives dominées par la notion de bénévolat (La pratique du temps du tango à la Sourdière, l’association Donde Estan où j’ai assisté à un concert du guitariste Ciro Perez…) ; au centre, des lieux au caractère commercial plus affirmé, mais dont les organisateurs sont également motivés par leur amour de la danse de la musique (Milonga Florida, Sacrée Milonga, pratique de salsa du O’Sullivans…) ; à ma droite, des activités à dominante essentiellement commerciale. Celles-ci présentent parfois l’avantage de se dérouler dans des salles très confortables (Le Barrio Latino), mais peuvent également dériver parfois vers une ambiance « night club » un peu décevante (la Pachanga, dans une certaine mesure le Wagg). A noter l’existence de lieux très commerciaux dans leur démarche intrinsèque, mais ouvrant tout de même un espace à la musique vivante (Havanita Café, dans une moindre mesure Los Mexicanos).
Mes pérégrinations à travers les lieux de danse de la capitale ont également été pour moi l’occasion de redécouvrir Paris et son histoire. Quel plaisir de revenir danser au Balajo, temple du musette à la Bastille ! D’aller tanguer, un jour en plein quartier chinois (Intensive dance), le lendemain sur les hauteurs de Belleville (Le Colectivo) le jour d’après au quartier latin (Practica Victor), à Montmartre (Studio 18) ou dans la partie « chic » du XVIIème arrondissement (El Garron) ; de découvrir le squat artistique alternatif où Thomas Poucet a installé sa Pratique de l’Echiquier au coeur du XVIIIème populaire ; d’apprendre que la grande salle de la Bellevilloise où Emmanuelle Honorin organise sa milonga « Contradanza » a aussi accueilli, il y a siècle, les discours de Jean Jaurès ; de découvrir que le Chalet du lac a constitué de modèle architectural d’un haut lieu du tango portègne, l’Armenonville ; et de danser, avec les milongas illégales, dans tant de lieux magnifiques, comme le parvis de l’Opéra, du Trocadéro, les jardins du palais-Royal, ou encore sur la place du marché Saint-Honoré, à l’endroit même ou Robespierre prononçait ses discours au club des Jacobins pendant la Révolution.
Ce périple a aussi été pour moi l’occasion de rencontres personnelles. J’ai ainsi retrouvé des vieux camarades de danse un peu perdus de vue (Thierry le Cocq, Frédérique Béhar) ; j’ai longuement évoqué avec certains d’entre eux les souvenirs de mes jeunes années de tanguero (La Sourdière avec Marc Pianko, Le Patio avec Carmen Aguiar, le Latina avec Isabelle et Alfredo, les diverses milongas de Stéphane Koch). Mais j’ai pu aussi rencontrer les danseurs de la nouvelle génération, comme Thomas Poucet, Florencia et René, et combler certaines lacunes de mes connaissances musicales, en découvrant par exemple le guitariste uruguayen Ciro Perez ou le bassiste Tomas Gubitsch.
J’éprouve des regrets concernant un certain nombre de lieux intéressants, que j’aurai du et que j’aurai voulu visiter, comme l’espace Oxygène, la milonga de l’Ermitage, la Péniche Nix Nox, Angelitos negros, l’école Step Dance, la milonga Niño Bien ou encore les différentes pratiques d’Augusto Siancas qui porte en lui la mémoire de 20 ans de nuits tangueras parisiennes. Nathalie Clouet, Imed Chemam, Jorge Rodriguez, Alain de Caro, Claude Namer et quelques autres auraient également largement mérité un entretien… La liste n’est pas close. Mais mon périple n’est pas non plus bouclé, et je compte bien combler ces lacunes au cours de l’année 2013.
Finalement, cette exploration ne pouvait pas se limiter aux seules lieux de danse réguliers. Par le hasard des rencontres et des calendriers, elle a également abordé aux rivages des nombreux festivals et concerts organisés à Paris tout au long de l’année. J’ai pu ainsi apprécier les intéressantes initiatives de Sylvia Gerbi avec son Tango Roots Festival ou de Diego Ocampo avec ses Rencontres « RITA ».
Deux de ces manifestations m’ont particulièrement marqué en me faisant prendre conscience de l’actuelle effervescence artistique latino à Paris : le concert Tango Connection du Bataclan et le festival brésilien de Paris avec son défilé du « Lavage de la Madeleine » sur les grands boulevards. J’ai pris conscience à ces deux occasions que la coexistence à Paris de nombreux artistes venus d’horizons géographiques et de mouvances culturelles très diverses contribue à l’apparition de formes d’expression nouvelles, métissées, formant les composantes d’un vaste « melting pot » esthétique – ce que j’ai appelé dans un de mes articles « un mouvement de « transculturation à la française »… mais il s’agit là d’une autre histoire, que j’ai l’intention d’aborder au cours de l’année 2013 dans un nouveau chapitre de mon blog, intitulé « Artistes latinos à Paris ».
Fabrice Hatem
Une visite guidée des lieux de danses latines parisiens : tango et salsa
Liste des articles en ligne
Après-midis dansants à la Casa del tango
Le Latina par ceux qui l’ont fait : entretien avec Isabelle et Alfredo
Beltango : une association pleine de projets dans le sud-ouest parisien
Le Chantier : un lieu vivant, familial, mélangé, accueillant
Milonga Florida : pour participer à la gentrification de l’est parisien
Pratique Tan-go-in de la galerie Corcia : une porte ouverte vers la création artistique
Soy Cuba : pour que vive l’esprit de la salsa solidaire !
Le Colectivo : Un lieu de qualité, sur la voie de l’œcuménisme
Tango argentin et chanson populaire uruguayenne : les deux mémoires de Ciro Perez
Sympathiques soirées Salsa à la Peña Festayre
Tango connection : Paris, capitale d’un néo- tango métissé ?
El Garron : enfin une belle milonga à l’ouest de Paris
Transculturation à la française : quelques réflexions autour d’un cortège brésilien à Paris
Salsa au Balajo : le cadre est pittoresque, les danseurs sont bons, mais…
SATELLIT Café : l’un des véritables lieux de partage de la culture cubaine à Paris
Salsa au Wagg : j’ai failli détester, mais finalement…
Rencontres internationales de Tango Argentin du 12 au 14 octobre 2012
La peña de Rudi Flores : musique argentine et amitié
Le lavage de la Madeleine : Salvador de Bahia à Paris
Thomas Poucet : « je ne veux pas faire du tango une activité marketing »
Corazón des Abbesses : Quand la danse voisine avec le Sacré
Entretien avec Carmen Aguiar : « la danse peut sauver notre planète »
Le patio : Une milonga chaleureuse, un lieu de culture
Francisco Leiva : le tango, une poésie de la rencontre et de l’éloignement
La pachanga : un lieu décevant pour les amoureux parisiens de la culture cubaine
Bassin de la Villette : Buenos Aires à deux pas du Malecon !!!
Tango au théâtre de verre : un frisson de culture alternative aux vibrations latinos
Marathon de tango de Paris : mes amicales retrouvailles avec Thierry le Cocq
Le Havanita Café : pour passer un bon moment cubain à La Bastille
Du Latina au Bistrot Latin : vingt ans d’authenticité argentine à Paris
Tango au Babillard : un point d’entrée vers les musiques du monde
Bistrot Latin : l’esprit de partage du tango argentin
La sourdière : une pratique conviviale le dimanche après-midi au cœur de Paris
Soirées Salsa du dimanche au O’Sullivans : dans la tradition des nuits montmartroises
Milongas illégales : quand le tango devient libertaire
Intensive danse : un nouveau lieu de tango dans le quartier chinois de Paris
Stéphane Koch « El Turquito » : 20 ans de milongas parisiennes
Entretien avec Akira Natchi : « amener les gens au plaisir de la danse »
Esprit tango : en souvenir d’un lieu que j’ai beaucoup aimé
Le chalet du Lac : Voyage dans l’histoire du tango pour le prix d’un ticket de métro
Tango à la Bellevilloise : plaisir, lumière et culture
Quais de Seine : mon envoûtante initiation au tango parisien
Vendredi soir tanguero au Rétro dancing : une salle à l’impressionnant potentiel
Danser agréablement la salsa à Los Mexicanos, mode d‘emploi
Sacrée milonga : joyeux dimanches dansants au coeur de Paris
Salsa et tango au Barrio latino : confortable, mais commercial
La practica Victor : tango à deux pas du quartier Latin
Le studio 18 : tango aux pieds du Sacré-Coeur
Salsa et Tango : Pause-déjeuner à la Défense
Voyage vers les racines du Tango avec Sylvia Gerbi