Traduire un livre, c’est une autre façon de voyager à la rencontre d’un peuple et de ses secrets. Une exploration qui ne se fait pas sac au dos, mais à distance, à travers une immersion totale dans la langue : jeux de mots intraduisibles, expressions idiomatiques, évocations de coutumes ou manières d’être propres à au pays, allusions à des personnages aussi célèbres là-bas qu’ils sont inconnus des étrangers …
En traduisant le livre de Sonia Abadi, « El Bazar de Los Abrazos », je me suis ainsi retrouvé en esprit au cœur des milongas de Buenos Aires. Pendant les trois mois qu’ont duré ce travail, assis à ma table en compagnie imaginaire de l’auteur, j’ai littéralement vécu avec les danseurs, partagé leurs joies, compati à leurs peines, moqué leurs travers. Et Sonia, comme si elle avait été vraiment présente à mes côtés, racontait, commentait, analysait…
Mais, c’est vrai, j’ai parfois eu un peu de mal à comprendre ce qu’elle me disait. Le sens de certaines expressions ou allusions m’échappaient. Il m’a fallu du temps, des efforts et beaucoup de sollicitude de la part de mes amis argentins pour que tout devienne clair dans mon esprit. Ensuite, il m’a fallu, à mon tour, vous le raconter en français. Et j’avais parfois du mal à traduire des jeux de mots, des références à ces coutumes locales qui font naturellement et immédiatement sens pour les Argentins, mais qui exigent parfois une longue exégèse pour être compris des Français. Tout cela m’a demandé beaucoup d’efforts et de travail, un peu comme on défriche un chemin dans une jungle mal connue à coups de machette.
C’est le compte rendu de ce voyage d’exploration vers le langage que je vous propose ici. Je l’ai articulé en trois temps : la compréhension du sens ; l’art difficile de la traduction ; Enfin, la présentation de la méthode de travail collective qui m’a aidé à surmonter ces difficultés.
COMPRENDRE
Si on laisse de côté les questions de vocabulaire et de structure grammaticales de base – qu’un traducteur est censé, par définition, maîtriser aisément – mes difficultés de compréhension du texte de Sonia Abadi peuvent se ranger en trois grandes catégories : les expressions idiomatiques complexes, les faux-vrais amis et… les blocages psychologiques.
Idiomatismes complexes. Je désigne par ce terme des expressions la fois très travaillées et très elliptiques, intégrant souvent des jeux de mots, des idiomatismes et d’autres figures de style élaborées. Prenons quelques exemples :
« Toda carta tiene contra y toda contra se da…». Ce vers du célèbre tango La cuarenta utilise la métaphore du jeu de carte pour comparer la vie à un jeu de hasard. Mais son côté très elliptique et la juxtaposition en peu de mots de deux idées très différentes n’en facilite pas la compréhension. Il a fallu la sollicitude patiente plusieurs amis argentins pour me faire comprendre que cela signifiait à peu près : « Après une bonne carte, vient une mauvaise, et la mauvaise, à la fin, elle arrive toujours ».
« Lo ve con la patrona y se la tiene jurada». La difficulté tient ici à la l‘accumulation de plusieurs expressions populaires, qui en plus, sont autant de « faux amis » en français. Cette expression ne signifie donc pas « Elle le voit avec la patronne et se l’est juré », traduction littérale qui d’ailleurs ne veut rien dire, mais : « Elle voit ce type avec sa légitime et a un compte à régler avec elle », ce qui est, pour le coup, parfaitement clair.
« Se dio el juego de remanye… ». Il s’agit d’un vers tiré du célèbre tango Mano a mano. Dans ce cas, même mes amis argentins n’étaient pas tous d’accord entre eux. Certains évoquaient une sorte de jeu de devinette typique du pays. Pour d’autres, cela signifiait plus ou moins : « C’est toujours la même histoire bien connue » ou « C’est la même histoire qui recommence ». Comme l’auteur elle-même faisait partie de ce second groupe, c’est finalement la version que j’ai retenue dans ma traduction.
Faux amis. Il s’agit de termes espagnols dont la signification en français n’est pas celle qui pourrait sembler a priori évidente C’est ainsi que le mot « verso », considéré dans son contexte milonguero, doit se traduire plutôt par « compliment fleuri » plutôt que par « vers » comme cela semble a priori aller de soi ; que « novias quinceañeras » ne veut pas dire « fiancées de 15 ans », mais « petite jeune fille ». Une variante de ces « faux amis » regroupe des termes qui n’ont pas d’équivalent exact en français. Par exemple, le redoutable « novia » possède un ensemble de significations recouvertes en français par les mots « fiancée », « copine officielle », « petite amie » et « maîtresse ». Au traducteur de choisir à chaque fois l’équivalent français le mieux adapté en fonction de contextes aux nuances aussi changeantes que l’arc-en ciel des relations amoureuses.
Vrais-faux amis. Une autre difficulté de compréhension, peut-être encore plus redoutable car difficile à détecter, tient à l’existence de ce que j’appellerais des « vrais-faux amis », c’est-à dire des mots possédant deux sens, dont l’un est absolument évident, et l’autre un peu plus caché, mais cependant parfaitement possible. Le meilleur exemple est constitué par le titre du livre lui-même : « El bazar de los abrazos » peut en effet
parfaitement se traduire par « Le bazar des étreintes » comme je l’avais fait spontanément dans un premier temps. Mais un ami argentin m’a fait ensuite remarquer que le mot « bazar » a aussi, en espagnol argentin plus encore qu’en français, le sens de « chaos « ou de « désordre ». De ce fait, le titre du livre en français aurait également pu être « Le chaos des étreintes » sans trahir l’intention de l’auteur. Dans ce cas précis, nous avons finalement préféré « bazar », car ce terme fait aussi référence à l’idée d’un lieu bien achalandé où l’on vient faire ses emplettes, un peu comme le danseur vient à la milonga pour y rechercher des plaisirs, des rencontres, et … des étreintes. Mais je suis tout de même « passé à côté » d’un autre sens possible sans même m’en rendre compte.
Blocages psychologiques. La troisième difficulté tient à la psychologie du traducteur lui-même, parfois désireux à tort d’éliminer une signification qu’il a parfaitement comprise, mais qui lui paraît impropre ou déplacée en français alors même que l’auteur l’a intentionnellement introduite. C’est ainsi que Sonia fait dire à un moment à l’une de ses danseuses ; « Las dos de la mañana y todavía me falta atender a varios clientes! ». Littéralement : « Il est deux heures du matin et je ne me suis pas encore occupée de tous mes clients ! ». Par une pudeur spontanée et mal avisée, j’avais voulu, dans un premier temps remplacer le mot client par « partenaire » afin d’éliminer l’allusion à la prostitution, que j’avais parfaitement comprise, mais sans penser qu’elle était volontaire. Il a fallu que Sonia m’explique, justement, qu’elle avait ainsi voulu faire ainsi références aux origines inavouables du tango pour que je rétablisse, tout penaud de ma pudibonderie, le sens véritable de la phrase.
TRADUIRE
Comment traduire un jeu de mot ou une allusion que seule peuvent comprendre les Argentins de souche ? Faut-il chercher à trouver à tout prix un équivalent français aux termes idiomatiques ou spécifiques au pays ? Quel équilibre trouver entre respect du texte original et qualité stylistique de la traduction en français ? Voici quelques-unes des questions que je me suis posée à l’occasion de mon travail sur le livre de Sonia.
Jeux de mots. Beaucoup de termes utilisés dans une langue possèdent un double, voire un triple sens. Par exemple « Corrientes » signifie, comme pour tous les hispanophones du monde, « courants », mais évoque aussi pour les Argentins l’une des rues les plus célèbres de Buenos-Aires. Quant au mot « cortina », il veut dire « rideau » dans son acception la plus répandue, mais il désigne aussi, pour les seuls tangueros, le petit intermède musical séparant deux séries de thèmes, ou « tandas ». Un auteur peut être tenté de jouer sur ces polysémies pour créer des associations d’idées surprenantes, originales, ou drôles. Par exemple Sonia Abadi décrit, au début de son livre, la rue Corrientes comme un immense et puissant courant emportant les tangueros vers une aventure sans fin ni limites. Un peu plus loin, elle parle de « cortina opaca » – les argentins comprendront « rideau opaque » pour décrire la situation frustrante d’une danseuse mise dans l’impossibilité de rechercher du regard un partenaire, au moment de la cortina, par la présence de gêneurs debout devant sa table.
Mais ces jeux de mots deviennent pour le traducteur un redoutable casse-tête, puisque leur ressort principal – la polysémie du terme espagnol – n’a pas son équivalent en français. Trois solutions – presque également mauvaises – s’offrent alors à lui. Il peut renoncer totalement à traduire le jeu de mot, solution qui présente l’avantage de la facilité, mais affaiblit gravement le texte original. Il peut chercher un jeu de mot en français plus ou moins équivalent de son modèle espagnol. Mais c’est là un exercice très périlleux à la fois parce qu’il conduit à s’éloigner du texte original et parce que la solution trouvée est en général assez bancale et parfois confuse. Enfin, il peut proposer une traduction littérale – ne rendant donc pas compte du jeu de mot – mais en l’accompagnant d’une note de bas de page signalant l’existence de celui-ci et en expliquant le mécanisme. Cette solution a l’avantage d’informer de manière précise le lecteur sur les arcanes de la langue espagnole, mais est lourde, inélégante et constitue une sorte d’aveu d’échec littéraire.
Bien entendu, toutes les solutions mixtes sont possibles, en fonction des cas de figure. Par exemple, j’ai traduit le « Corrientes Milongueras » de Sonia par « Corrientes où coule la milonga » en pariant sur le fait que le lecteur français pourrait spontanément subodorer l’existence d’un jeu de mots du fait de la proximité linguistique des termes espagnols (« corrientes ») et français (« courants »), tout en rajoutant une note de bas de page pour enfoncer le clou.
Coutumes et lieux typiques. Autre problème redoutable : celui des expressions désignant un objet, un lieu une coutume, ou manière d’être propres à l’Argentine et qui n’ont donc pas d’équivalent exact en français : peñas, confiterias, pan dulce, piropos, pinga, corralito, et autres cacerolazos. Là encore, le traducteur est réduit à l’alternative suivante : trouver un équivalent français par définition inexact – par exemple soirée musicale, salons de thé, brioche, compliment galant, turf, queue devant les banques en faillite, manifestations au bruit des casseroles – ou conserver le terme espagnol accompagné d’une note de bas de page. C’est en général cette seconde option que j’ai retenue dans ma traduction, dans la mesure où le maintien de ces termes ajoute au texte un cachet de « couleur locale » et d’authenticité.
Le vocabulaire propre au tango, évidemment très présent dans le livre de Sonia, constitue un sous-ensemble intéressant de la catégorie précédente. Mais le problème se pose dans des termes un peu différents. En effet, une grande partie des lecteurs potentiels – en général des afficionados du 2X4 – connaissent déjà la signification d’une grande partie des termes utilisés, comme Salida, Tanda, Giro, Cortina, Milonga, Milonguero et même Abrazo. Plus encore, beaucoup de ces mots sont même passés dans la langue courante des danseurs étrangers, en particulier francophones. Le premier réflexe est donc de maintenir dans la traduction française ces termes espagnols. Mais ce choix présente aussi le risque de proposer au lecteur non tanguero un texte français truffé de termes argentins incompréhensibles pour lui. Dans ma traduction, j’ai donc choisi une voie moyenne consistant à ne conserver en langue espagnole qu’un noyau de termes incontournables connus à coup sûr du tanguero français le plus débutant, en tout en les accompagnant d’une petite note de commentaires destinée aux « non-pratiquants ».
Métonymies et allusions. La métonymie consiste à remplacer, par glissement de sens, un terme par un autre suggérant au lecteur la même signification. Par exemple, dans son livre, Sonia Abadi parle des « señoras con pinta de Barrio Norte » pour désigner des danseuses habitant les quartiers riches de la ville. Ou encore de « veinticinco de mayo » pour désigner l’une des fêtes nationales de l’Argentine. Mais pour comprendre ces métonymies ou ces allusions, encore faut-il maîtriser un corpus de savoirs partagés sur l’histoire de l’Argentine ou la géographie de sa capitale. Or, ces savoirs, naturels pour les autochtones, font en général défaut au lecteur étranger.
Là encore, le traducteur devra choisir entre deux solutions : soit supprimer le terme allusif en le remplaçant par un mot compréhensible de tous, par exemple en substituant « quartier riche » à « quartier nord » ou « Révolution de Mai » à « 25 Mai » ; soit conserver la métonymie, mais l’expliquer par une note de bas de page. Comme précédemment, ces deux solutions présentent les inconvénients symétriques de l’infidélité et de la lourdeur. J’ai cependant dans ce cas une forte préférence pour la note de bas de page, qu’il est en général possible de rédiger de manière beaucoup plus succincte et moins embrouillée que dans le cas des jeux de mot.
Idiomatismes et lunfardo. La présence de termes ou d’expressions idiomatiques ou tirées de la langue populaire – souvent le lunfardo dans le cas des écrivains argentins – constitue une autre source de difficultés pour le traducteur. Sans être pléthorique, les exemples sont nombreux dans le livre de Sonia Abadi. Citons, entre autres, pintada como un puerta, bailarin compadrito, Cuando rajés los tamangos buscando ese mango, algo que te vende, timba, quedarse un joven …
En général, il a été possible de les traduire, sans trop en abîmer le sens, par leur équivalent argotique français, comme peinturlurée comme une poupée, danseur de frime, quand tu t’uses les godasses à chercher ce pognon qui te fera bouffer, quelque chose qui te trahit, jeu de cartes, faire tapisserie… Observons cependant que chaque langage populaire, dans la mesure où il reflète les origines, la culture, l’histoire, l’habitus, les coutumes et les croyances de ceux qui le parlent, est de ce fait unique et ne trouve de ce fait pas toujours d’équivalent exact dans celui d’un autre pays. Ainsi le lunfardo, ensemble de termes et d’expression apparu à l’occasion de la grande migration européenne vers Buenos Aires à la fin du XIXème siècle, ne se recoupe que partiellement avec l’argot, langue vernaculaire des bas-fonds parisiens dont l’origine remonte jusqu’au au Moyen-âge. Il est donc parfois préférable de maintenir le vocable lunfardo originel plutôt que de rechercher à toutes forces un équivalent argotique parfois trompeur. Une milonguita n’est pas une grisette (il existe d’ailleurs un tango, Griseta, dont le thème est justement la transformation de l’une à l’autre). Et un compadrito n’est pas exactement un marlou, notamment parce que les uns dansent le tango, et les autres, le musette.
Références littéraires. Une autre difficulté, propre cette fois au livre de Sonia Abadi, tient à la présence de nombreuses citations de titres célèbre de chanson tangueras, comme A media luz, Alma de bohemio, Mano a mano. Rien de bien grave direz-vous : il suffit de garder le titre espagnol, en général bien connu des tangueros. Mais ici surgit un problème : beaucoup de ces expressions sont utilisés dans le livre comme les titres d’un chapitre évoquant la situation à laquelle ils font référence. Par exemple, A media luz (« Lumière tamisée ») introduit un texte consacrée au rôle de la lumière dans les milongas. Quant à la chronique intitulée Alma de bohemio (« Ame de bohème »), elle est consacré à l’esprit d’indépendance des tangueros et à leur insoumission aux normes de la société dominante.
Sont ainsi associés, dans un même titre, une allusion à des situations vécues dans les milongas et un hommage au répertoire des chansons tangueras. Ceci instaure une sorte de correspondance, de va-et-vient entre fiction poétique du tango et réalité vécue du tanguero. Pour faire correctement ressentir cette « mise en miroir » au lecteur français, il devient alors indispensable de traduire ces expressions qui ne sont plus seulement désormais les titres de chansons célèbres, mais aussi des allusions à des situations vécues. Mais, ce faisant, on introduit au sein du texte français un apparent arbitraire : en effet, selon les cas, les termes Mano a mano ou A fuego lento, titres de chansons célèbres, seront maintenus dans leur version espagnole ou traduits en français – respectivement par Match nul ou A feu doux.
Quelles marges de manœuvre stylistiques ? Deux risques opposés guettent le traducteur : d’une part, le repli frileux vers une fidélité totale, mots à mots, au texte original, y compris lorsque cela conduit à d’évidentes lourdeurs et autres impropriétés en langue française ; et d’autre part, la tentation d’introduire des modifications plus ou moins hasardeuses destinées à « améliorer » la qualité du texte français. Mais comment distinguer dans une tournure surprenante, les « scories » indésirables de ce qui constitue l’originalité même d’un auteur ? Selon quels critères décider qu’une phrase « réarrangée » par le traducteur est stylistiquement supérieure à cette de l’auteur ? N’y a-t-il pas là un risque de dénaturation du texte original, qui peut-être, doit être respecté jusque dans ses maladresses ou ses erreurs ? Et finalement, où fixer la limite entre interventions judicieuses du traducteur et trahisons inacceptable du texte original ?
Ces questions, je me les suis posées tout au long de la traduction du livre de Sonia. Fort heureusement, la collaboration étroite nouée avec elle ainsi, qu’avec quelques autres personnes, a permis de leur apporter des solutions, je crois satisfaisantes. C’est ce processus interactif que je vous voudrais maintenant vous décrire.
UN TRAVAIL D’EQUIPE
Quatre personnes ont contribué à mes côtés, chacune dans un rôle particulier, à la traduction du livre de Sonia Abadi.
Daniel Canutti, directeur de Abrazos Books, m’a d’abord aidé, au moment de la finalisation d’une première traduction, à lever les doutes que j’avais encore sur la signification d’un certain nombre d’expression idiomatiques et de phrases trop elliptiques ou allusives.
Ce travail de « gros œuvre » m’a permis d’aboutir à une première version, à peu près correcte du point de vue de la traduction littérale, que j’ai alors soumise directement à Sonia Abadi, assistée par son ami Lorena Kalwill, qui toutes deux parlent fort bien le français – Lorena enseignant même cette langue en Argentine. S’est alors engagé entre elles et moi un intéressant processus d’aller-retour, où mes interlocutrices me proposaient des modifications au texte français, à charge pour moi de les accepter, de le refuser – mais il fallait alors expliquer pourquoi – ou de proposer une traduction alternative.
Ce processus itératif apporta, je crois, une réponse pragmatique et efficace à mes interrogations de traducteur. Accepter les corrections de l’auteur sur mon texte français signifiait reconnaître que j’étais allé trop loin dans « l’interprétation » du texte original. Au contraire, la convaincre de maintenir une forme française un peu éloignée de celui-ci légitimait a postériori mon choix d’amélioration. Et lorsque l’accord entre nous ne se faisait pas immédiatement, nous recherchions alors une solution alternative permettant de concilier nos points de vue. Ce travail d’ajustement progressif n’aurait bien sûr pas pu se faire si chacun d’entre nous n’avait été ouvert à la critique et disposé à reconnaître ses propres limites. Mais tel fut heureusement le cas, et nous pûmes ainsi converger assez vite – il fallut tout de même 6 ou 7 itérations entre l’Argentine et la France – vers une seconde version française partagée entre Sonia, Lorena et moi-même.
Intervint alors, dans une dernière étape, le travail de Nathalie Zimmerlin. J’avais demandé à Nathalie – par ailleurs l’une de mes partenaires de tango – de relire la première version de ma traduction française. Passionnée d’écriture, Nathalie s’engagea alors dans un travail de « relifting stylistique » en profondeur, bien au-delà de ce que j’attendais d’elle.
Il m’apparut difficile d’intégrer immédiatement ces propositions dans mon texte, ni de les soumettre telles quelles à Sonia et à Lorena. En effet, quoique souvent excellentes, celles-ci étaient parfois si éloignées du texte espagnol qu’elles auraient risqué de provoquer chez mes interlocutrices argentines une réaction bien compréhensible de rejet. Je décidais donc de procéder en deux étapes, en attendant qu’un accord soit d’abord atteint avec elles sur un premier texte dit « de base », pour ensuite leur soumettre certaines des modifications les plus pertinentes de Nathalie, présentées sous la forme de « variantes » destinées à améliorer le style de la version française. La plupart d’entre elles furent acceptées, et je pus alors envoyer à Daniel Canuti le texte final pour impression.
Qu’ai-je tiré de cette expérience ? Des amitiés nouvelles, fondée sur un travail en commun agréable et abouti ; la satisfaction d’avoir fait d’énormes progrès dans la compréhension du language parlé par les milongueros argentins ; le sentiment d’avoir pénétré, sous la houlette de Sonia, au cœur de ce monde et dans l’intimité des personnages qui l’habitent… Et surtout le plaisir mettre à la portée des lecteurs non hispanophones cet excellent ouvrage, qui vous donnera certainement envie, comme à moi, de (re-)découvrir ce monde si attachant des milongas portègnes…
Fabrice Hatem
Sonia Abadi, Le Bazar des étreintes, Traduction de Fabrice Hatem, éd. Abrazos Books, 2012