J’ai passé de très agréables soirées, dans différents lieux de Genève, en écoutant la voix poétique d’Ivonne Gonzales interpréter les Sones et les Boléros que j’aime.
Avant mon départ de cette ville, j’ai voulu réaliser un portrait de cette artiste chaleureuse et touchante, sous forme d’une interview que je vous livre ici.
Les photos ont presques toutes été prises à Genève au printemps 2011, à l’occasion de l’interview réalisée au centre Grutli, ainsi que durant des concerts d’Ivonne, accompagnée soit par le guitariste Paco Chambi, soit par la pianiste Anisa Valdes, ainsi
Comment as-tu rencontré le Son ?
La famille de mon père est une famille de musiciens. Le cousin de mon grand-père paternel a fait partie de l’orchestre de Perez Prado. Il est allé avec lui au Mexique et y est ensuite resté, y fondant même une famille. Mes cousins faisaient partie d’un groupe d’enfants, Los Aragoncitos, qui jouaient la même musique que La Orquesta Aragon : boléros, charangas, sones. Chacun d’eux savait jouer d’un instrument différent. Aujourd’hui, ce sont de très bons musiciens. Ils sont partis en Italie, en France, au Brésil. L’un d’eux est violoniste dans l’orchestre de Cesaria Evora. Moi, comme j’aimais chanter, je chantais avec eux. C’est comme cela, en famille, avec mes cousins, que j’ai appris la musique. Ma grand-mère maternelle était aussi une « fan » de Maria Teresa Vera. Elle avait tous ses disques…
Quelle a été ta formation ? Les professeurs préférés ?
J’ai commencé à étudier la musique et la danse dans différents conservatoires de la Havane quand j’étais enfant et adolescente. Je me souviens qu’un jour, au conservatoire Paolita Concepcion du quartier Cero, nous avions inventé une mise en scène inspiré du film « Femme ». Nous étions très excitées, nous sautions sur les chaises, sur les tables. C’était, bien sûr, interdit et nous avons été punis ; mais, ensuite, la direction du conservatoire nous a demandé de jouer en public notre spectacle à plusieurs reprises.
Ensuite j’ai fait des études de droit. J’ai en même temps étudié le piano, et j’ai pris des cours de chant et de danse au conservatoire de la Havane. J’ai aussi fréquenté le Cunjunto Folklorico Nacional (CFN), même si je n’en étais pas membre intégrante. J’y ai pris des cours de chant et de danse avec Julia Fernandez. Domingo Pau, Zenaïda, Teresita, El Goyo, qui sont des gloires de la culture afro-cubaine. Je suis allé vers eux, et ils m’ont donné les clés pour l’interprétation de ce répertoire, qui demande une manière de chanter très particulière, et aussi une démarche spirituelle : il faut comprendre la signification religieuse du chant Yoruba pour bien l’interpréter.
El Goyo est une institution de la rumba et de la percussion à Cuba, une référence mondiale pour cette musique. Il est resté longtemps au CFN Il a joué avec les plus grands comme Lazaro Ross. Il a fait de nombreuses tournées en Europe, à l’étranger. Au premier festival Folkcuba auquel j’ai participé, il m’a donné beaucoup de conseils. Il partage généreusement son savoir, ce n’est pas quelqu’un qui garde les choses pour lui.
Le musicologue Helio Orovio a été pour moi un grand ami. Je l’avais rencontré à l’UNEAC[1]. C’était un savant, un grand connaisseur de la musique cubaine, un « sage » avec une immense expérience de la vie et des gens. Il te transmettait son savoir à travers plein d’anecdotes intéressantes, jamais de manière académique. Tu n’avais pas l’impression d’assister à un cours de musicologie, mais de rentrer dans la vie de la musique cubaine. C’était très convivial. Nous avons tous eu beaucoup de peine quand il nous a quittés.
J’ai aussi fait du piano et j’ai étudié au conservatoire de musique de Genève. Mais, finalement je me suis un peu faite moi-même : son cursus scolaire m’a permis d’apprendre la technique, mais j’ai façonné ma propre manière de chanter.
Quelques mots sur ta carrière de chanteuse à Cuba ?
A l’âge de 18 ans, j’ai gagné un concours de chant de la province de La Havane. Le public et le jury m’ont chaleureusement félicité. Cela m’a donné confiance en moi. Ensuite, J’ai été chanteuse et danseuse de différents groupes, comme Mi son entre 1991 et 1995.
Je garde un bon souvenir de mon expérience de chanteuse soliste de la chorale de l’université de La Havane entre 1994 et 1998. Vers 1995, à l’occasion d’un grand festival international de chant, nous avons donné un concert auquel le public a réagi avec beaucoup d’enthousiasme. J’ai été étonnée et heureuse de toutes ces félicitations qui m’étaient adressées, au milieu de cette dizaine de chœurs venus du monde entier.
J’ai aussi été chanteuse du groupe Farinas y sus Rumberos entre 1994 et 1997. Farinas, c’est un personnage… C’est avec lui que je suis entrée dans le monde de la rumba. Un jour que je passais à l’UNEAC, je l’ai vu en train de jouer avec son groupe, et je lui ai dit que je voulais apprendre à chanter la Rumba. Il m’a dit « Viens à ma répétition, je vois dans tes yeux que tu chantes bien ». Nous répétions dans une petite chambre, dans un appartement en réfection de Centro Habana. Il sait regrouper les gens, attirer l’âme de la « calle rumbera ».
Peux-tu dire quelques mots sur ton expérience de danseuse ?
Yemaya est l’Orisha que je préfère interpréter. Elle est considérée comme la déesse-mère de tous les êtres vivants. Elle représente la force douce mais changeante, la capacité de révolte et d’apaisement qui caractérise la Femme.. Elle n’est pas seulement belle, mais également réfléchie et intelligente. Elle a du caractère, elle est déterminée, protectrice. C’est une femme accomplie, avec la tête sur les épaules. Pour bien l’interpréter, il faut être concentrée sur ce que l’on danse et penser à bien rendre toutes les nuances. Par exemple, quand on fait un mouvement tournant, il faut le faire régulièrement, sans mettre de violence ni de rapidité excessive.
J’ai été très émue quand j’ai dansé en 2005 un solo de Yemaya dans le cadre du Festival Folkcuba de la Havane. Mon professeur Julia Fernandez m’a félicité, et le public a beaucoup applaudi. Plusieurs femmes assez âgés m’ont qu’elles en avaient eu le poil tout hérissé..
En Uruguay, j’ai aussi interprété Yemaya à l’occasion de la fête de la déesse, le 2 février dernier. On m’a emmené dans une barque et on m’a fait danser sur la mer, puis sur la plage. Ensuite, je suis montée sur l’amphithéâtre de la ville, au bord de la rivière. C’était spectaculaire. Tout le monde était au bord de la mer pour offrir des offrandes à Yemaya, qui est très adorée des uruguayens. J’ai aussi dansé Yemaya à l’occasion des Llamadas, un carnaval uruguayen, le plus long du monde.
En Europe, j’ai intégré différents groupes de danse populaire. J’ai donné des stages, des spectacles. Par exemple, à l’occasion d’un championnat de Salsa, j’ai fait il y a deux ans avec Esteban Isnardi un spectacle de Salsa en Slovénie, qui a bien plu au public. A Munich j’ai animé un stage de rumba avec Alberto Valdez. J’ai également interprété le rôle de Yemaya au festival Salsa Vintage de Genève. Aujourd’hui, j’organise toujours des stages de Salsa et Son, je donne des cours aux enfants dans les écoles, je fais des démonstrations en couple ou en solo. Mais actuellement mon énergie artistique est davantage investie dans ma carrière de chanteuse.
Comment es-tu arrivée en Europe ?
Je ne pensais pas du tout à venir ici… Voici comment les choses se sont passées. : vers 1995, j’étais soliste du chœur de l’Université de La Havane et j’ai participé dans cette ville à une rencontre chorale internationale, comme je l’ai déjà dit. Il y avait là des chorales venues du monde entier, et notamment de Lyon. Après mon concert, le directeur de la chorale de Lyon est venu me voir et m’a dit : « Mademoiselle, il faut venir faire des études classique en Europe ». A l’époque, je n’ai pas donné suite à cette proposition. Je voulais en effet travailler à Cuba après la fin de mes études.
Quelques années plus tard, j’ai reçu une invitation pour participer en tant que représentante de Cuba à une chorale internationale de 200 chanteurs qui devait interpréter Carmina Burana à l’occasion du 2000ème anniversaire de la Fondation de la ville. J’ai passé presque un mois à Lyon, où nous avons chanté dans la cathédrale. Puis l’on m’a proposé d’étudier à Lyon, mais j’ai préféré venir à Genève où j’avais déjà quelques amis. J’ai alors passé de concours du conservatoire de Genève où j’ai été reçue. J’y ai étudié trois ans pour perfectionner ma technique de chant classique.
A Genève, tu t’es intéressée à plein d’autres choses, comme le Tango, le Cinéma ?
C’est grâce à Aureliano Mari que ma route a croisé le Tango. Aurelio est un jeune chanteur qui interprète le Tango comme s’il avait derrière lui une très longue expérience. Il anime un Trio, Aureliano tango club. Je l’ai rencontré il y a quelques années, alors qu’il était de passage à Genève. Je lui ai dit que je voulais chanter le tango. Je l’ai invité chez moi. Il a pris sa guitare, nous avons chanté et je lui ai demandé : « ça va ou pas ? ». Il m’a répondu que du moment que le sentiment y était, c’était bon. « Il faut que les gens puissent palper tes paroles comme si c’était du sang qui coulait dans tes veines ». Puis, quand je suis allée à Cuba, j’ai chanté du Tango dans différents endroits : à la Casa del Tango avec Mario, un vieux guitariste, à la milonga de la Casa arabe de Emma Barreras, pour le premier anniversaire de sa création. Je aussi allé un mois en Argentine, à Buenos Aires et Cordoba. Nous avons monté un petit répertoire de tango avec Aurelio, et j’ai plusieurs projets de concerts avec lui dans la région de Genève, où il passe assez régulièrement.
J’ai aussi été sollicité dans des films pour arranger des chorégraphies ou participer à des scènes de danse, comme dans le film La petite chambre, qui a obtenu en 2010 le prix quark (prix du meilleur film de suisse) : Au départ, on m’avait demandé de donner des cours de salsa aux acteurs et d’amener des élèves pour faire de la figuration dans des scènes de danse. Finalement, la directrice m’a demandé de danser aussi dans une scène avec l’un des principaux acteurs, qui se déroule dans une discothèque … Cela m’a fait un drôle d’effet de me voir en gros plan à l’écran…
Quelles ont été tes activités de chanteuse en Suisse ?
Depuis que je suis ici, j’ai été membre de différents groupes de musique classique et contemporaine : chœur de l’université de Genève, chœur Résonnances. J’ai également été chanteuse dans des groupes de musique cubaine, comme Freson entre 2006 et 2010 ou encore le Duo Cancionero Cubano avec Leonard Plattner.
Entre 2008 et 2010, j’ai été chanteuse du groupe de salsa Asarinas », qui était surtout composé de femmes : elles étaient 9 sur les 11 musiciens. Nous interprétions de la musique de salsa cubaine, ainsi que des standards portoricains. La directrice artistique avait en tête de prendre des morceaux de musique pop, par exemple de Michael Jackson, et de les réarranger en Salsa. Nous avons participé à de très nombreuses manifestations à Genève, comme le Bernier festival, la Fête de la musique, le Festival des Cropettes, Baby Plage, Genève Plage, etc… Mais les filles, qui étaient très jeunes, ont été accaparées par leurs études et le groupe a dû se séparer.
Actuellement, je suis très investie dans ma carrière de chanteuse. J’ai plusieurs projets ici à Genève. Je chante en duo avec un guitariste, Paco Chambi, et avec une pianiste, Anisa Valdes. Avec Paco, j’interprète un répertoire sud-américain assez large, avec des chansons chiliennes, brésiliennes, des Zambas argentines, et bien sur des chansons cubaines. Avec Anisa, le répertoire est plus centré sur le Son et le Boléro cubains. J’ai aussi un quartet de musique cubaine, Sincopa y Son. Je chante aussi un peu de jazz. Je suis allée à Madrid, pour donner un spectacle de chant et peinture : je chante, pendant qu’un artiste peint ce que mon interprétation lui inspire. A la fin, il se met à chanter avec moi, car il est aussi chanteur. Cela a beaucoup plu au public.
Une chose que j’ai remarqué, tout au long de ma vie artistique, c’est que les gens les plus exceptionnels sont le plus souvent aussi les plus modestes. Les gens qui ont vraiment quelque chose de grand sont aussi souvent très simples et accessibles, prêts à donner et enseigner. J’ai rencontré Youri Buenaventura : c’est un gars génial, mais c’est aussi une personne très simple et tranquille : de même, Chucho Valdès est un grand pianiste de jazz, mais il est très accessible : J’ai fait la même expérience avec Cesaria Evora, avec Isabelle Huppert… Ces grands artistes restent humbles. C’est cette humilité qui te fait avancer, qui et fait grandir et être meilleur. Je le prends à la fois comme une devise et un conseil.
Propos recueillis par Fabrice Hatem