Santiago de Cuba, Lundi 11 juillet 2011
Journaliste et musicologue, spécialiste de la musique de l’Oriente Cubain, Lino Betancourt nous offre avec ce petit livre un agréable voyage dans l’histoire de la Trova cubaine, né au cours du XIXème siècle. Il nous permet en même temps de parcourir les rues de Santiago de Cuba, berceau de cette forme musicale très simple dans son concept : un ou plusieurs chanteurs ambulant, accompagné(s) de guitare, chantant leur amour pour une femme ou pour leur patrie.
L’une des principales magies de cette ville est qu’elle fonctionne comme une sorte de mystérieuse machine à fabriquer les talents artistiques et à inventer de nouveaux styles musicaux : Boléro cubain, Trova, Son, etc. Sans nous livrer l’ultime secret, peut-être indéchiffrable, de cette étrange alchimie, le livre de Lino Betancourt nous en décrit avec précision les lieux, les mécanismes, les acteurs et les étapes historiques.
Les premiers chapitres sont consacrés aux origines et au développement de la Trova dans le Santiago du XIXème siècle. Nous y voyions vivre les personnages souvent hauts en couleur de ses premiers fondateurs : Juan El Panadero – appelé ainsi car il était boulanger de profession, qui parcourait en chantant, accompagné de sa guitare, les rues de la ville aux débuts du XIXème siècle, et fut condamné à mort pour avoir tué en duel un rival amoureux ; l’habile ébéniste Juan José Rebollar, dont la légende conte qu’il fut le premier fabricant de guitares à Cuba, auquel un musicien français refugié d’Haïti, monsieur Alexis, enseigna l’art de la lutherie ; le génial trovadore Pepe Sanchez, inventeur dans les années 1880 du Boléro cubain tel que nous le connaissons aujourd’hui ; et puis tous les trovadores de la fin du XIXème siècle, qui souvent, à l’exemple de Nicolas Camacho, partagèrent leur jeunesse entre la guitare trovadoresque et la lutte pour l’indépendance, y trouvant pour certains, comme Ramon Ivonet, un mort glorieuse, et pour d’autres, comme Sindo Garay, une source majeure d’inspiration.
Deux chapitres passionnants sont consacrés aux lieux de la Trova : quartiers de Los Hoyos et de Tivoli, place de Marte, rue San Agustin, avec leurs théâtres, leurs cafés, et surtout leurs maisons particulières où les trovadores aimaient à se réunir pour boire et chanter, tout le jour et parfois toute la nuit. La puissance évocatrice de ces pages est telle que le lecteur a le sentiment physique de parcourir ces rues en pente, de monter ces vieux escaliers, de pénétrer dans ces lieux humbles et inspirés pour écouter, en compagnie des voisins réunis autour d’une bouteille de rhum, la voix des chanteurs, puis de partir avec eux pour donner un sérénade sous la balcon d’une belle Santiaguera. C’est peut-être dans ces pages que l’on s’approche de plus près de ce mystère Santiaguero que je mentionnais en introduction, en nous faisant sentir comment la trova jaillit littéralement des balcons, des maisons, des rues de la ville, naissant ainsi à la manière d’une source surgissant des rochers d’une montagne.
Les différentes formations des groupes de Trova – duo, trio, quartets, quintets nous sont également présentées. On peut y trouver, bien classés par époques et catégories, les noms des principaux interprètes qui ont illustré ce genre. J’avoue cependant avoir un peu moins rêvé à la lecture de de riche et utile chapitre encyclopédique en forme de survol, où s’accumulent de manière forcément un peu rapide les noms d’artistes, d’orchestres et de compositions marquantes.
L’ouvrage est complété par une mini-anthologie, où l’auteur, avec intelligence, nous propose de découvrir d’excellentes chansons un peu oubliés plutôt que les œuvres les plus célèbres, disponibles un peu partout. Enfin, une riche section iconographique nous permet de mettre un visage sur les personnages et les lieux évoqués dans le livre.
Fabrice Hatem
Lino Betancourt Molina, La trova en Santiago de Cuba, apuntes históricos, Andante Editora Musical de Cuba, La Habana, 186 pages, 2005