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Carnet de Voyage 2011 à Cuba

El Oso : ¨La Salsa, ce n’est rien d’autre que les pas du Casino inventés par nous¨

Santiago de Cuba, Lundi 4 juillet 2011

el oso Dans le monde de la Rueda de Casino, El Oso tient une place particulièrement importante : c’est lui, en effet, qui a animé au cours des années 1960 l’une des principales Ruedas de Casino du Cercle Patricio Lumumba, celle plus particulièrement ouverte aux jeunes et aux débutants. Il a ainsi joué un rôle fondamental dans la diffusion de cette danse, en amenant à la Rueda toute une génération de Cubains – notamment des boursiers de province, qui ont ensuite diffusé cette danse dans tout le pays en retournant chez eux une fois terminées leurs études à La Havane.

Avec Rosendo Gonzales et Juan Gomez, animateurs de la « Grande Rueda »ou « Rueda des avancés », il est l’une des personnalités les plus fréquemment citées par les témoins de cette époque. C’est pourquoi j’attendais avec impatience de pouvoir l’interviewer. Cet entretien a eu lieu le jeudi 30 juin au Restaurante 1830 de la Havane.

fund4 Mon nom est Joachim Rochez Rodriguez, mieux connu comme El Oso. Je suis l‘un des fondateurs de la Rueda de Casino qui s’est ensuite transposée dans tous les lieux de danse. c’est un style plein de grâce, de vitalité, dont la création est due, outre moi-même, à des personnalités comme Julian Gomez, Maria Antonia, Francies Garcia et beaucoup d’autres.

Il a pris aujourd’hui beaucoup d’ampleur dans le monde et nous, les fondateurs, continuons à maintenir cette manière de danser dans sa forme traditionnelle (photo ci-contre : rueda de los fundadores).

patricio C’est surtout après la Révolution que la Rueda a commencé à croître. Au début des années 1960, il y avait plein de lieux pour danser, comme le Rio Cristal, le Patricio Lumumba. Nous étions jeunes, nous allions danser au Patricio Lumumba le dimanche de 5 heures à 8 heures, accompagnés par des orchestres (photo ci-contre).

bab1 Il y avait différentes Ruedas au Patricio Lumumba. La Rueda dite « grande », celle des avancés, était animée par des personnalités comme Juan Gomez, que j’ai connu enfant, ou Rosendo Gonzales (photo ci-contre, avec sa premiere femme Baby). Les membres de ma Rueda étaient plus jeunes que ceux de la Rueda Grande. Il y avait là des boursiers de province, des gens des quartiers populaires de La Havane, comme Marianao.

Ma Rueda, la Rueda de El Oso,était très populaire. Elle a été fameuse surtout à cause du Patricio Lumumba, mais je l’ai aussi dirigée à la Costa de Cojimar, auNautica, et dans les Bodas de Quince. Parfois, il y avait 80, 100 couples dans ma Rueda, et cela s’est maintenu pendant toute la décade des années 1960. Elle a existé jusqu’au début des années 1970. C’est elle qui a le plus duré.

Comment ai-je pu diriger une Rueda de 100 Danseurs ? C’était mon style, mon mystère, ce sont des choses que les gens portent en eux. J’ai aussi inventé des pas qui ensuite ont eu du succès, comme la Caravela. On essayait beaucoup de choses, mais c’était spontané, ce n’était pas chorégraphié. C’est comme cela que s’est formé le style Casino, avec tous ses pasitos : Bota, Bota por atras, etc. Ensuite, les boursiers de province qui faisaient partiede ma Rueda rapportaient chez eux cette manière de danser qu’ils avaient apprise chez moi, et c’est ainsi que le Casino s’est développé dans tout Cuba. La Salsa, ce n’est rien d’autre que les pas du Casino inventés par nous, qui ont ensuite conquis Cuba plus ont ete amenés plus tard à New York.

Il y a beaucoup de légendes sur l’origine de mon surnom, El Oso. Je vais t’en dire une. Une fois, j’ai fait sortir une fille un peu brutalement de ma Rueda : « Allez, sors, tu t’es trompée ». Et l’autre m’a répondu : « Mais quel ours, ce type ! » et le surnom m’est resté. C’est vrai aussi, que la nuit, j’écrivais mon surnom, « El Oso », sur les murs de Parque Habana. Cela a fait une vraie révolution. Les gens se disaient : « mais qui est cet El Oso ? ». Il y a beaucoup de mystères autour de moi.

Les gens à l’époque étaient un peu racistes. Une fois, une fille fêtait sa Boda de quince, mais je n’étais pas autorisé à rentrer, car la fête était réservée aux blancs[1]. Alors, j’ai pénétré en cachette dans l’arrière de la maison, je me suis installée discrètement et j’ai commencé à diriger ma Rueda. Au début, les propriétaires n’ont pas compris ce qui se passait. Quelle révolution ! Il n’y avait que moi qui pouvais diriger une Rueda aussi grande ! Une autre fois, une jeune fille blanche m’avait invité à une fête de ses quinze ans. Le père n’a pas voulu que je rentre, car je suis mûlatre. Alors la fille a commencé à pleurer, en disant « Tu ne peux pas me faire cela le jour de mon anniversaire. C’est El Oso ». Alors le père est venu me chercher sur le pas de la porte en s’excusant. Une autre fois, je ne pouvais pas rentrer car je n’avais pas de veste. Alors, on a pris une seul veste et on se l’est passée de l’un à l’autre, par la fenêtre. Et tous ceux qui n’avaient pas de veste sont rentrés dans la fête en portant la même veste.

Plus tard, ily a eu des programmes de télévision, comme Bailar Casino, où j’ai été jury. Il y a aussi eu de grands concours et festivals de Rueda, comme celui organisé il y quelques années par Juan Gomez a Varadero. Mais je n’ai jamais voulu intégrer le ballet de la télévision cubaine, comme Juan Gomez ou Rosendo Gonzales. Je suis une personne très spontanée, un homme du Peuple.

Propos recueillis par Fabrice Hatem

 


 

[1]Selon les standards en vigueur à Cuba dans les années 1960, El Oso est un mulâtre, alors que je l’aurais spontanément classé dans a catégories des « blancs ».

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