Je répondrai à cette question de manière un peu sibylline : les agences de développement sont et ne sont pas des services marketing pour les territoires, car elles sont à la fois plus et moins. Je vais essayer de m’expliquer maintenant sur ce point de vue ambigu.
Les agences de développement peuvent jouer le rôle de services marketing pour les territoires…
L’implicite de cette affirmation, c’est qu’avec la mobilité géographique croissante des facteurs de production, les territoires rentrent en concurrence pour attirer les projets d’investissement des multinationales. Le paradigme du marché (une offre, une demande, une concurrence, etc.) s’appliquerait donc dans ce cas de figure, conduisant les territoires à se doter d’outils d’action comparables à ceux des entreprises : analyse du marché, campagnes de promotion auprès des investisseurs potentiels, détection des projets, négociation, appui à l’implantation, suivi de l’investisseur, conseil au autorités locales sur les politiques à mettre en œuvre pour accroître l’attractivité du territoire. Ces différentes fonctions sont effectivement comparables à celles d’un service marketing d’entreprise [1] Comme développement endogène et exogène vont de pair, il est logique de les confier aux structures de développement territoriales déjà existantes. CQFD.
L’Irlande constitue un bon exemple de cette démarche. Sa politique d’attraction, pilotée par l’Irish Development Agency, vise depuis plus de 50 ans à tirer le meilleur parti des tendances du « marché » de l‘investissement international pour en faire un outil au service du développement du pays. Analyses de marché, définition d’une stratégie, programmes de promotion ciblés, outils de négociation et d’appui à l’investisseur, tout y est. Le concept marketing sur lequel s’appuie aujourd’hui cette action est celui de « Platform Ireland » : le pays est présenté comme un lieu particulièrement favorable à l’innovation (« Knowledge is our nature »). Les efforts de prospection sont focalisés sur les segments de marché que les analyses marketing ont permis d’identifier comme les plus prometteurs : service intensif en emploi, nouvelles formes de d’investissement international comme l’outsourcing de R&D, les activités à fort contenu en innovation, les pays émergents, etc..
De nombreux autres pays ou régions développés ont également mis en place des stratégies marketing comparables, souvent articulées autour du thème de l’innovation. On peut citer à titre d’exemple les campagnes de promotion reposant sur les slogans suivants : « Land of Ideas » (Allemagne) ; « New ways of thinking » (Suède) ; « Creative Denmark » (Danemark) ; « Technology for life » (Espagne,) ; . « Technology from the heart » (Portugal) ; « The skills hub of central Europe » » (République Tchèque) ; « Look at innovation, look at Catalonia (Catalogne) ; « The pursuit of technological excellence » (Wallonie) ; « Enjoy high performance in the high-tech business » (Basse-Autriche). Et il y en a beaucoup d’autres…
… ou pas…
L’analyse précédente présente cependant plusieurs faiblesses majeures :
– Des transpositions hasardeuses. Il existe entre les entreprises et territoires – est-il même nécessaire de rappeler ces évidences ? – des différences de nature fondamentales. Contrairement à une entreprise, un territoire ne produit et ne vend rien par lui-même : c’est seulement un cadre géographique où se déroulent des activités humaine très diverses. Il ne possède ni bilan comptable, ni unité de décision, ni identité juridique – autre que celle des institutions politiques qui exercent sur lui leur autorité. Dans ces conditions, la transposition brutale aux territoires de représentations et donc d’outils d’action emprunté au monde de l’entreprise ne constitue-elle pas une fausse bonne idée, en tout cas une démarche sans fondements scientifiques sérieux ? Ou encore un artefact de communication permettant aux autorités politiques locales de donner une forme séduisante à leur projet de développement ?
– Des mécanismes mal décrits. Le concept du « projet mobile », venant s’implanter tel quel dans le territoire « gagnant », est nécessaire à la cohérence de notre modèle conceptuel du « marketing territorial ». Or, il cette représentation ne correspond peut-être pas aux cas les plus fréquents d’investissement. De nombreux projets – par exemple ceux visant à implanter une filiale commerciale ou un site minier – ne donnent lieu à aucune concurrence entre territoires. Il n’y a pas alors dans ces cas concurrence, donc pas nécessité d’une action marketing. Alors, pourquoi se battre pour des résultats du second ordre, si la localisation de l’essentiel des projets est déjà d’emblée décidée par l entreprise, indépendamment de toute activité promotionnelle des territoires ?
– Des réalités occultées. Sur un territoire donné, beaucoup d’activités nouvelles naissent de l’arrivée des porteurs de projets eux-mêmes. D’autres résultent d’une rencontre entre acteurs extérieurs et locaux. Cette dimension humaine, ces dynamiques de co-développement partenarial, notre modèle initial, quelque peu mécaniste, du « marché concurrentiel de l’investissement international » n’en rend pas convenablement compte.
Mais alors, s’il n’a y a pas de produit à vendre, pas d’unité de décision économique, pas de concurrence avec d’autres offreurs, bref si un territoire n’est pas (c’est l’évidence) une entreprise mais un espace géographique où vivent des hommes et des femmes avec leurs projets de natures très diverses …. Alors ce n’est pas d’un service marketing au sens traditionnel du terme dont il besoin, mais d’une structure d’appui permettant aux acteurs locaux (existants et potentiels) de tirer parti des opportunités liées à l’internationalisation. Et cela, c’est à la fois plus et moins qu’un service marketing d’entreprise, comme nous allons le voir maintenant.
… ou davantage….
De ce que les agences, compte tenu des considérations précédentes, puissent être amenées à s’impliquer dans de actions ou des programmes à caractère international qui n’ont pas leur équivalent dans les services marketing classiques d’entreprise, je citerai trois exemples :
– L’accueil des talents, des compétences et des porteurs de projets de développement venus de l’extérieur. La plupart des pays développés ont lancé des initiatives en ce domaine, souvent en liaison avec leurs politiques générale d’immigration. Par exemple au Royaume-uni, le « Global entrepreneurship program », lancé en 2003, vise à inciter les entrepreneurs au stade initial de leur projet de globaliser d’emblée leur affaires à partir d’un « Hub » situé en Grande-Bretagne. En France, le « programme gouvernemental pour l’attractivité », lancé en 2003, comporte de nombreuses dispositions visant à faciliter a venue en France des cadres dirigeants, des étudiants de bon niveau et des chercheurs à fort potentiel. Au niveau régional, le programme « Home Sweet Home de Provence promotion vise à faciliter le retour en France d’expatriés porteurs de projets.
– L’encouragement aux partenariats. Il existe de nombreux exemples de programmes et d’initiatives visant à faciliter les rapprochements entre acteurs locaux et extérieurs au territoire pour le lancement de projets partenariaux. C’est le cas, au Royaume-Uni, du « Global Partnership Program » de UKTI, qui a pour but de mettre en contact des entreprises étrangères avec des partenaires britanniques susceptibles de les aider à développer de nouvelles technologies ; en Irlande, du programme « Team Ireland » visant à appuyer la collaboration de partenaires public et privés, locaux et extérieurs, pour le lancement de projets à fort contenu en innovation. De manière plus ponctuelle, certaines agences cherchent à prospecter les entreprises étrangères pour l’outsourcing de leur R&D vers les universités locales, comme par exemple au Pays de Galles.
– Les projets d’aménagement et de développement local. Les agences de développement prennent part; presque par définition, à des projets d’infrastructures, de zones d’entreprise, de clusters, de formation, qui peuvent ensuite jouet un rôle majeur dans l’attraction de projets exogènes. Par exemple, en Ile de France l’ARD appuie le développement de clusters locaux (santé, biotechs, jeux videos, etc); par la mise en place de structures dédiées.
Sauf à tordre les mots et les concepts, ces activités sont d’une nature fondamentalement différente de celles d’un service marketing ou commercial d’entreprise. Et pourtant, elles contribuent toutes – directement ou indirectement – à accroître l’attractivité du territoire.
,… ou moins
Mais jusqu’où est-il souhaitable d’étendre autant le domaine d’action des agences de développement ? Quid des contraintes budgétaires ? Comment éviter les redondances ? Est-on bien sur de l’efficacité de ces politiques ? Ces questions m’amènent, en conclusion, à quelques remarques de bon sens :
– L’action internationale, cela coûte très cher. Il faut ouvrir des bureaux, lancer des missions de prospection, financer des études de marché, se battre durement contre les territoires concurrents pour l’attraction de projets finalement pas si nombreux et pas si mobiles … Le soutien aux seuls projets de développement endogène n’est-il pas de ce fait susceptible de présenter un meilleur rapport coût-efficacité ?
– Sur chaque espace géographique de notre pays, s’exerce l’action de plusieurs agences de développement ou de promotion de différents niveaux. Si chacune d’entre elle développe sa propre activité de marketing territorial, les risque de redondances, et donc de gaspillage des fonds publics, ne sont que trop évidents. Avant de lancer de nouveaux programmes d’action, n’est-il pas d’abord nécessaire de répondre à la question « qui fait quoi ? » et, surtout « qui ne fait pas quoi » ?
– Il faut rester lucide, enfin sur la capacité des agences à intervenir concrètement sur les projets de nature partenariale, où par définition les participants potentiels se choisissent intuitu personae. Ils ne souhaitent donc pas nécessairement multiplier le nombre d’intermédiaires ou donner trop de publicité à leur projet. Dans de nombreux cas, seule la subvention éventuelle peut susciter leur intérêt, dans une démarche fléchée par l’effet d’aubaine. Au delà des discours d’intention, est-on donc vraiment sur que l’action des agences dans le domaine du partenariat et des rapprochement ne risque pas d’aboutir à des déceptions ?
Il faut donc rester à la fois pragmatique, lucide et modeste; pour éviter un gaspillage de fonds publics fondé sur des espoirs excessifs et la transposition imprudente -quoique pas entièrement infondée – de concepts venus du monde de l’entreprise au domaine de l’action publique.
Fabrice Hatem, ancien responsable des études économiques à l’AFII, conseiller économique à la Conférence des Nations-Unies pour le développement (CNUCED), est notamment l’auteur de l’ouvrage Le marketing Territorial, Editions EMS, 2008.
[1] Défini ici au sens large : marketing stricto sensu (analyse du marché, définition des produits et des stratégies de prospection, promotion), plus action commerciale (prospection, détection de projets, négociation, service après-vente).